mercredi 18 septembre 2024
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Contre-champ pétrolifère

Le documentaire du duo franco-italien François Xavier Destors et Alfonso Pinto nous transporte dans un territoire sacrifié sur l’autel du dieu pétrole et de l’industrialisation sauvage

Dans la valise du mot Toxicily, il y a « toxic » et « Sicily ». Et c’est le titre que François-Xavier Destors et Alfonso Pinto donnent à leur documentaire. Un titre qui s’affiche en lettres capitales jaunes, fracturées par une faille, sur une image qui semble tirée d’une bande-dessinée de science-fiction : une plage fleurie aux transats accueillants mais vides, la barre d’une apocalyptique raffinerie comme seul horizon et, au premier plan, le squelette disproportionné d’une sorte d’échassier mort-vivant, en marche. Ce sera l’histoire d’un écocide exécuté et subi à bas bruit. L’histoire de ceux qui habitent vaille que vaille un paradis devenu un enfer.

Dans les années 1950, la manne pétrolière promet progrès et prospérité à la population rurale d’Augusta-Priola au nord de Syracuse. Les usines pétrochimiques s’installent et se développent jusqu’à constituer dans les années 1970, le pôle le plus important d’Europe. Mais le diable se trouve dans la boue noire, l’amiante, le mercure s’écoulant dans la rade, les produits hautement toxiques jetés dans des décharges sauvages, s’infiltrant dans les sols, contaminant les légumes, les citrons siciliens, le bétail, la viande et le lait. Le taux de cancers s’envole. Au cimetière d’Augusta, le columbarium dresse son mur de photos de bébés, nés avec des malformations congénitales, qui sourient à la mort. Des enquêtes sont menées, des résistances s’organisent. Les autorités devant l’évidence de la catastrophe instaurent des règlements visant à limiter les pollutions. Aussitôt entravés pour des raisons d’intérêts « stratégiques » nationaux et de chantage à l’emploi. Contournés par un système politico-mafieux. Les mobilisations s’affaiblissent. La plupart détournent le regard ou se résignent : « Si on n’était que victimes, ce serait plus facile », dit un des résidents.

Mort noire

Le film ne prend jamais la forme d’un dossier, d’un procès. Pas de représentants de l’industrie pollueuse-tueuse. Pas de batailles d’« experts » à coups de chiffres et de graphiques. Le monstre industriel reste aveugle, sourd et muet. Filmé souvent de nuit, constellé de lumières, hérissé de cheminées fumantes. Machinerie gigantesque semblant fonctionner toute seule. Le point de vue est celui de ceux qui restent là, avec leur histoire, leurs peurs, leurs contradictions. Ceux qui ont accepté de parler malgré l’omerta imposée par la mafia.

Des survivants comme Andréa, l’ouvrier qui a milité autrefois pour défendre l’environnement, et ne regrette rien de son travail dans la pétrochimie. Nino, l’ancien maçon qui a construit les murs des usines, devenu aveugle, puis écrivain, et qui parcourt les zones détruites en convoquant les souvenirs d’un monde fantôme. Don Palmiro, prêtre sanctionné par sa hiérarchie pour son implication avec les activistes, qui dédie une messe mensuelle aux martyres de l’écocide, morts du cancer, récitant la longue litanie de leurs noms. La jeune Chiara au ventre douloureux, qui a pris « la réalité en pleine figure » en apprenant sa pathologie liée à la pollution, et pense ne plus pouvoir être mère. Avec eux, on découvre les lieux : la plage et l’aire de jeux pour enfants devant les raffineries, les jardins empoisonnés, les ruines d’anciennes installations dans des expéditions clandestines style urbex, entre fascination et répulsion devant la photogénie de la désolation. La volonté selon Francois-Xavier Destors  de faire « un film un peu choral autour du personnage principal qui serait le territoire », un film qui interrogerait plus largement « sur notre manière d’habiter le monde et sur ce que nous sommes capables d’accepter pour survivre ». Saisissant !

ÉLISE PADOVANI

Toxicily, de François-Xavier Destors et Alfonso Pinto

En salles le 18 septembre

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