Ils s’appellent Alain, Andrée, Georges, Sarah, Mathias ou Nelly. Ils sont sociologue, femme au foyer, styliste, cinéaste ou professeure. Ils ne se connaissent pas forcément. Mais tous ont un destin en commun. Ils sont enfants de déportés tout comme Danièle Laufer, auteure de Venir après, aujourd’hui publié en poche, dont la mère fut une survivante des camps : « Une mère assez froide et bizarre qui parlait toute seule et ne savait pas aimer ».
Les traces de la Shoah ont impacté la deuxième génération qui n’a jamais connu les camps mais a grandi dans le traumatisme de cette tragédie. Cette génération qui comme leurs parents avant eux a appris à se taire et cesser d’ennuyer avec ses « vieilles histoires » ceux qui disaient qu’il fallait tourner la page que cela ne servait à rien de ressasser, ou pire à ceux qui clamaient : « Vous n’avez pas le monopole du malheur, arrête de jouer les victimes. »
Fantômes en héritage
Danièle, comme les autres, a appris à ne plus parler, taisant ses angoisses extrêmes, traversée par « une mémoire qui ne lui appartenait pas » : son asthme, ses émotions en dents de scie. Mais arrivée presque au bout de sa vie, alors que les derniers survivants disparaissent, « le temps est venu […] de prendre la parole et d’exposer nos cicatrices pour que personne jamais n’oublie ».
Elle a recueilli les témoignages d’une vingtaine de femmes et d’hommes nés de survivants de camps nazis pour qu’ils transmettent ce qui les a « à la fois détruits et construits ». Parce que ces fantômes en héritages peuvent aussi donner une force immense ou une éthique de vie. De l’un à l’autre de ces « enfants de », les récits divergent. Chaque parcours est singulier, chaque histoire unique même au sein des frères et sœur d’une même famille.

Danièle Laufer a ce talent immense de tisser extrêmement finement comme ciselée avec un fil d’or histoires personnelles et collectives. En fine analyste, cette journaliste spécialisée en psychologie, n’encombre jamais ces textes de pathos inutiles, mais écoute, transcrit, décrypte, donne du sens à l’insensé, dans le plus grand respect de ces témoins qui lui ont fait confiance.Du grand art.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Venir après : nos parents ont été déportés de Danièle Laufer
Éditions du Faubourg (poche) - 11 €
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