mercredi 2 octobre 2024
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Dans les éprouvettes de l’insoumission

Laboratoire Poison nous plonge dans les coulisses des luttes décoloniales. Trois heures trente d’intelligence et de déconstruction salutaires

Au premier niveau de lecture, le spectateur non averti pourrait penser que le propos de Laboratoire Poison vise à faire passer les mouvements de résistance pour des paniers de crabes, des groupuscules sans foi ni loi, minés par des individus dont l’unique intérêt est de sauver leur peau quel qu’en soit le prix. Pire : de sous-entendre qu’en chaque militant·e, en dépit des valeurs qu’il prétend défendre dans ses discours ou ses tracts, sommeille un traître. Si tel était le cas, il n’aurait pas fallu 3h30 à Adeline Rosenstein pour développer son analyse. En réalité, c’est tout le contraire que le feuilleton théâtral documentaire de la compagnie Maison Ravage décortique avec une  intelligence déployée jusqu’à son paroxysme. Joués à la suite, les quatre volets de cette pièce hors du commun se fondent sur un postulat non négociable : les régimes d’oppression sont à ce point immoraux et avilissants qu’ils poussent l’opprimé dans ses retranchements les plus déstabilisants jusqu’à le détourner, ne serait-ce un instant, de l’idéal pour lequel il est prêt à sacrifier sa vie. Au premier chef des infamies culmine le colonialisme. Par conséquent, les organisations qui mènent les luttes de libération nationale n’échappent pas à la complexité des comportements et réactions des personnes qui composent tout groupe humain animé par un objectif commun.

Humour didactique
S’appuyant sur un travail de recherches et de collectages titanesque, Laboratoire Poison nous emmène au cœur de différentes guerres et insurrections pour l’indépendance et l’insoumission – en Algérie, au Congo, en Guinée et au Cap-Vert – toutes menées en opposition aux puissances coloniales européennes, qu’elles soient française, belge ou portugaise. Maniant un humour didactique, les douze interprètes dont la narratrice autrice et metteure en scène se glissent dans la peau de dizaines de personnages souvent réels, se les échangent, reproduisent plusieurs fois la même scène, y ajoutant le détail qui en changera la portée et l’interprétation. Aux côtés de héros et héroïnes anonymes ou non, on croise le psychiatre et intellectuel Frantz Fanon, le réalisateur anticolonialiste et communiste René Vautier, dont on redécouvre les déboires avec le FLN, Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République démocratique du Congo, trahi par ses propres alliés pour le compte de la Belgique ou encore un gréviste du Front populaire puis Résistant sous Vichy devenu tortionnaire pendant la guerre d’Algérie… Et le dernier épisode de réparer l’effacement par l’histoire officielle du rôle des femmes dans ces luttes. L’absence sur scène de l’artiste basé à Kinshasa, Michael Disanka,est dénoncée tel un happening, dans un des passages les plus poignants de la pièce. Initialement prévu dans la distribution, un refus de visa l’empêche de se joindre à la troupe. 

Au-delà de la performance, Laboratoire Poison livre une critique lumineuse des contradictions récurrentes et persistantes dans l’histoire de mouvements politiques identifiés comme faisant partie des courants de pensée émancipateurs, face aux actuelles questions sociales, raciales et de genre. Une œuvre d’intérêt public.

LUDOVIC TOMAS

Laboratoire Poison a été joué du 11 au 15 octobre à la Friche la Belle de Mai, en co-réalisation entre La Criée et le Théâtre du Gymnase, à Marseille, et les 20 et 21 octobre au Liberté, scène nationale de Toulon
A venir
Du 16 au 18 novembre
Théâtre des 13 Vents, Montpellier
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