L’agenda culturel fait bien les choses. Quelques jours avant de présenter leur fresque Falaise, à Marseille, le premier volet du diptyque de la compagnie catalane Baro d’evel était de passage à Aix-en-Provence. Là éblouit d’abord par son enceinte blanche sur un plateau nu. Pas longtemps. Les parois en papier immaculés sont vite transpercées par l’intrusion d’un homme d’abord (Blaï Mateu Trias), d’une femme ensuite (Camille Decourtye), vêtus de noir. Un tableau bichromatique à l’instar du plumage du troisième personnage, un corbeau-pie. Phrase hésitante et incomplète pour l’un, onomatopées, spasmes et logorrhée pour l’autre, le binôme humain en totale déconnexion apparente va cheminer pendant l’heure dix du spectacle, d’incompréhension en évitement, jusqu’à admettre une attraction convergente devenue évidente et qui les dépasse. Par ses sautillements de cour à jardin ou un survol de ses protégés, l’oiseau ne manquera pas de les guider dans leur rapprochement. Tout en leur rappelant une urgence. Celle sans doute de s’apprivoiser pour refaire société, sur les ruines d’un monde manichéen dont ils viendraient de s’affranchir. Au fur et à mesure qu’ils se frottent aux murs y apparaissent des traînées noires quand le noir des costumes se teinte lui de blanc. Allégorie du dialogue, du métissage.
Quels messages ont-ils à nous transmettre dans ce langage imprécis, pourtant limpide dans son désir de communiquer, de faire un pas vers l’autre, de donner du sens à leur humanité ?
Les lignes que lui dessine sur les murs sont-elles là pour délimiter le nouvel espace, le nouveau monde qu’ils ont à inventer avant de l’occuper ? A moins qu’elles incarnent le trait de la création artistique, dans une société capable de considérer la culture non essentielle. Le chant lyrique – une autre corde à l’arc de Camille Decourtye – et la musique de Purcell accompagnent les figures acrobatiques, discrètes mais présentes, du couple circassien qui, dans sa quête et son apprentissage, n’en oublie pas de détourner les codes de la discipline. Et quel que soit le mystère à percer, la force poétique et symbolique de Là, elle, est éclatante. Conte fantastique dont le récit épuré et recentré tranche avec le foisonnement de Falaise, Là nous dit avec espoir la simplicité du monde quand celui-ci peut nous en faire douter. Une simplicité qui n’est pas dans la binarité mais dans l’hybridation et le mélange. Des couleurs, des genres et des disciplines.
LUDOVIC TOMAS
Là a été joué les 25 et 26 février, au Pavillon Noir, Aix-en-Provence.