mercredi 2 octobre 2024
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Flambée des prix de l’énergie : bientôt la panne sèche ?

L’augmentation des coûts énergétiques, conjuguée au contexte inflationniste général, impacte durement les lieux et opérateurs culturels. Face à l’explosion des factures et à la crainte de voir la situation perdurer avec des budgets constants, c’est le cœur même de leur activité qui est parfois sanctionné

Après le Covid, la crise énergétique. Et les factures de gaz ou d’électricité d’atteindre des montants historiquement élevés. Qui doublent, qui triplent… qui quintuplent dans certains cas ! De 23 000 euros à 115 000 pour La Criée, à Marseille. De 18 000 à 74 000 pour le Jeu de Paume à Aix-en-Provence. De 50 000 à 190 000 pour Paloma, à Nîmes. Au 6mic, salle de concert aixoise, l’addition électrique bondit de 150 000 euros. « Le contrat avec notre fournisseur arrivant à échéance au 31 décembre, on a réussi à négocier un tarif multiplié par quatre contre une première proposition qui l’aurait multiplié par huit », confie Stéphane Delhaye, le directeur. Face à des dépenses impondérables qui bouleversent à ce point les équilibres budgétaires, que faire ? Augmenter les prix des concerts ? Inenvisageable. « Il est encadré par un cahier des charges dans le cadre de notre délégation de service public et c’est bien normal. Et même si les prix étaient libres, on ne pourrait pas faire supporter une augmentation au public, déjà que remplir les salles est compliqué, avec une fréquentation en baisse 30% au niveau national par rapport 2019, année de référence pré-Covid », défend Stéphane Delhaye. La décision prise par 6mic est bien plus drastique : la salle fermera ses portes pendant quatre semaines, du 22 janvier au 16 février.

De l’énergie et du désespoir
Si sa consœur nîmoise n’a pas pris la même direction, l’ambiance n’est pas beaucoup plus enjouée à Paloma. « Même si on essaie de préserver au maximum le projet artistique et culturel, on n’a pas d’autres solutions que de taper dedans pour absorber les augmentations », indique Aurore Becquet, administratrice. Lors de son dernier conseil d’administration, la Smac (Scène de musiques actuelles) de Nîmes Métropole a annoncé pour 2023 un déficit de 500 000 euros si elle menait la même activité que l’année qui se termine ! « Pour que nos décisions économiques ne nous coupent pas de nos publics d’avenir, nous avons retravaillé notre budget en essayant de préserver les pôles accompagnement artistique et action culturelle. Sinon, c’est la double peine… » Résultat : vingt dates seront supprimées. Essentiellement des concerts grand public, avec des têtes d’affiche, afin de ne pas pénaliser les groupes en découverte. « Sur une programmation annuelle de 160 spectacles, ce ne sera pas très visible », se rassure Aurore Becquet. Autre conséquence directe de l’inflation, une augmentation sensible du prix des consommations : un euro sur les boissons alcoolisées et 50 centimes sur les soft. Mais malgré ces mesures, 100 000 euros restent à trouver pour équilibrer les comptes. Et Paloma d’espérer les éponger grâce à des subventions exceptionnelles des collectivités.

Solliciter des subventions en hausse auprès des institutions de tutelle est l’une des rares pistes pour ces établissements au pied du mur. Au moins « pour pouvoir passer l’année, en espérant que les tarifs du gaz et de l’électricité finissent par baisser », témoigne Alexandre Madelin, administrateur de La Criée depuis 2009. Et le théâtre national de Marseille de tabler également sur « l’amélioration de ses installations qui sont d’origine et très énergivores. Nos équipements sont obsolètes – les chaudières datent des années 80 – et il existe des systèmes beaucoup plus efficients aujourd’hui qui nous permettraient de diminuer notre consommation de 50% ». Si rien n’était amené à évoluer, le théâtre devrait lui aussi tailler de 30 à 35% dans sa marge artistique soit un tiers de spectacles en moins.

