Zébuline. Le festival fête sa quarante-troisième édition et sait, tout en gardant sa volonté d’excellence, décliner de nouvelles partitions. Votre secret ?
René Martin. Ce festival est conçu pour donner une idée précise de ce qui se passe dans le monde musical d’aujourd’hui, donner la couleur du piano à un instant T. Certes, je privilégie les orchestres régionaux, l’Orchestre de Marseille, l’Orchestre d’Avignon qui s’est totalement renouvelé grâce à l’impulsion de Débora Waldman, sa cheffe, et je cherche à utiliser les nombreuses richesses de la région. Cette édition est particulièrement importante, car nous n’avions pas pu fêter dignement les quarante ans du festival en raison de la pandémie.
Une volonté de totalité avec les intégrales ? Il y en a beaucoup cette année.
S’il y a bien un lieu où elles peuvent être jouées, c’est à La Roque. Effectivement, nous donnerons l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven, de Chopin, de Brahms, de Rachmaninov, servies par des interprètes de premier plan, Bertrand Chamayou, Anne Queffelec, David Kadouch, François-Frédéric Guy, Alexandre Kantorow (une carte blanche lui est offerte sur une journée), Bruce Liu que nous avons découvert l’an dernier avec des orchestres fantastiques, le Hong Kong Sinfonietta, sans doute le plus bel orchestre de Hong Kong, dirigé par Yip Wing-Sie, une cheffe d’exception, l’Orchestre de Chambre de Paris (Lionel Bringuier), le Sinfonia Varsovia avec le grand chef Aziz Shokhakimov, l’Orchestre Consuelo sous la baguette de Victor Julien-Laferrière. L’énumération complète serait fastidieuse. Il y aura aussi de grands cycles, des journées consacrées à des compositeurs Liszt, Rachmaninov, Chopin ; un focus sur des compositeurs contemporains grâce aux journées animées par le pianiste et pédagogue Florent Boffard, « Passer au Présent / à la découverte d’un compositeur et ses amis », qui permettront d’aborder les univers de Philippe Schoeller et Julian Anderson, avec une création mondiale au programme ; un temps fort sera consacré à un hommage au grand compositeur Henri Dutilleux qui est parti il y a dix ans maintenant.
Le baroque revient enfin ! La pandémie nous interdisait l’abbaye de Silvacane qui nous rouvre ses portes. La famille Hantaï se reconstitue pour La Roque d’Anthéron tandis que toute la jeune génération arrive, Jean Rondeau, Justin Taylor et son Consort…
Une jeune génération de pianistes de très haut vol aussi !
Oui, nombreux sont les jeunes, voire très jeunes artistes à faire leur entrée à La Roque. On pourrait me dire que je les choisis parce qu’ils ont gagné des concours internationaux. Bien sûr, mais la plupart du temps, je les ai engagés avant leurs récompenses. J’ai anticipé leur victoire. J’aime aussi cette découverte des grands noms de demain, de voir naître ces stars montantes. On aura par exemple Kevin Chen et le tout aussi fantastique Masaya Kamei sans compter la révélation Yunchan Lim, un phénomène !
Les lieux se multiplient cette année.
Oui, le festival permet de mettre en valeur toute la région. D’autre part, tout un travail est mené auprès des publics empêchés grâce à la démarche menée par le Département, Ensemble en Provence qui propose des soirées pédagogiques ne direction des public prioritaires de ce dispositif, et par l’association Cultures du Cœur qui favorise l’insertion des plus démunis par l’accès aux sports et aux loisirs. Le festival met à disposition des invitations à destination de ces publics. Les projets lycéens, les master classes et la tournée des ensembles en résidence contribue aussi à la diffusion auprès de publics plus larges (et souvent plus jeunes !). Les tarifs moins de trente ans accordent des places à 15€ en catégorie A et B…
Si elles ont été considérées longtemps comme de délicieuses interprètes, les femmes compositrices entrent pleinement au festival…
Et heureusement ! Non seulement la journée « nouvelles générations » ne comporte que des interprètes féminines, Arielle Beck, Eva Gevorgyan, Alexandra Dovgan, mais les œuvres des compositrices sont mises en avant. Toute une journée est consacrée aux « regards de femmes » avec Das Jahr de Fanny Mendelssohn et des œuvres de Marie Jaëll (amie de Liszt), Marguerite Canal, Augusta Holmès, Louise Farrenc, Henriette Bosmans, dont les noms sont injustement tombés dans l’oubli. Autre face cachée de la musique : la formation. Quand on parle d’un pianiste, on occulte trop souvent que son génie a été formé par des maîtres qui restent dans l’ombre. Hortense Cartier-Bresson est une magnifique pédagogue et je tiens beaucoup à cet hommage qui souligne l’importance de la transmission.
Le festival s’ouvre à de nouvelles formes musicales…
J’en suis très fier. Il y a une révolution dans le monde du piano et le festival se doit d’en rendre compte. L’électronique fait son entrée cette année à La Roque. Cette tendance est écoutée par des milliers, des millions de jeunes, c’est le public de demain. On aura par exemple Hania Rani pour un concert musicalement exceptionnel et très poétique, ou les Grandbrothers pour une nuit mystique et hypnotique. Ça va être saisissant ! On a trop souvent classifié les choses : dans la musique contemporaine on a beaucoup souffert de l’influence prépondérante de gens qui interdisaient la musique tonale… Aujourd’hui le monde s’ouvre davantage. La Roque permet de respirer tours les tendances du piano d’aujourd’hui.
Une place particulière est désormais dévolue aux accordeurs…
Tous les plus grands pianos sont à La Roque, c’est le seul festival au monde où toutes les marques sont représentées. Les pianistes les essaient donnent leur avis. Le festival devient un véritable laboratoire, c’est de l’or pour les fabricants qui peuvent retravailler, corriger, améliorer leurs instruments qui sont déjà exceptionnels.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI
Festival International de piano de La Roque d’Anthéron
Du 20 juillet au 20 août
La Roque d’Anthéron et autres lieux
04 42 50 51 15
festival-piano.com