Présenté à la 73e Berlinale, dans la section Panorama, La Salle des Profs du réalisateur allemand Ilker Çatak prend la forme efficace d’un thriller, construit sur un suspense et un crescendo, porté par un casting parfait, sous une lumière froide et blanche. Réaliste, il nous place en immersion dans le quotidien d’un établissement scolaire. Métaphorique et politique, il fait des tensions déchirant ce microcosme, une réplique de celles de la société allemande tout entière.
Carla Nowak (Leonie Benesh) est une jeune enseignante d’origine polonaise. Professeure principale d’une classe de cinquième dans un gymnasium qui prône « la tolérance zéro ». Elle mène sa classe en chef d’orchestre : de la salutation rituelle aux pratiques pédagogiques, tout est réglé comme du papier à musique. Ferme mais juste, exigeante mais douce, à l’écoute de chacun, Mme Nowak est travailleuse, scrupuleuse, consciencieuse. Et la caméra ne la lâchera plus.
De menus larcins, poussent la directrice (Anne-Kathrin Gummich) et certains profs à faire pression sur les délégués pour qu’ils dénoncent leurs camarades. Ali, un élève d’origine turque, est accusé. Le malaise s’installe, sous-tendu par une xénophobie qu’on sent latente alors même que tous s’en défendent. Le doute, la suspicion, les allusions… le ver est dans le fruit. Mais ne l’était-il pas déjà dans le fonctionnement pseudo-démocratique où on encourage les « balances » et où les forts font pression sur les faibles ? D’autres vols suivront dans l’espace sacralisé de la salle des profs. Et l’enquête de Carla fera porter les soupçons sur la secrétaire, Mme Khun (Eva Löbau), mère d’Oskar (Leo Stettnish), le meilleur élève de Carla. Mais l’élément accusateur, lui-même entaché d’illégalité, fait-il preuve ? La question que Carla posait à ses élèves à l’occasion d’un exercice de mathématique entre affirmation et démonstration, lui revient en boomerang.
L’ère du soupçon
Dès lors, l’idéaliste Carla perd le contrôle. Cabale montée par l’accusée, hostilité du collectif des parents et des collégiens, animosité de ses collègues l’accusant de se désolidariser de sa corporation. Plus Carla défend ses valeurs et essaie d’agir selon ses principes, plus elle aggrave sa situation. Plus elle cherche la diplomatie, plus elle attise la guerre. Le réalisateur ne donnera pas de réponses simples à des questions complexes. La fin restera ouverte, entre flous et vitres brouillées par la pluie, entre regards qui fuient ou s’échangent. Carla et Oskar se rejoignant peut-être sur le rubik’s cube du prof, qui se reconstitue sous les doigts du jeune garçon ? Ou sur leur commun refus, digne et obstiné de ce qu’ils croient injuste.
Si les thèmes de la surveillance illégale, de la délation institutionnelle, des vérités fabriquées, des boucs émissaires, des valeurs démocratiques bousculées par les jeux et abus de pouvoir, résonnent sans doute plus fort dans une Allemagne marquée par les totalitarismes et la guerre froide, ils restent d’actualité pour nous tous. À l’heure où l’on parle beaucoup d’éducation civique, le film d’Ilker Çatak montre une école miroir. Et on s’y reconnaît.
ÉLISE PADOVANI