mardi 7 mai 2024
No menu items!
spot_img
AccueilNos critiquesOn y étaitHaendel sur un plateau

Haendel sur un plateau

Eva Zaïcik et l’ensemble du Consort ont plongé les spectateurs des Musicales du Luberon au cœur de la musique baroque, revisitant les œuvres de Haendel, Ariosti et Bononcini

Les Musicales du Luberon ont le talent de trouver des lieux qui s’accordent aux concerts programmés. L’église de Bonnieux recevait la mezzo-soprano Eva Zaïcik et le délicat ensemble Le Consort (composé de jeunes musiciens aux parcours brillantissimes et aux carrières déjà internationales), dirigé par le claveciniste Justin Taylor.

Le programme consacré à Haendel est joué sur instruments anciens ou copiés sur des modèles du passé. Le clavecin de Justin Taylor a été construit d’après un instrument de 1728, Sophie de Bardonnèche joue sur un violon Antonius & Hieronymus Amati de 1596, Roxana Rastegar, un violon de 1741 signé François Vaillant. Les instruments de belle facture d’Hanna Salzenstein (violon), Mathurin Bouny (alto) et Michele Zeoli (contrebasse), apportent leurs couleurs à cet ensemble remarquablement homogène de magnifiques solistes. Nous voilà transportés aux premières heures de la Royal Academy of Music, compagnie fondée en février 1719 par un groupe d’aristocrates qui souhaitaient par ce biais assister régulièrement à des représentations lyriques. À cette époque, un certain Georg Friedrich Haendel résidait à Cannons après avoir passé quatre ans en Italie. Il devint le directeur musical de cette académie et fut chargé de se rendre sur le continent pour y engager les meilleurs chanteurs (il paraît qu’il devait ramener à tout prix le célébrissime castrat Senesino). Ainsi furent commandées aussi des œuvres aux plus grands compositeurs de l’époque, Haendel bien sûr – qui composa quatorze opéras pour la Royal Academy – mais aussi Attilio Ariosti et Giovanni Bononcini.

Haendel, Zaïcik et Consort

Sans nul doute, le subtil et prolifique compositeur eut ramené en Angleterre Eva Zaïcik tant la voix de la jeune interprète est ample, souple, élégante. Après une vive entrée en matière avec l’ouverture orchestrale de Rinaldo (Haendel, 1711), dont la menée magistrale nous ferait douter de notre envie d’écouter une voix humaine, la mezzo-soprano entre en scène sur le Sagri Numi (Caio Marzio Coriolano d’Attilo Ariosti, 1723, Vetturia implore les dieux de défendre son fils innocent) et soudain le sublime devient évident. La mélodie coulée dans le bronze de la voix prend une éloquence nouvelle. Colonne parfaite, le souffle se sculpte, épouse les ornementations, aborde avec une confondante égalité notes suivies et écarts impossibles, se meut théâtral dans Svegliatevi nel core (Giulio Cesare in Egitto, Haendel). Bouleverse avec Lascia ch’io pianga (Rinaldo, Haendel), brosse un tableau guerrier imagé sur L’aure che spira (Guilio Cesare in Egitto), graves superbes, expressivité, allant. Chaque œuvre se dote d’un relief neuf. Eva Zaïcik campe ses personnages, voici Matilda sœur du roi Ottone, amoureuse de Adalberto bien qu’il l’ait trahie (Ah tu non sai), le cœur meurtri de Bononcini de Strazio, scempio, furia e morte (Crispo), ou encore Déjanire qui vient de se rendre compte de sa méprise tragique qui lui a fait tuer Hercules (Haendel) et qui sombre dans la folie. Son air Where shall I fly est un sommet du concert, les furies s’abattent sur le personnage qui, à l’instar d’Oreste, voit les serpents qui sifflent sur les têtes des déités des Enfers. La variété des morceaux choisis, leur pertinence, offrent une palette d’une infinie richesse, jusqu’à la reprise « arrangement maison », sourit Justin Taylor de la Passacaille de Haendel, qui se joue avec espièglerie du style grandiose que le XIXe siècle lui a souvent imposé. Le public se précipite à la sortie sur le deuxième disque d’Eva Zaïcik et du Consort, baptisé Royal Haendel, une pépite parue récemment chez Alpha.

MARYVONNE COLOMBANI

Eva Zaïcik et Le Consort ont joué le 19 juillet à l’église basse de Bonnieux, dans le cadre des Musicales du Luberon.

Article précédent
Article suivant
ARTICLES PROCHES
- Publicité -spot_img

Les plus lus