lundi 14 octobre 2024
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Exils et vertiges

Isabel Coixet, la plus internationale des réalisatrices espagnoles revient au pays pour son dernier film, adapté du roman de sa compatriote Sara Mesa : Un amor

Le récit s’ouvre sur le visage d’une réfugiée africaine en très gros plan. Elle raconte sa fuite devant des terroristes, le massacre des siens, la peur, la douleur. La voix de la traductrice relaie ses propos. Puis en rupture de cadre et d’échelle, nous voilà au-dessus d’une montagne abrupte et du vol circulaire des vautours avant que tout ne s’inverse et que nous nous trouvions au-dessous, au pied de la roche grise, les rapaces collés au ciel. Le préambule du récit est un renversement et annonce le vertige émotionnel qu’Isabel Coixet va nous faire vivre dans Un amor.

Natalia (Laia Costa) trentenaire célibataire était interprète dans une agence de médiation, au comité d’accueil des réfugiés. Elle déserte la souffrance distillée par les demandeurs d’asile, l’horreur de leurs récits, sa responsabilité dans l’instruction des dossiers, et s’installe loin de la ville dans un village montagnard, La Escapa, où elle ne fera plus que traduire documents et textes littéraires. Sans grand moyen, elle loue une vieille maison délabrée, sale, inhospitalière. L’eau du robinet coule noire, la douche fuit, le toit est troué. Les chiens aboient sans cesse. Son propriétaire fait irruption pour recevoir le loyer en billets froissés fourrés dans une enveloppe. Il est odieux, misogyne, menaçant, refuse d’assumer les réparations et lui impose d’adopter un chien hermaphrodite, balafré et traumatisé que Nat finira par aimer.

Dans le village, tout le monde sait tout sur tout le monde. Sous le calme apparent du lieu où tous l’affirment : « on est super bien ». Fermentent la suspicion, l’infamie, le non-dit. Sur le pays tournent l’orage et les oiseaux noirs. On pense au récent As bestas de Rodrigo Soroyen. Territoire délimité, dominé par les pics rocheux, dans lequel vit une communauté restreinte. Parmi elle vit Andréas, (Hovik KeuchKérian) surnommé l’Allemand, un ours solitaire, taiseux, bedonnant, fort comme un roc, qui vend ses légumes et réalise de menus travaux. C’est contre toute attente avec lui que Nat va nouer une relation. « La belle et la bête » dit la réalisatrice. Une relation initiée sur la base d’un deal aussi anti-romantique que possible : le sexe contre la réparation du toit. Puis sur l’addiction de Nat à ce corps puissant, à cet homme-montagne. Natalie et Andreas, deux outsiders, « étrangers » au village, personnages « coixétiens » par excellence dans leur opacité, et l’irréductibilité de leur solitude.

Deux corps

On retrouve dans ce film, des thèmes chers à la réalisatrice : la recherche d’un ailleurs, la fuite qui ne ramène qu’au point de départ, le déracinement (même dans son propre pays), les refuges illusoires – fussent-ils ceux des bras d’un homme désiré. Isabel Coixet excelle dans ces scènes d’amour – on se souvient encore de Sergi López et de Rinko Kikuchi dans Carte des Sons de Tokyo –, alliant la brutalité et le mystère du geste, le grognement bestial et l’imaginaire tellurique, le corps épais de l’un contre celui fragile de l’autre. La caméra ne quitte guère Nat qui parfois se dédouble pour se voir de l’extérieur. Se reconnaît-elle ? La reconnaissons-nous ? Projeter les gens ailleurs, spatialement et émotionnellement, serait un des buts d’un long métrage. Gageons ce pari réussi. « Mon ADN est dans chaque plan de ce film. Je l’ai réalisé pour de nombreuses raisons mais surtout parce que je ne pouvais pas ne pas le faire » dit la réalisatrice. Merci de l’avoir fait.

ÉLISE PADOVANI

En salle le 9 octobre

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