S’inspirant du fait divers du « Bal des Folles », Arnaud des Pallières saisit dans Captives l’horreur d’un asile pour femmes de la fin du XIXe siècle
C’est par un gros plan sur les mains gantées d’une jeune femme que s’ouvre Captives d’Arnaud des Pallières. Chair encagée par la résille noire, poignets entravés par le fer de menottes. On est en 1894, vêtue d’une simple robe de velours bleu, Fanni (excellente Mélanie Thiery) vient d’entrer de son plein gré à l’asile de la Pitié Salpêtrière. Déshabillée, palpée, interrogée sur ses antécédents médicaux, elle est admise dans un « service tranquille et semi tranquille » de cet enfer. Les cris, les bains forcés, la promiscuité, la violence des gestes, la brutalité des gardiennes, la cruauté de la directrice. Près de 500 captives, autant de jeunes taxées d’hystériques, vieilles, malades, simplettes, délinquantes, alcooliques ou mises là, à l’écart par leur famille parce qu’elles gênaient. Aucun espoir de guérison : on ne les soigne pas, on les calme, douches froides, bromure.
Que vient faire la belle Fanni ici ? Elle cherche à retrouver sa mère dont elle a perdu la trace il y a déjà des années. C’est par ses yeux que nous découvrons ce monde clos : les lieux où les femmes sont entassées, les pavillons privés comme celui où on retient arbitrairement Hersilie Rouy (Carole Bouquet) internée sous un faux nom par un frère qui l’a spoliée de son héritage, pianiste privée d’un bon piano, intellectuelle qu’on empêche d’écrire. Les drames aussi : une jeune femme qui accouche et dont on fait disparaitre le bébé. Une femme anorexique qu’on gave comme une oie la veille de sa sortie et meurt étouffée. Une autre qui se pend. Et dans cet univers impitoyable géré par la terrible surveillante générale, Bobotte (Josiane Balasko) et la haineuse La Douane (Marina Foïs), des moments de grâce : la répétition du quadrille pour le fameux Bal des Folles où Bobotte les a inscrites, les moments où Fanni chante. Les visages de ces femmes abimées, filmés en gros plan, par la caméra de David Chizallet se nimbent de lumière. Le moment où Fanni fait danser Camomille (Yolande Moreau), la mère qu’elle pense avoir retrouvée est bouleversant. Leurs visages superbement éclairés, rendent ce moment magique, faisant presque oublier les regards libidineux de ceux, venus de l’extérieur assister à ce spectacle de cirque honteux.
Intimité et réalité historique
Certes on peut se demander comment une femme peut se faire interner aussi facilement, quitter ainsi pendant deux mois mari et enfants sans donner de nouvelles, se mettre en danger dans ce milieu fermé. A-t-elle vraiment toute sa raison ? Le scénario se coupant d’une logique rationnelle traduit sans doute un égarement intime, et justifie le parti-pris d’Arnaud des Pallières d’une caméra en immersion, adoptant le point de vue de Fanni, captant au plus près, ses émotions, ses mystères. La peau de Mélanie Thiery sans maquillage, saisie jusqu’aux pores, jusqu’au bord rosé des paupières gonflées est saisissante de nudité.
C’est un an avant la parution du roman de Victoria Mas, Le Bal des folles, qu’Arnaud des Pallièreset sa scénariste Christelle Berthevas se sont vus proposer par un producteur ce sujet du « bal des folles » de la Salpêtrière. Le film n’en est donc pas une adaptation. Il relève bien d’une vision cinématographique où la réalité historique et documentaire se déforme entre rêves et cauchemars pour faire vivre au spectateur, selon le désir du réalisateur, « une expérience mentale ».
ÉLISE PADOVANI ET ANNIE GAVA
Captives, Arnaud des Pallières
En salles le 24 janvier