Non mais on croyait quoi ? Que Rachida Dati, nommée ministre de la Culture par trois premiers ministres successifs (honneur que seuls Malraux et Jack Lang ont connu), allait comprendre l’inanité du pass Culture, dispositif extrêmement coûteux pour l’État et son ministère ? Et qu’elle allait donc le réformer pour que l’argent public cesse d’alimenter des intérêts privés sans réellement enrichir et diversifier les usages culturels des jeunes ?
Las, comme disaient des poètes que plus personne n’achète, c’était faire crédit à la ministre d’un sens du bien public, du bien commun, qu’on est en droit d’attendre d’un serviteur de l’État. Las, (je persiste), nous avions, dans l’affolante dégringolade internationale vers une intense nazification décomplexée, presque oublié les petits antécédents judiciaro-capitalistiques, somme toute véniels, de la ministre. Certes, elle est mise en accusation, à la demande du parquet national financier pour « corruption et trafic d’influence passifs par personne investie d’un mandat électif public au sein d’une organisation internationale » avec le très aimable, honnête et courageux Carlos Ghosn. Cela n’augure pas vraiment d’un amour illimité pour le bien public et d’une absence d’intérêt pour les capitalistes français, souvent dénigrés. Sérieux, on pensait vraiment que Rachida Dati allait sacrifier les intérêts de la Fnac, de Pathé et d’Hachette pour défendre le service public de la culture et les dispositifs d’éducation artistique et culturelle ?
Financer les bénéfices privés
Le scandale du pass Culture repose sur deux aberrations dénoncées par la cour des comptes. Sa gestion par un organe privé d’un budget presque exclusivement public, et sur lequel l’État n’a pas de droit de regard, en particulier sur la hauteur des rémunérations de ses 190 salariés ; son absence de fléchage des dépenses de la « part individuelle », celle que chaque jeune décide d’utiliser comme il le veut, y compris pour acheter une PS5, faire un escape game ou voir un navet interstellaire. L’argent public, le nôtre, sert donc les intérêts des industries culturelles sans changer les usages culturels, pauvres ou riches, de nos jeunes.
Pourquoi donc se plaindre du brutal arrêt du dispositif ? Parce qu’aux marges de la gabegie les librairies indépendantes constatent aussi un accroissement de leurs ventes grâce au pass Culture, même si une part se concentre sur les mangas et les bestsellers. Mais aussi, surtout, parce que la « part collective » gérée par les professeurs permet aujourd’hui de financer les sorties des élèves, et est devenue importante pour les recettes des théâtres et lieux culturels qui mettent en place des dispositifs à destination des jeunes. En ces temps de disette, cette part de recettes n’est plus négligeable.
Alors que le Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle est violemment attaqué par le Sénat, que les subventions aux associations culturelles et sociales sont en baisse drastique, que les adultes relais sont supprimés par l’État, que les services civiques sont suspendus, c’est toute une chaîne patiemment construite entre les générations, les cultures et les pratiques qui est attaquée, de toute part.
Les capitalistes ont-ils oublié que souffler sur les braises des guerres sociales ne peut, à terme, que desservir leurs intérêts, et nous entraîner tous ensemble vers un nazisme réinventé, que seuls des esprits libres, démocratiques, éduqués, cultivés, savent combattre ?
AgnÈs Freschel
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