L’orchestre de chambre Wiener Concert-Verein a été fondé en 1987 par des membres de l’Orchestre Symphonique de Vienne (Wiener Philharmoniker), qui s’attachent à relier la musique de la grande tradition viennoise classique et la musique contemporaine. Lors d’une soirée d’exception, cette brillante formation dirigée finement par le chef argentin Pablo Boggiano, consacrait la soirée au répertoire viennois du XVIIIe avec trois œuvres de Mozart, si l’on excepte la Romance en fa mineur pour violon et cordes opus 11 de Dvořák. D’emblée, l’attaque aérienne des violons sur la Symphonie n° 51 en ré majeur de Mozart, légère et élégante, donnait le ton. La pièce dont les deux premiers mouvements sont tirés de l’ouverture de l’opéra La finta giardiniera, espiègle et spirituelle à souhait, permettait de découvrir la subtile palette de l’ensemble, son sens des volumes, l’équilibre des pupitres, la verve du phrasé. L’ensemble était rejoint par le violoniste canadien Timothy Chooi – premier lauréat du Concours international de violon Joseph Joachim 2018 à Hanovre, grand prix du Concours international de violon Yehudi Menuhin et Michael-Hill (Nouvelle-Zélande) et du grand prix de la Montréal Standard Life Competition (et tout cela alors que l’artiste est né le 17 décembre 1993 !) – pour le célèbre Concerto n°5 en la majeur K 219, dit « Turc » de Mozart, de décembre 1775.
Pianissimi délicats
Le naturel du jeu, la véritable conversation qui s’instaure entre le soliste et l’orchestre, servent l’expressivité, la rythmique, les couleurs, passant de la mélancolie d’une âme méditative aux élans fiévreux et à des joies communicatives jusqu’aux envolées « folkloriques » du rondeau final qui puise dans l’humus des « turqueries » et des musiques tziganes, effaçant d’un trait de plume les cloisonnements entre musiques populaires et musiques savantes. La Romance en fa mineur opus 11 de Dvořák ouvrait le deuxième volet de la soirée (Le Grand Théâtre renoue avec la tradition des entractes) avec une formation plus restreinte, pour caresser les volutes mélodiques de cette œuvre au ton chambriste. Le soliste développe ici des pianissimi délicats, des emportements fougueux, des notes filées suspendues, des trilles éthérés, complice espiègle de l’orchestre et de son chef. Il se glissera dans le pupitre des violons pour la Symphonie n° 29 en la majeur de Mozart, montrant que sa virtuosité sait aussi bien se livrer à des cadences ébouriffantes qu’à se fondre dans le corps de l’orchestre avec lequel Pablo Boggiano « duettise » passionnément de même qu’avec son soliste.
Ce dernier offre en rappel Le tambourin chinois de Fritz Kreisler, un petit bijou orientalisant d’une époustouflante virtuosité. Le corps entier de l’instrumentiste joue le fil chatoyant de la partition et l’orchestre y trouve un regain d’incandescence. L’humour joue aussi sa partie : Timothy Chooi rejoint le chef avec un triangle sur le dernier rappel, la Pizzicato Polka de Strauss, pour un exercice potache de mime au cours duquel les deux musiciens font s’écrouler de rire le public. Pied de nez définitif à ceux qui dénigrent le « classique » et le croient réservé à une ennuyeuse et pédante élite.
MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 1er février, au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence.