La semaine dernière, le site d’information Made in Marseille annonçait la vente du cinéma Les Variétés aux propriétaires de l’Artplexe. Une décision qui a surpris le monde du cinéma marseillais et les habitués du cinéma historique de La Canebière. Mais ce rachat est pourtant un projet de longue date de Philippe Dejust et Alexis Dantec, associés à la tête de l’Artplexe. Ils avaient déjà tenté d’acquérir Les Variétés lors de son dépôt de bilan de 2016. Le rachat des Variétés (et du César) par Jean Mizrahi en décembre de la même année était donc venu contrarier leur plan, et à plus d’un égard.
En effet, l’Artplexe devait originellement être un multiplexe d’art et essai. Les deux associés avaient déposé une demande d’autorisation d’exploitation cinématographique en ce sens. Cette demande ayant été acceptée par la préfecture, ils ont cependant choisi de modifier leur ligne lors de la reprise et de la rénovation des Variétés, comme nous l’explique Philippe Dejust : « Les Variétés faisaient de l’art et essai à 500 mètres de chez nous et venaient d’être subventionnés et rénovés,. On a avait donc le choix entre abandonner notre projet ou le transformer en quelque chose de plus commercial ».
C’est ainsi qu’est née la ligne actuelle du multiplexe, situé en haut de la Canebière, à savoir 30% d’art et essai et le reste de films grand public, contre 100% d’art et essai aux Variétés.
Démarrage en côte
« Nous avons modifié notre projet d’origine car notre objectif n’était pas de rentrer dans une bataille frontale avec Les Variétés, mais de densifier l’offre cinématographique de Marseille, qui est une ville notoirement sous-équipée » informe Philippe Dejust avant de rappeler que le multiplexe était une demande de la municipalité à la fin de la dernière mandature de Jean-Claude Gaudin. Une demande coûteuse pour les collectivités, l’Artplexe ayant reçu plus d’1,6 million d’euros de la part du département et de la Métropole pour la destruction de l’ancienne mairie du 1er et 7e arrondissement et la construction, en lieu et place de celle-ci, du cinéma que l’on connaît aujourd’hui.
Mais tout l’argent – privé et public – investi et la stratégie de différenciation avec Les Variétés n’ont pas suffi à convaincre le public. Avec ses sept salles parfaitement équipées et son millier de places, le tout jeune cinéma n’a enregistré que 100 000 entrées la première année et 150 000 la suivante, ce qui le maintient dans une situation de déficit.
Un début très compliqué que Philippe Dejust impute à la « concurrence directe des Variétés, que l’on n’avait pas imaginée aussi forte ». A titre comparatif, les sept salles et 550 sièges du cinéma Les Variétés lui ont permis d’enregistrer 220 000 entrées en 2023.
Concurrence préjudiciable
« On s’est rendu compte que la difficulté principale venait de la partie art et essai : les distributeurs favorisaient Les Variétés, ce qui est tout à fait normal étant donné que c’est un cinéma classé art et essai ». Il cite l’exemple d’Anatomie d’une chute, Palme d’or oscarisée dont l’Artplexe n’a obtenu une copie que sept semaines après sa sortie, enregistrant seulement 5000 entrées, contre 15000 aux Variétés qui l’ont projeté dès sa sortie.
D’après lui, ce cas illustre aussi le fait qu’un certain public préfère se rendre aux Variétés et se refuse à l’Artplexe, et vice versa. Un choix qui serait « militant » pour les premiers, l’ancien cinéma étant un lieu culturel indépendant et historique du centre-ville.
Acquisition sans fusion
C’est face à ce constat que Philippe Dejust et son associé Alexis Dantec se sont rapprochés de Jean Mizrahi pour acquérir Les Variétés. Lors de l’annonce de la vente, les deux associés ont annoncé qu’il n’y aurait ni plan social ni modification de la grille tarifaire, bien que rien ne les y oblige contractuellement. Les deux sociétés restent indépendantes l’une de l’autre, mais Bernard Cohen, directeur de l’Artplexe, supervise à présent les deux lieux.
L’objectif du rachat est d’évacuer une « concurrence négative » qui nuisait à l’Artplexe, et de créer une programmation « plus structurée », plus cohérente entre les deux cinémas. En outre, cela devrait permettre de désengorger Les Variétés qui, selon Philippe Dejust, peinent à combler la demande du public depuis la fermeture du César, l’autre cinéma d’art et essai du centre marseillais. « Le principe de l’exploitation cinématographique est de pouvoir offrir le plus de diversité possible aux spectateurs, ce qui est compliqué aux Variétés qui est trop petit et manque de place » explique-t-il, avant de préciser qu’une programmation conjointe permettra « de projeter les films dans plus de salles et de les garder plus longtemps à l’affiche ». A terme, l’entrepreneur projette de proposer une quarantaine de films par semaine entre les deux lieux, ce qui permettrait selon lui de doubler le nombre d’entrées à l’Artplexe tout en maintenant celui des Variétés.
CHLOE MACAIRE