Mêlant récital pour piano et musique de chambre, le concert du premier août du Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron offre un plateau d’exception. Au piano de Bertrand Chamayou se joignent les archets du Quatuor Modigliani. En ouverture, les Variations en fa mineur de Haydn, ou Andante con variazioni « Un piccolo divertimento » (dernière œuvre pour piano du compositeur) dont les deux thèmes sont issus de son opéra L’anima del filosofo, met en lumière la subtilité du jeu de l’interprète, nuancé, précis, délicat, délié, laissant entendre les transparences, sachant s’effacer devant la partition. Le dialogue entre les thèmes mineur et majeur s’accorde à une mélancolie tendre qui soutient la clarté d’une renaissance, tandis que la toccata finale éblouit par sa liberté qui ferait croire que le passage est improvisé. La fluidité et l’élégance du piano trouvent un interlocuteur à sa taille avec le Quatuor Modigliani dans le Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur opus 44 de Robert Schumann, œuvre fondatrice dans l’histoire de la musique car première de la période romantique écrite pour cette formation. Les quatre instruments italiens, violon de Guadagnini de 1773 (Amaury Coeytaux), violon de Guadagnini de 1780 (Loïc Rio), alto de Mariani de 1660 (Laurent Marfaing), violoncelle de Matteo Goffriller « ex-Warburg » de 1706 (François Kieffer), sonnent comme s’ils avaient été taillés dans le même arbre. Instrument unique aux voix multiples qui émergent du tronc central, large, profond, aux couleurs somptueuses.
La brillance du piano sait s’entrelacer aux respirations des cordes frottées, les écoute converser, reprend le thème, donne le ton. Les effets sont ménagés, cèdent à la théâtralité du moment, se ressaisissent, espiègles, s’amusent avec le public, miment, archets levés, une fin susceptible de convoquer les applaudissements, un regard malicieux, et les voilà qui reprennent le fil lumineux de leurs propos.
Tarentelle macabre
Les pages du Quatuor à cordes n° 14 en ré mineur D.810, « La Jeune fille et la Mort » de Schubert soulignent la cohésion de l’ensemble, soudé dans un climat spirituel charpenté par la figure de la Mort qui hante les quatre mouvements. La lutte menée contre la Mort, la course folle qui entraîne les deux personnages dans un tourbillon implacable, danse macabre terrifiante sur un rythme de tarentelle, la tension sensible de ce cauchemar peuplé d’ombres, s’achèvent en deux accords qui scellent le destin. La puissance de l’œuvre, orchestrée en cinq variations autour du thème extrait du lied Der Tod und das Mädchen écrit en 1817 sur un poème de Matthias Claudius, est transcrite dans ses moindres nuances, bouleversante de justesse.
Face à l’ovation d’un public transporté, le Quatuor offre un bis, « ce qui est à l’encontre de nos habitudes », sourit Loïc Rio. Le deuxième mouvement Andante con moto du Quartet n°4 en do majeur de Schubert (le Quatuor Modigliani a enregistré chez Mirare l’intégrale des quatuors de Schubert dans un coffret de cinq disques intitulés respectivement Harmonie, Art du chant, Classicisme, États d’âmes, Clair-obscur) décline ses harmonies rêveuses dans la douceur du soir. Accord parfait !
MARYVONNE COLOMBANI
Bertrand Chamayou et le Quatuor Modigliani se sont produits le 1er août, à la conque du parc de Florans, dans le cadre du Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron.