De la rigueur iconoclaste d’Herman Schmerman aux échappées chorégraphiques de See You, la Salle Garnier de Monaco a offert un diptyque où la danse se libère
Les Ballets de Monte-Carlo ont ouvert la soirée avec une œuvre de William Forsythe. Créé en 1992 pour le New York City Ballet, Herman Schmerman est un manifeste chorégraphique iconoclaste.Le titre est déjà une déclaration d’intentions : « c’est un titre charmant qui ne signifie rien. Le ballet ne signifie rien non plus. Ce sont juste cinq danseurs talentueux qui dansent », déclarait Forsythe à la création. Derrière cette apparente désinvolture se cache une révolution esthétique qui a bouleversé le paysage chorégraphique néoclassique.
La première partie est un quintette pour trois femmes et deux hommes. Les danseurs, vêtus de justaucorps noirs évoluent sur un espace scénique épuré concentrant les regards sur le mouvement. Forsythe y déploie son langage de déconstruction de l’académisme en se réappropriant les figures classiques. La musique électronique de Thom Willemsimpose une rythmique instable, martelée, qui génère une tension permanente.
Puis vient la rupture. Ajouté quelques mois après la création initiale, lors de la reprise par le Ballet Frankfurt, le pas de deux final forme un contraste saisissant. Après l’austérité, place à la fantaisie. Le binôme, interprété par Juliette Klein et Simone Tribuna, tous deux en jupettes jaunes, annonce le triomphe de la joie. Si la virtuosité masculine domine la première partie, le pas de deux inverse les rapports : la danseuse s’émancipe, domine même. Les rôles s’échangent et se brouillent.
See you
C’est le ballet See You du chorégraphe Paul Lightfoot qui attend le public en seconde partie. Cette création se distingue par sa forte dimension visuelle. Elle débute dans la salle : un à un ou en duo, les danseurs montent sur scène après quelques figures et se glissent derrière le lourd rideau moiré rouge et or, encore fermé. Lorsque les dix interprètes l’on tous franchi, il s’ouvre brutalement. Se révèle en fond de scène un ensemble instrumental – cordes et piano. Les danseurs, dos au public, le contemplent.
Deux univers se superposent alors. Le premier est immuable comme ce tableau de l’orchestre statique, vers lequel les danseurs semblent par moments attirés, aimantés. Il interprète en live la musique méditative de Max Richter. Le second est une douce folie chorégraphique qui se déploie en avant-scène sur les chansons au lyrisme onirique de Kate Bush : Wuthering Heights, mais aussi Jig of Life, gigue irlandaise pop-rock. Les deux mondes se télescopent dans un va-et-vient entre agitation et apaisement. Avec son esthétisme noir et blanc, ce ballet évoque les années 1980, celles de la new wave et de ces clubs où l’on dansait côte à côte, où l’on se croisait, s’effleurait sans jamais se rencontrer intimement, unis seulement par une fraternité générationnelle aussi forte que fébrile.
C’est finalement l’amour qui fait sortir les danseurs de scène. Une caméra filme deux couples qui s’éloignent : sur grand écran, on suit leur évolution. Ils ont rejoint la terrasse du Casino de Monte Carlo. Ils sont de dos pour nous, public. Ils regardent la Méditerranée, l’horizon. L’instant est sublime. Ils ont quitté la représentation. La vie réelle commence-t-elle là où la scène s’arrête, ou notre existence n’est-elle qu’une longue représentation ? interroge Lightfoot. Magie de la langue, See you en anglais veut aussi dire… À bientôt.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Le spectacle s’est déroulé le 23 octobre, salle Garnier, Monaco.
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