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Bruce Liu : une révélation à La Roque

Le 25 juillet, le Canadien Bruce Liu était l’invité du festival rocassier. Une performance qui a comblé le public, comme en témoigne ses quatre rappels finaux

Certes, le Festival international de piano de la Roque-d’Anthéron nous rend familiers avec les meilleurs pianistes du monde au point de nous conduire à chipoter entre les excellences. Jauger de la pertinence de tel ou tel passage virtuose, nous demander si l’accord entre les stridulations des cigales et les volutes élégantes des pianos est bien synchrone, bref, le côtoiement des grands incite parfois à la petitesse. Tout le monde est mis d’accord par le récent premier prix du 18e Concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie (2021), Bruce Liu.

Pour la petite histoire, le piano sur lequel il joue ce soir-là sous la conque du parc de Florans est celui sur lequel il remporta son prix à Varsovie. L’accordeur en titre du festival, Denijs de Winter, a, pour ce faire, appelé la maison mère des pianos Fazioli en Italie, muni du numéro de l’instrument qui fut ainsi acheminé à La Roque pour le concert du jeune impétrant.

Sans doute, il y a quelque chose d’émouvant dans ces retrouvailles entre l’artiste et l’instrument, une familiarité complice, liée à des souvenirs décisifs. Attaques sûres, phrasés aériens, irréprochable technique, tout y est, mais on sait bien que cela ne suffit pas toujours. Ici, le musicien passe la rampe, vit et donne à vivre les pièces qu’il interprète. Tout devient langage, voix incarnée. Les intentions des compositeurs soudain prennent une tournure d’évidence.

Des touches au sublime

On suit le cheminement des pensées, vagabondages oniriques de Chopin, avec les envolées et les ruptures abruptes de la Ballade n° 2 en fa majeur opus 38 que le compositeur dédie à Schumann, ou la poésie mêlée d’éclairs de sa Ballade n° 3 en la bémol majeur opus 47. Les Variations de Frédéric Chopin sur Là ci darem la mano nous font entrer dans les mystères de l’improvisation. S’emparant du thème du duo chanté par Don Giovanni et Zerlina dans l’acte I de l’opéra Don Giovanni de Mozart, Chopin brode, s’amuse, paraphrase, s’exclame, sourit, livre sa lecture de l’œuvre mozartienne. Il y ajoute une vision amusée voire espiègle. Le morceau a les allures d’une conversation légère, la fluidité du jeu de Bruce Liu fait oublier les difficultés techniques. Que ce soit une note ou une série d’accords arpégés, un rythme simple ou des tempi différents selon main gauche et main droite, peu importe, on est emportés au-dessus de tout cela.

Bruce Liu © Pierre Morales

Oui, mais Chopin, direz-vous, c’est son auteur de prédilection. Peut-être, mais la même verve se retrouve dans l’interprétation de Miroirs de Ravel, cette série sublime de tableautins expressifs où se croisent Noctuelles et Barque sur l’océan. Les Réminiscences de Don Juan de Liszt sonnent en écho aux Variations sur « Là ci darem la mano » de Chopin, mettant en évidence la différence des approches de ces deux virtuoses, l’un qui commente l’œuvre évoquée, l’autre qui s’en sert pour exposer sa maestria, chacun avec le brio et le brillant qui les caractérisent.

Au public enthousiaste le jeune artiste dédie quatre rappels avant de signifier sa fatigue : deux pièces de Rameau, Les tendres plaintes et La poule (rarement on entendit l’oiseau de la basse-cour aussi loquace !), le bouleversant Nocturne n° 20 en do dièse mineur (opus posthume) de Chopin, décliné avec une sobriété qui laisse la pureté des lignes mélodiques se conjuguer au vent dans les grands arbres, avant le clin d’œil aux Études du compagnon de George Sand avec la n°5 op. 10, Sur les touches noires… Le sublime existe, on l’a rencontré !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 25 juillet, au parc du Château de Florans, dans le cadre du Festival international de piano de la Roque-d’Anthéron.

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