Enfant née d’une mère de 15 ans, abandonnée à la naissance, à Alger en 1937, Albertine Sarrazin avait été rapidement adoptée par un couple déjà âgé qui va s’installer à Aix-en-Provence alors qu’elle a une dizaine d’années. Elle y reçoit une éducation stricte et religieuse. Jugée trop indisciplinée, elle est placée dans une maison de correction. Après le bac, elle s’échappe, fait du stop jusqu’à Paris, se prostitue, vole pour vivre et commence à écrire. Avec une amie, elle tente un hold-up et blesse quelqu’un : elle est condamnée à sept ans de prison. En s’évadant elle se brise l’astragale qui donnera son titre à son roman le plus célèbre. C’est un certain Julien Sarrazin qui la sauve et la soigne. Lui aussi est en rupture avec la société. Ils se marient en 1959 et peuvent commencer leur vie de couple en 1967. Entre-temps, en 1964, Jean-Jacques Pauvert publie L’astragale et La cavale, textes dont il a apprécié l’originalité. Albertine a « enfin un nom » et aurait pu entrevoir une vie plus sage avec Julien… Mais une opération se passe mal à cause d’une erreur d’anesthésie et Albertine meurt en 1967.
Vrillée au coeur
C’est cette histoire inscrite dans la France traditionnelle des années 1950/60 que relate le spectacle écrit par Julie Rossello-Rochet. Elle y bouscule la chronologie pour offrir au personnage une présence extraordinaire, vivante et attachante, brûlant sa vie par les deux bouts. Son texte est riche et coloré, parsemé de citations des œuvres originales. Nelly Pulicani réussit un seule en scène exceptionnel. Elle arpente la bande de l’espace de jeu située entre les deux rangées des spectateurs, sollicitant leur adhésion, les faisant participer en leur confiant un objet ou en leur offrant une flûte de champagne. Son personnage l’habite totalement, et elle le défend bec et ongles. On admire sa prestation, car la metteuse en scène, Lucie Rébéré, ne l’a pas ménagée. Ne la fait-elle pas plonger dans une baignoire dès le début du spectacle, s’immerger complètement, comptant avec ses doigts les secondes qu’elle reste sous l’eau et y retournant souvent ? On s’interroge sur le parti-pris de cette baignoire, seul élément de décor, imposant. Si on se refuse à y voir un désir de pureté de la part d’Albertine, on peut y déceler une soif de liberté et d’authenticité vrillée au cœur. « Je marche » insiste-t-elle plusieurs fois. Son chemin s’est malheureusement brutalement arrêté.
CHRIS BOURGUE
Sarrazine, de la compagnie La Maison, s’est joué du 17 au 20 janvier au Théâtre Joliette, Marseille.