Visiter « Un musée à soi » au Mrac de Sérignan, c’est découvrir un autre musée le temps d’un accrochage pas comme les autres : celui de Nathalie, Elisabeth, Matthieu, Maxime et Dominique. Patient·e·s du centre de jour du Biterrois, qui dépend du centre hospitalier de Béziers, ces amateurs et amatrices éclairé·e·s connaissent bien les lieux. Ils et elles y viennent souvent dans le cadre des nombreuses actions artistiques de l’atelier Art.27 du centre, menées avec passion par Sonia Debeuré-Provost, psychologue, et Nicole Vidal, ergothérapeute. Fin 2020, Clément Nouet, directeur du Mrac, leur donne carte blanche à l’occasion d’un projet d’accrochage participatif. Un « pas de côté » assumé, placé sous la supervision bienveillante de la chorégraphe montpelliéraine Mathilde Monnier, connue pour son intérêt pour les arts au-delà du seul plateau scénique. En raison de la pandémie, le projet dure presque deux ans, deux années de rencontres régulières entre les patients et la chorégraphe. Cette dernière ayant à cœur d’accompagner des « personnes invisibles dans la société [à] envisager le commissariat de manière plurielle », tout en les aidant à réfléchir sur leur « responsabilité artistique ». Les discussions sont riches, chaque commissaire en herbe est même chargé d’écrire aux artistes choisis. Ce processus de préparation au long-cours est tellement important qu’il fait lui-même œuvre à travers une vidéo documentaire réalisée par Alice Fleury et Geoffroy Badel, deux jeunes artistes formé·s au MO.CO. Esba, l’école des Beaux-Arts de Montpellier.
De mots et d’images Également à découvrir au Mrac de Sérignan, une exposition au rez-de-chaussée consacrée à l’artiste et cinéaste Noëlle Pujol, récompensée en 2020 par le prix Occitanie-Médicis. Music Hall (des lettres de Didier à Boum !Boum !) nous plonge dans l’univers joyeusement désordonné de l’artiste, au travail profondément cinématographique. A la fois espace d’exposition, studio de cinéma et coulisses d’un film, intitulé Boum ! Boum !, qui n’existe pas encore mais fait déjà partie d’une saga fictionnelle en perpétuelle création. Ce long-métrage en devenir est inspiré par les lettres de son frère Didier, dont l’artiste de « faire voyager ses mots » en les mettant en musique, mais aussi par le charme photogénique du quartier des Puces de Saint-Ouen où elle habite. À l’étage du musée, Aoulioule propose un abécédaire collectif qui s’interroge avec brio sur le rapport entre langage et image, typographie et graphisme, sous le commissariat des artistes Sylvie Fanchon et Camilla Oliveira Fairclough. A.R.
Conscience de son propre corps
Le résultat de ce travail aussi acharné que passionné est une exposition extrêmement agréable à parcourir. Les cartels, très touchants, sont rédigés par les patient·e·s-commissaires. Car selon Mathilde Monnier, il est intéressant de voir « comment l’œuvre les raconte, en dehors de tout préjugé esthétique ». On se sent bien dans ce musée de l’intime où chaque pièce semble à sa place, comme magnifiée. Un sentiment d’harmonie porté par la scénographie du peintre et plasticien Dominique Figarella, avec lequel Mathilde Monnier avait déjà collaboré quand elle était à la tête du Centre chorégraphique national de Montpellier. Une photographie de danseuse mutilée de Per Barclay côtoie les cercles concentriques hypnotisant de Stéphane Magnin. Un peu plus loin, le Banc de la fortune de Io Burgard fait écho au banc d’Ann Veronica Janssens, issu des collections du Frac Occitanie, dont le film thermoactif garde quelques instants la trace des corps. Il est rare d’avoir à ce point conscience de son propre corps dans un espace d’exposition. Le géant de Francisco Tropa, fabuleux squelette de bronze, sera quant à lui activé à l’occasion d’une performance dansée lors de la visite VIP du 27 novembre. À ne pas rater.
ALICE ROLLAND
Un musée à soi Jusqu’au 19 mars Mrac Occitanie/Pyrénées-Méditerranée Sérignan 04 67 17 88 95 mrac.laregion.fr