La venue de la compagnie Rara Woulib s’inscrit tout naturellement dans cette démarche avec Moun Fou, imaginé, explique Julien Marchaisseau, directeur artistique et fondateur de la compagnie, à partir d’un travail très fin sur les exclus pour un « parlement des intimes ». « Les comédiens ont tous passé une année en immersion dans diverses structures en lien avec la santé mentale et la grande précarité à Marseille, afin de s’imprégner de la réalité des choses en les vivant ». Après ce travail, chaque comédien et comédienne (issus eux-mêmes de métiers différents et avec des statuts variés, infirmière en milieu psychiatrique, éducateur spécialisé, sans papiers…) a écrit son propre texte. Les histoires foisonnent, les échos se tissent entre les musiques familières. Le bien commun des références rassemble. Des baffles colorés diffusent des voix qui témoignent, tranches de vies, mal-être, interrogation sur la place que l’on occupe, sa légitimité. Les comédiens arrivent l’un après l’autre, s’installent sur des chaises aux couleurs d’arc-en ciel, font face au public, se lèvent, se disent, questionnent leur rapport au monde. Depuis la placette située derrière la grande Halle on se dirige vers la mairie de Martigues, on la traverse, on s’installe dans ses jardins, face au canal. La scénographie (Adrien Maufay) instaure une prise d’assaut des espaces, les chaises grimpent sur les toits du bâtiment, traversent en funambule la cour pour se poser sur une terrasse, s’empilent ici, se propulsent au sol, échafaudent des collines, tandis que de petites scènes disséminées accueillent les artistes qui se livrent à l’interprétation de passages dansés tels des Krumpers (le Krump, danse née à Los Angeles dans les quartiers pauvres représente la vie) : pendant que les textes sont dits en voix off, les corps formulent alors l’indicible, prenant le relais des mots. La liberté d’être un autre, de se réinventer, propre à la création théâtrale devient celle de tous en une apologie espiègle du mensonge qui est aussi une vérité. La jonction entre l’intime et le collectif, le politique, se noue là, dans ce mouvement d’ensemble fluide, où s’esquisse une nouvelle poétique de la ville et des relations entre les êtres. On ne se quitte pas vraiment, un verre de bissap (hibiscus) réunit encore artistes et public, les conversations s’attardent. L’humanité est vivante et belle.
MARYVONNE COLOMBANI
Moun Fou a été joué le 4 août (nuit de l’abolition des privilèges en 1789, aucun hasard !) à Martigues