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Arthur Perole au Pavillon Noir : « J’ai voulu travailler sur cette génération sacrifiée »

Le chorégraphe Arthur Perole présente sa relecture du chef-d’œuvre de Stravinsky et Nijinsky, Un sacre, des printemps les 13 et 14 avril à Aix-en-Provence

Zébuline. Vous êtes artiste associé au Pavillon Noir et vous avez monté cette pièce avec le Ballet Junior. Quel est votre lien avec ce lieu, et avec son directeur, Angelin Preljocaj ?

Arthur Perole. Je suis originaire de Cannes, et comme tout danseur de la région, j’ai été biberonné aux pièces d’Angelin. J’ai notamment dansé ses Noces à l’Opéra de Paris. Avant ça, j’avais effectué mes premiers stages, au Pavillon Noir, où j’avais eu la chance d’interpréter ses pièces. Il est aujourd’hui incontournable pour tout danseur qui se respecte ! Mon partenariat avec lui, en tant qu’artiste associé, se fait aujourd’hui sur tous les plans. Artistique, mais aussi du point de vue de la production, de la communication avec les équipes. Jusqu’à ce projet un peu tentaculaire avec le Ballet Junior. Celui-ci est composé de douze danseurs : six filles, six garçons, de toutes origines (portugaise, espagnole, norvégienne…) et très jeunes. Soit âgés de 18 à 23 ans. Ils sortent tous de formations de grandes écoles et vivent un moment de professionnalisation, de mise à l’épreuve. J’espère leur apporter un travail différent, complémentaire de ce qu’ils ont l’occasion d’apprendre au Ballet.

© Nina-Flore HERNANDEZ

Avez-vous l’impression de leur apporter un univers, une méthode différente du monde qu’ils connaissent ?

Mon approche est en effet très différente. Il y a forcément une porosité entre nos travaux respectifs, une similitude dans l’espace, dans la gestion du groupe ou de la partition. Mais je n’apporte pas ma matière : je propose un univers, et non pas du geste, ou du mouvement. Contrairement à Angelin, je ne fabrique pas le geste. Je pars des gestes des danseurs ; d’états de corps empruntés à la vidéo, au slow motion, au morphing… J’emprunte à la pop, et à son univers. J’essaie également de travailler sur la grimace, le pantomime. Le kitsch, et ce que le kitsch peut provoquer comme émotion, comme réaction, me passionnent. De même que tout ce qui touche à l’exagération, à l’extravagance dans la vie de tous les jours. Tout cela a toujours été présent chez moi. Le travail de Marlene Monteira Freitas, sur Les Bacchantes ou Prélude pour une Purge me parle énormément. 

Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec eux sur une œuvre aussi iconique que Le Sacre du Printemps ?

Cette création s’inscrit dans un travail de plus longue haleine, et même à vrai dire dans un long processus que j’ai lancé sur la question de la jeunesse. Au point que j’en suis venu, en collaboration avec Pascal Catheland, à mener à son sujet une démarche documentaire en coréalisant la série Rêves. J’ai voulu travailler sur cette génération sacrifiée. Je voulais connaître, comprendre cette jeunesse confrontée, entre autres, au Covid, et à tant de déconvenues. Comment font-ils pour vivre ? Plus je m’y suis intéressé, et plus j’ai trouvé que cette génération était très loin des clichés qu’on lui adosse. Je la trouve très respectueuse, très constructive : je trouve ces jeunes gens très bienveillants les uns vis-à-vis des autres. Socialement comme humainement parlant. Ouverts, solidaires, imprégnés… Ils ne sont pas du tout ce qu’on imagine, soit des êtres retranchés, coupés du monde et omniprésents sur les réseaux. Je suis peut-être trop utopiste, mais ce n’est pas grave !

N’est-ce pas difficile, pour un chorégraphe, d’apporter sa pierre aux déjà nombreuses adaptations qui en ont été faites ? Notamment celle de Dada Masilo, qui fait non pas d’une jeune fille, mais de la plus vieille membre de la tribu, incarnée par elle-même, la personne à sacrifier ?

Le Sacre du Printemps est en effet une référence immense. C’est une pièce que j’adore, musicalement comme chorégraphiquement parlant. J’adore Stravinsky, et j’adore les Ballets russes ! – même si ce n’est pas une chose très populaire à dire en ce moment. Le Sacre du Printemps n’a jamais été un ballet comme les autres. Dès sa création, il touchait à des choses qui ne relèvent pas de la danse classique à proprement parler : autour de la pantomime, donc, mais aussi de l’en-dedans. Ce sont des images qui me sont restées. Le Sacre de Nikinsky, mais aussi celui de Pina Bausch, ont beaucoup compté pour moi. J’ai voulu travailler sur le récit présent dans l’œuvre : je voulais moi aussi trouver un twist pour contourner le livret original. Car nous faisons déjà face, à mon sens, au sacrifice d’une génération. J’ai voulu aborder ce Sacre comme le rituel chorégraphique d’une génération déjà sacrifiée par les printemps. L’idée étant de soit faire revenir ces printemps perdus, soit de les vivre ensemble jusqu’à ce que tout brûle ! Et je me suis rendu compte, parfois trois, quatre semaines après les répétitions, que j’avais fait des citations. On ne peut pas faire autrement que d’être imprégné par ce ballet et son histoire… Mais il fallait également le tordre un peu. Notamment musicalement : il fallait trafiquer un peu la musique – ce que Benoît Martin a fait très bien. Et aussi compter sur mes collaborateurs et collaboratrices : sur mon assistant Alexandre Da Silva, avec qui j’ai mené le projet du début à la fin. Je ne sais pas travailler autrement qu’en équipe, dans la discussion. C’est tout de même bien plus agréable !

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA

Un sacre, des printemps
13 et 14 avril 
Pavillon Noir, Aix-en-Provence
cie-f.com
preljocaj.org
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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