Dance Marathon, programmé dans le cadre du Monaco Dance Forum [Lire ici], est un spectacle cynique et bouleversant. La chorégraphe Eugénie Andrin nous entraîne dans les années 1930 aux États-Unis. La crise est à son comble. L’extrême pauvreté pousse les participants, attirés par l’appât d’une somme modique et d’un repas chaud, à danser de façon ininterrompue – une seule pause de 10 minutes toutes les deux heures pour dormir, manger ou se laver – pendant des jours, voire des mois. Ils se produisent devant des spectateurs avides de sensations fortes, qui se délectent devant cette souffrance, excités par des organisateurs qui leur promettent du « sang et des larmes ». Ces marathons ont été immortalisés par le roman glaçant de Horace Mac Coy On achève bien les chevaux, écrit en 1935, deux ans seulement avant l’interdiction de ces spectacles macabres, et magistralement porté à l’écran par Sydney Polack en 1969 ; deux œuvres qui restent le symbole de l’anéantissement du rêve américain.
Effondrement
Sur la scène, 23 danseurs avec des numéros sont en mouvement, en mouvement perpétuel. Fringants dans des démonstrations virtuoses de charleston, de fox-trot et de rumba sur des airs de Gershwin, Piazzola ou Scott Joplin, ils s’épuisent peu à peu. Arrive le moment redoutable du derby. Les couples doivent courir autour de la scène le plus rapidement possible. Ceux qui tombent sont éliminés sans pitié, humiliés par l’animateur et chassés sous les quolibets du public.
Conçue au ralenti dans une vision très cinématographique, le moment est intense, le spectacle de ces corps instrumentalisés, « marchandisés », livrés en pâture, est presque insupportable. Peu à peu, les danseurs s’effondrent comme s’écroulent la société et la bourse américaine de l’époque. Des couples se disputent, en viennent aux mains, se défont, se reforment avec les « survivants », les hommes portent les femmes, les femmes, les hommes. Certains deviennent fous, hallucinent, d’autres poussent à terre les plus « faibles » et les achèvent.
Au-delà des qualités immenses de ce ballet, Eugénie Andrin réussit la prouesse artistique et pédagogique – transmettre est une de ses grandes passions – de réunir sur scène sept danseurs professionnels et seize amateurs dont les évolutions moins académiques rajoutent au réalisme et à la dramaturgie. L’orchestre, composé de 15 élèves musiciens et chanteurs du Lycée Apollinaire de Nice est impressionnant de maturité.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Dance Marathon a été donné le 17 décembre au Théâtre des variétés, Monaco