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De l’éternel retour

C’est un programme aérien et d’une certaine gravité qu’a donné l’Ensemble Irini, fondé par Lila Hajosi à la salle Musicatreize ce 22 octobre

L’Ensemble Irini fondé en 2015 par la jeune cheffe, musicologue et artiste lyrique, Lila Hajosi, présentait, après Maria Nostra et O Sidera (deux spectacles gravés respectivement chez l’Empreinte Digitale et Paraty/Pias Harmonia Mundi), son troisième programme intitulé Printemps sacré- Vivre, Mourir, (Re)naître dans l’écrin de la salle Musicatreize. Concocté avec intelligence durant les années confinées, ce nouvel opus rassemble en sa solide charpente des motets sacrés du trop méconnu Heinrich Isaac, peut-être allemand, sans doute né vers 1450 sous le nom d’Heinrich Isaac ou Isaak ou encore Ugonis de Flandria, et assurément mort un 26 mars 1517 à Florence où il officia comme cantor et compositeur au service de Laurent le Magnifique. Avant d’être exilé à la mort de ce dernier en Autriche auprès de Maximilien Ier. Il revint à Florence vingt ans plus tard protégé par le pape Léon X à qui il avait enseigné la musique quand il n’était encore que Giovanni, fils de Laurent de Médicis. Ouf ! Croisées avec les pièces d’Heinrich Isaac, sont présentées des polyphonies extraites de la liturgie orthodoxe géorgienne. Ainsi que l’explique la feuille de salle, remarquablement précise et documentée, la Géorgie « dernier bastion chrétien à l’Est de la mer Noire » vient d’être divisée en trois royaumes à la suite de guerres terribles entre les Turcs et les Perses musulmans au moment où Isaac y est ; cependant, elle saura préserver les canons de sa musique sacrée, « écriture à trois voix, chacune insécable des autres ». Comme aucune partition ou traité ne nous est parvenu, le travail de reconstitution, extrêmement délicat, a été entrepris par des ethnomusicologues internationaux. Ce patrimoine a été récemment consacré par l’Unesco.

 « Déstinées fracturées »
Trois étapes scandent un récit allégorique construit autour de « deux destinées fracturées », celle d’Isaac qui fut un concurrent de Josquin des Prés et connut exil et effondrement de son monde et celle de la Géorgie, terre bouleversée par invasions et sempiternels conflits. Le thème nommé « Vivre » ouvre le concert, nourri des paroles et de l’esprit du Cantique des Cantiques du roi Salomon, ainsi le Tota pulchra es (Tu es toute belle) auquel font écho Shen khar Venakhi (Tu es un vignoble nouvellement fleuri), Saidumlo samotkhe (Tu es un paradis mystique, Ô mère de Dieu ). Vivre est ici synonyme d’aimer : « Mon âme s’est liquéfiée quand mon Bien Aimé a parlé » dit Anima mea, tandis que cet amour divin accorde le repos et la vie éternelle de Ts’midata tana ganu svene. La trame musicale aérienne est empreinte d’une certaine gravité, comme consciente de sa fragilité intrinsèque. Les voix placées avec justesse s’élancent, pures. Parfois un léger vibrato naturel vient les moirer d’un supplément de sens. Le chœur réunit sur la plupart des pièces l’ensemble au complet, mezzo-sopranos, Eulàlia Fantova, Clémence Faber, contraltos, Julie Azoulay, Lauriane Le Prev, ténors, Olivier Merlin, Matthieu Chapuis, basses, Guglielmo Buonsanti, Sébastien Brohier, mais parfois se contente de la présence de quatre ou de six voix. L’originalité de ce chœur réside ainsi dans cette union des voix féminines et masculines que certains puristes s’acharnent à séparer quand il s’agit de musique ancienne. Curieusement les airs de la deuxième partie, Mourir, ont plus d’allant que les précédents, s’emplissent de lumière, consacrant la mort comme un passage, douloureux par les abandons qu’elle implique mais empli de la joie du dévoilement du mystère et du vrai repos. Les mises en terre orthodoxe préparent le tombeau de Laurent de Médicis qui convoque toute une imagerie traditionnelle où les animaux pleurent alors que « le Laurier (est) frappé soudainement par la foudre impétueuse ». Cette étape nécessaire conduit à (Re)Naître, grâce à la Mère de Dieu, la « Théotokos » et surtout à l’éblouissant Virgo Prudentissima d’Heinrich Isaac, véritable chef d’œuvre aux fils sans cesse renouvelés, alternés, tissés, mêlés, repris en une souple circulation entre les différents pupitres. S’en dégage une impression de plénitude qui transporte l’auditoire. 

« Chaque fois que je conçois un programme, je l’orchestre par rapport à un morceau. Ici, tout tend vers celui-là, sans doute l’une des plus belles œuvres polyphoniques jamais écrites », sourit Lila Hajosi à la sortie du concert. Le verbe est musique, somptueux dans ses incandescences.

MARYVONNE COLOMBANI

L’Ensemble Irini a donné Printemps sacré- Vivre, Mourir, (Re)naître, le 22 octobre à la salle Musictreize, Marseille
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