Bonjour Monsieur Comolli
Quand Jean-Louis Comolli demande à Dominique Cabrera de le filmer, sachant qu’il va bientôt disparaitre, elle accepte, aimant sa « manière d’être ». Un film improvisé, quelques instants de la présence de cet homme qui a réalisé plus de 40 films, qui a écrit, pensé, « le dernier film auquel il participe » dit-il avec l’humour qui est le sien. Du 31 octobre 2021 au 15 avril 2022, Dominique, sa coscénariste Isabelle Le Corff, et Karine Aulnette, qui tient la caméra, viennent au 26 bis de la rue Viala à Paris et conversent avec cet homme qui n’a jamais trop parlé de lui dans ses films. Durant une heure et demie, en confiance, dans l’urgence, il va se livrer. Il évoque l’Algérie d’où il venait, l’Algérie colonisée, le « royaume du faux », la mise en scène documentaire, la mort de la femme qu’il a aimée, Marianne, dont il a pris la dernière photo, tout comme Dominique, d’ailleurs, qui a photographié Didier Motchane avec qui elle a vécu prés de 20 ans, au moment de sa mort.
On parle aussi de la Méditerranée, du montage comme geste de fabrication du continu, du champ et du hors champ comme gestes politiques. Jean-Louis Comolli aborde aussi ses choix, cinématographiques, fictions d’abord puis documentaires. Il explique pourquoi il a décidé de ne plus faire de films : une sorte d’évasion pour pouvoir faire d’autres choses qui l’intéressent. Il en vient à parler de son nouveau compagnon, le cancer, qui ne lui laisse aucune chance d’évasion : « la première fois que ça m’arrive ! » Il a aimé filmer la fragilité ; ceux qui maitrisent tout, qui contrôlent leur image ne l’intéressent pas et il s’est laissé filmer lui-même dans ces moments où de plus en plus fragile et très affaibli, il avait à peine la force de parler. « Le cinéma est un sauveur, un sauveteur, il est là pour garder des relations. » disait-il. Jean Louis Comolli avait promis à Dominique Cabrera et à ses collaboratrices de venir voir les roses de son jardin, qui éclosent fin mai et de goûter un des vins blancs de Bourgogne, un Chassagne-Montrachet, qui lui restait à tester. Ils n’auront pas eu le temps : il est mort le 19 mai 2022.
On ne nait pas film, on ne devient
Dominique Cabrera n’est pas venue seule présenter son prochain film. Elle est accompagnée de son équipe, sa coscénariste Anna Zisman, Béatrice Thiriet, la compositrice de la musique avec qui elle a travaillé sur ses autres films, Raymond Sarti le chef décorateur et sa productrice Gaëlle Bayssière Rapp. Une rencontre passionnante, animée par Karim Ghiyati, qui a permis de montrer au public présent, dont beaucoup de jeunes, que faire un film est un travail d’équipe et demande des années de préparation. Des femmes comme les autres, l’histoire de Simone (Hélène Vincent) et Jeannine (Yolande Moreau) qui ont accepté très vite d’incarner ces deux amies et voisines, expertes en broderie, est en germe depuis 2015. Un cheminement au long cours dont on a pu voir la progression : lecture d’extraits du scenario, projection de documents, divers, d’extraits de films, de photos de repérages, d’images de broderies. Chacun·e a pu expliquer son travail avec la réalisatrice : Anna Zisman qui est de Montpellier les va-et-vient dans l’écriture du scenario et les repérages dans la ville. Béatrice Thiriet sa composition musicale dont elle a fait écouter des extraits. Raymond Sarti n’aime pas le terme de chef décorateur et préfère qu’on parle d’accompagnement des corps qui bougent. Gaëlle Bayssière Rapp a rappelé le travail de productrice. À l’issue de cette rencontre on n’a qu’une envie : voir Des femmes comme les autres, en salle de cinéma !
ANNIE GAVA