On s’attendait à une sorte de salon littéraire où l’on déclamerait une flopée de poésies peintes en bleu et rose, on assiste à une sorte de thriller où deux individus débarquent dans un appartement vide, hésitent à faire on ne sait quel sale coup, s’apprêtent à partir quand un bruit de serrure les stoppe net dans leur fuite. La lumière éclaire une dame chargée d’un cabas… elle sursaute en apercevant les deux suspects, s’inquiète, demande une explication. Jennifer et Lucas ont organisé un procès dont elle est la seule accusée. Anciens élèves de cette frêle professeure, ils ont assisté à ses ateliers de poésie qu’elle dispensait tous les jeudis soirs. Ils ne s’en sont pas remis.
Juges et accusée
Avec L’armoire à poésie, Jacques Forgeas transmet via Madame Armand, l’enseignante retraitée, son amour de la poésie qui permet à chaque individu de vivre un ailleurs, un à-côté, un virtuel aussi nécessaire que le pain et l’eau. Denis Malleval a organisé une mise en scène tout en chassés-croisés, où juges et accusée s’évitent avant de se rejoindre. Il ne pouvait trouver meilleure interprète pour Madame Armand que la gracile Véronique Boulanger. Diction inattendue, provocante sous un voile de douceur, sourires désabusés face à l’absurdité de la situation. Quand l’atmosphère se fait trop lourde, elle rafraîchit l’air d’une réplique pointue, d’une parenthèse électrique qui provoque de jolis rires dans le public. Baptiste Caillaud et Chloé Stefani sont de bien séduisants partenaires au jeu millefeuille qui cache quelque secret, quelque reconnaissance à tous ces poètes qui nous aident à mieux vivre parce que « d’autres mondes existent enroulés au nôtre. Qu’il faut les approcher et qu’ils ne répondent que si on leur parle. » Brillant procès qui nous fait accoster la colonne invisible, « celle du mystère et des rêves… et parfois de la passion » dans une scénographie inventive et réussie de Camille Dugas.
Jean-Louis Châles
« L’armoire à poésie » est donné jusqu’au 29 juillet à L’Oriflamme (Avignon).