Dès son ouverture, Yalla my friends prend littéralement aux tripes. Les subtils jeux de lumière de Jade Rieusset et Erika Sauerbronn nous plongent dans une semi-pénombre travaillée, les fréquences basses élaborées par Romain Constant nous saisissent en plein sternum. La danse ne naît pourtant pas dans la suffocation que l’on pourrait attendre : les corps orchestrés par Adel El Shafey n’auront ainsi de cesse de se mouvoir avec amplitude et générosité, de s’ériger contre l’inhospitalité d’un tel écrin.
Si les gestes se décomposent ou se saccadent par endroits, c’est toujours pour mieux aboutir, et jamais pour s’obstruer. Pensée comme le récit de l’amputation de son lobe pulmonaire et de son retour à la vie, la pièce d’Adel El Shafey s’extrait toujours de la noirceur avec grâce. C’est ce bel élan qui guide les tableaux à deux ou à quatre, ou les danseurs et danseuses s’épaulent et s’appuient les uns les autres ; où quelques portés s’enchaînent, discrètement, à même les hanches. C’est sans doute dans sa capacité à explorer toute une gamme de mouvements privée des appuis habituels – au sol, notamment – et inspirée, entre autres, du hip-hop ou des arts martiaux, que la chorégraphie d’Adel El Shafey impressionne. Ainsi que dans sa capacité à tirer le meilleur de ses interprètes sans rien sacrifier de leur individualité.
Forte d’une taille et d’une souplesse démesurée, sa grande complice et associée Maëlle Deral explore avec finesse et étrangeté une partition très riche. Plus cadrée, très musicale, l’interprétation de Rémi Richaud emporte, notamment sur ses passages solistes. Athlétique, millimétrée jusque dans ses ondulations valvées à couper le souffle, Yasmina Lammler se révèle d’une physicalité à toute épreuve. Une sensibilité rare exhale enfin du jeu d’Adel El Shafey, qui cale ses pas sur ceux de ses camarades et partage avec eux la lumière. Une belle ode à la résilience et surtout au collectif, qui réchauffe intelligemment les cœurs.
SUZANNE CANESSA
Yalla, my friends a été créé le 9 février au Pavillon Noir, Aix-en-Provence.
À venir 10 février à 20 heures au Pavillon Noir