In&Out 2024 programme plusieurs films sur les premiers émois gays ou lesbiens, plusieurs spectacles de marionnettes queer de Johanny Bert, un grand cabaret drag, un DJ set déjanté… La présence de Paul B. Preciado et d’Océan, place la question des hommes trans au cœur des débats. Entretien.
Zébuline. Quelle importance vous donnez à la production de contenus par des personnes trans sur les sujets qui les concernent ?
Océan. Ça me paraît nécessaire, sur tous les sujets qui concernent des personnes qui vivent des discriminations, que le regard porté soit le leur. L’expérience de la minorisation ne pourra jamais être aussi précisément décrite que par celleux qui la subissent. C’est pour cela que j’ai fait Ocean, la première partie, en tant que réalisateur. C’était ça qui manquait. A la télé, les contenus sur les personnes trans étaient toujours réalisés par des personnes cis avec un regard altérisant, où le personnage transgenre est perçu comme autre, étrange, une petite chose qui se cache et qu’il faudrait aller débusquer sous les feuillages dans une forêt secrète.
Il y a une perspective d’empouvoirement à raconter sa propre histoire, à poser un « trans-gaze » sur nos vécus, mais aussi sur les personnes cisgenre qui nous entourent. Nous sommes toujours scrutés comme une anormalité, il faut nous emparer de cette question de norme, la déplacer. C’est ce que je développe dans ma conférence au Liberté : changer de point de vue, c’est renverser la normalité.
Dans votre série, vous montrez la violence des discours médicaux, familiaux, la violence du parcours administratif à l’égard des personnes transgenres, vous visibilisez ce que l’on vit habituellement dans une grande solitude. Pourquoi donner à voir cette violence malgré la vulnérabilité qu’elle fait apparaître ?
J’ai toujours eu une volonté pédagogique. Déjà dans La Lesbienne invisible, mon premier spectacle, déconstruisait les clichés sur les lesbiennes, et Chaton violent sur le racisme. C’est important pour moi, il faut continuer à créer des ponts, avec humour, et bienveillance. Pour donner un exemple précis, quand je filmais ma mère, dans la série, qui me disait des choses très dures, très problématiques, puisque c’est là où elle en était, le fait de la filmer me donnait tout à coup beaucoup de force. Elle me disait des horreurs et moi je pensais « Ah ça, ça va être une super séquence! », ça donnait tout à coup une fonction, une utilité à sa violence. Ça pouvait permettre à d’autres de comprendre ce qu’on vit.
Le processus créatif c’est un peu comme une armure pour moi. Chaque fois que je filme la violence, les choses difficiles que je peux subir, je leur donne du sens. Cette vulnérabilité, je dirai que c’est un endroit de reprise de contrôle, de pouvoir. Créer des objets artistiques me permet de transformer la violence en matière pédagogique, instructive, drôle et, d’une certaine manière, de la transcender.
Qu’est-ce que vous pensez de l’évolution des représentations transgenres au cinéma ces dernières années?
J’ai le sentiment qu’il y a un double mouvement. A la fois positif parce qu’il y a de plus en plus de personnages transgenres et une plus grande réflexion sur leur représentation. On arrête petit à petit de faire jouer des personnages trans par des personnes cisgenres par exemple, ce qui n’était pas du tout le cas il y a 10 ans. Mais j’ai l’impression que ça n’avance pas assez vite. C’est compliqué de dissocier la question de la représentation de celle de la réalisation. Ça ne suffit pas d’avoir un personnage trans dans un film, une série, parce que c’est « cool » ou qu’on va se dire que ça fait « moderne » de traiter ce sujet. Ce qu’il faut, c’est plus de réalisateur·ices trans, mais aussi plus de réalisateur·ices et de scénaristes queer, racisé·es, plus de femmes.
Les personnages minorisés sont souvent décevants parce que ce ne sont pas des personnes concernées qui les écrivent. Moi je suis très en distance, pour ne pas dire fâché, par exemple, avec Emilia Perez [Lire notre critique du film ici, ndlr]. Je trouve que c’est un film très problématique et ça m’accable de voir tout ce qui ne va pas dans sa représentation de la transidentité. Même si je suis très heureux pour Karla Sofía Gascón, de voir sa carrière d’actrice propulsée de cette manière, je trouve que ce film ne va pas du tout. J’ai envie de dire « Laissez tomber la représentation, arrêtez d’essayer d’écrire des personnages trans, vous faites n’importe quoi. Laissez-nous faire, ça sera bien mieux fait ».
Le problème c’est que la transidentité est aussi un facteur de précarité. Peu de personnes trans ont la possibilité de faire des études et de se professionnaliser dans le cinéma. C’est en train de changer, je vois de plus en plus de chef·fes opérateur·ices concerné·es, de jeunes qui commencent à réaliser aussi. Je pense que les films fabriqués par des personnes trans, des personnes concernées arriveront petit à petit, et que les personnes cisgenres qui veulent traiter de ces sujets se renseigneront mieux et plus. Mais pour l’instant, cette maladresse dans la représentation et l’écriture de ces personnages nous retient encore.
Entretien réalisé par NEMO TURBANT
Au programme
- Normal, Compagnie de l’Echo, spectacle déjeuner le 19 novembre, Théâtre Liberté
- Genres, sexualités, désirs et fantasmes, conférence d’Océan le 19 novembre, Théâtre Liberté
- Océan, film et rencontre avec Océan, le 20 novembre, Théâtre Liberté
- Young hearts, film d’Anthony Schatteman les 21 et 22 novembre, Cinéma le Royal
- Les 12 travelos d’Hercule, cabaret drag de En petit comité, le 21 novembre, Châteauvallon
- Hen, marionnette non binaire de Johanny Bert, du 22 au 27 novembre, Théâtre Liberté
- Orlando, ma biographie politique, film et rencontre avec Paul B.Préciado, le 23 novembre, Théâtre Liberté
- La Bella estate, film de Laura Luchetti, le 26 novembre, Cinéma le Royal
- Baby, film de Marcello Caetano, le 28 novembre, Cinéma le Royal
- La nouvelle ronde, adaptation bisexuelle, asexuelle ou transgenre de la Ronde par les marionnettes de Johanny Bert, le 29 novembre, Châteauvallon
- Queer et marionnettes, rencontre avec Johanny Bert, le 30 novembre, Théâtre Liberté
- Débandade, spectacle sur les stéréotypes masculins d’Olivia Grandville, le 30 novembre, Théâtre Liberté