Doudounes sans manche
L’inflation ne distinguant pas le public du privé, même la solide entreprise de Dominique Bluzet voit l’avenir s’assombrir. Dans un courrier adressé à la ministre de la Culture, le directeur des Théâtres avance plusieurs suggestions parmi lesquelles une diminution de 30 % de la consommation électrique par représentation. « Ça ne changerait pas grand-chose à la qualité des œuvres. D’ailleurs on utilisait beaucoup moins de projecteurs il y a trente ans et je ne suis pas sûr que les spectacles étaient moins bons ! » Et de reconnaître que « toute l’aventure esthétique du théâtre des quatre dernières décennies est remise en question par ces sujets-là ». Quant aux salariés qui « ont froid », l’entrepreneur culturel a prévu d’offrir « des doudounes sans manche »… Aux grands maux, les grands remèdes. « Il faut qu’on se prenne tous en main pour trouver chacun à notre endroit des solutions. Si je ne suis pas inquiet, je suis sceptique : où est notre marge de manœuvre ? ». Comme les autres, Les Théâtres devront réduire la voilure. 

Comme tout bâtiment public relevant de l’État, le Mucem applique le plan de sobriété exigé par le gouvernement. « On a des consignes claires sur les températures : 19° l’hiver au lieu de 20 auparavant et 26° l’été au lieu de 24. Cela implique une baisse de confort pour les agents », indique Sébastien Dugauguez, responsable du département des bâtiments et de l’exploitation du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Objectif : diminuer de 10% la consommation par rapport à 2019. Mais contrairement au public, les œuvres requièrent des conditions de conservation qui limitent la marge de variation des températures. Autre mesure : les utilitaires seront réduits et remplacés par des véhicules de critère 1.

S’en remettre à l’État ?
Du fait de sa construction relativement récente, le Mucem est énergétiquement vertueux par nature. Ce qui est loin d’être le cas de la majorité des bâtiments culturels. Un point soulevé par la Fédération nationale des collectivités pour la culture. Réunissant de nombreux·ses élu·es à la culture, celle-ci appelle à des réponses sur le long terme, pointant dans un communiqué l’urgence d’« adapter le patrimoine à la transition énergétique et au changement climatique ». Un chantier colossal qui pose une fois encore la question des moyens : « Scènes de musiques actuelles, cinémas, théâtres, bibliothèques…, la liste est longue des équipements culturels construits avant que n’entrent en vigueur les normes actuelles d’économie d’énergie. Et là encore, la hausse des prix de l’énergie jointe à l’inflation gonfle le coût des travaux tout en multipliant par deux le poids en fonctionnement de ces équipements », rappelle la FNCC. Vice-président de cette fédération et également maire adjoint de Martigues en charge notamment de la culture, Florian Salazar-Martin « demande une régulation des tarifs de l’énergie par l’État car aujourd’hui c’est la loi du marché qui décide et il n’y a pas de compensation ». Dans sa commune aux équipements culturels municipaux importants, ce sont les finances de la Ville qui assument l’augmentation des fluides. « Ces frais ne sont pas retranchés aux subventions de fonctionnement qu’on leur attribue. On ne fermera rien et on ne va pas diminuer quoi que ce soit au niveau des services et des horaires d’ouverture. C’est important au moment où on a besoin de se retrouver dans ces lieux », précise-t-il, faisant référence à certaines villes contraintes à des fermetures partielles de sites comme les musées ou les bibliothèques.

Alors que la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur a récemment annoncé une enveloppe de deux millions d’euros pour aider les festivals à prendre en charge les questions de sécurité tandis que les forces de l’ordre seront accaparées par les Jeux olympiques de 2024, faut-il attendre encore des collectivités territoriales qu’elles mettent la main à la poche pour limiter l’impact des coûts énergétiques sur les structures culturelles ? « Pourquoi pas un fonds régional de solidarité mais ce ne serait pas très juste politiquement, estime Florian Salazar-Martin. C’est plutôt à l’État d’intervenir comme il l’a fait légitimement avec le « quoi qu’il en coûte ». On n’est pas encore dans l’après-Covid et le secteur reste fragile. Les collectivités réagissent bien aux besoins de la culture mais elles ne peuvent pas se substituer à l’État quand le problème vient du prix de l’énergie. Chacun doit jouer son rôle ».
Car contrairement à l’épisode pandémique, cette nouvelle crise ne voit toujours pas de mesures d’accompagnement nationales concrètes qui permettraient de limiter la casse. Il y a urgence : la seule équation sobriété et doudoune ne fera pas des miracles.

LUDOVIC TOMAS

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