C’est un film dans le film. Celui qui raconte le combat d’ouvriers pour sauver leur usine que tourne Simon (Denis Podalydès). Mais très vite tout dérape. Car dès la première séquence, il est clair que ce ne sera pas facile : le jeune recruté pour le making of du film entre dans le champ et on doit retourner la scène. Il est viré et remplacé par un jeune figurant qui a confié au réalisateur son premier scenario, Joseph (Stefan Crépon). Puis les financiers font pression pour que la fin soit modifiée : « On a financé un film avec une fin positive, hyper optimiste. Là, c’est super plombant. »Simon se rend compte que son producteur (Xavier Beauvois) leur a fourni un autre scénario que le sien ! La star (Jonathan Cohen) intervient pendant le tournage pour donner encore plus de place à son personnage et écraser Nadia, la jeune actrice débutante (Souheila Yacoub). Très vite tout dérape pour Simon qui refuse de renoncer à raconter « l’histoire vraie de gens écrasés par le capitalisme, celles d’ouvriers occupant leur usine menacée de délocalisation. » Les financiers retirent les fonds, son producteur est dépassé et est souvent aux abonnés absents. Il faut alléger le plan de travail, couper des scènes, ce que propose la directrice de production (Emmanuelle Bercot). Les techniciens, sous pression, vont-ils travailler sans salaire ? Sa femme (Valérie Donzelli) lui reproche de ne penser qu’à son travail et veut le quitter. Joseph qui fait le making of le suit partout, faisant en quelque sorte le portrait d’un cinéaste en burn-out. Ce sera peut-être le seul film à l’arrivée craint l’habilleuse.
Sans lourdeur
La mise en abyme n’est certes pas un thème original. On pense évidemment à La Nuit américaine de Truffaut, Mulholland drive de Lynch ou Ça Tourne à Manhattan de Tom DiCillo. En trois actes, le dernier film de Cédric Kahn, Making of est un film sur le travail du cinéma : « Ce qui m’intéressait, c’était d’entrer dans le cinéma par un angle politique et social, et pas du tout mythologique, explique Cedric Kahn. Un film politique, social, humain sur le cinéma, mais surtout amusant. » Et c’est réussi. Les acteurs, aussi bien les comédiens professionnels que les figurants, des ouvriers recrutés dans les Yvelines où le film a été tourné, sont excellents. Des scènes drôles, une mise en scène impeccable, le choix de trois formats – la vidéo du stagiaire filmant le making of en format carré, la comédie en format normal et le film des ouvriers en scope –, une réflexion sociale sans lourdeur, répondent à la question posée au début du film : « Que veulent les spectateurs ? Qu’on parle d’eux ou oublier leurs soucis ? » Peut-être les deux !
ANNIE GAVA
Making of, de Cédric Kahn
En salles le 10 janvier