mardi 14 mai 2024
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Intenses et grandes petites

Les Majorettes de Montpellier ont bouleversé le public du Zef, scène nationale de Marseille, par leur charisme, et la juste tendresse du chorégraphe Mickaël Phelippeau

On l’oublie mais la notion même de « majorette » est un oxymore, la contradiction en un terme du grand, militaire et viril « major », et de « ette », féminin diminutif. Mickaël Phelippeau, qui aime à s’approcher des pratiques artistiques et sportives populaires pour exposer doucement, pudiquement, l’intimité des êtres, ne pouvait que s’intéresser à ce paradoxe vivant. 

Dès leur entrée sur scène les Major’s Girls sont bouleversantes. Leurs corps maigres ou franchement ronds, leurs visages marqués par le temps, la chirurgie et le maquillage, sont surprenants d’intensité. Elles défilent, longuement, fortes d’une expérience à toute épreuve, fatiguées cependant par les ans. Car les plus jeunes de la compagnie ont plus de quarante ans, et sont pour la plupart les filles des anciennes, 70 ans, qui ont fondé la compagnie en 1966. Et qui sont toujours là, menant toujours une troupe qui a 60 ans d’âge moyen. 

Jusqu’au bout

On apprendra ces détails biographiques plus tard, quand elles parleront d’elles, succinctement, entre deux numéros. Leurs voyages, le luxe d’un hôtel, des réceptions qu’on leur réservait, l’évocation des tournois, des strass d’un défilé, contrastent avec l’apéro chips qu’elles partagent, le divorce, la FIV, les difficultés qu’elles évoquent, leur condition de femmes qui traversent la vie et vieillissent.  Leurs propos sont magnifiés dans leur geste, ce bâton qu’elles peinent parfois à rattraper, ces pas martiaux exécutés par des cuisses chatoyantes, ces paradoxes, encore, des femmes de caractère. Et leurs moments de joie, les petits enfants qui viennent saluer avec elles, le rapport fille-mère tendrement dansé, le beau chauffeur moustachu épousé (« mon père », précise la fille). 

Pourquoi restent-elles majorettes ? C’est leur famille, leur fierté, leur fenêtre sur le monde, leur ciel étoilé. Elles seront ensemble jusqu’au bout jurent-elles, jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus bouger. Avec la capitaine, fondatrice de la compagnie à 16 ans en 1966 (oui oui, 73 ans), qui fait virevolter son bâton à une vitesse folle, tout autour de son corps solidement debout.

Après avoir abandonné l’uniforme pseudo militaire et pris des habits de ville pour parler d’elles, elles enfilent l’uniforme libre, noir et jaune, que Michel Phelippeau affectionne. Débarrassées des oxymores, magnifiquement humaines.

AGNÈS FRESCHEL

Majorettes, créé lors du festival Montpellier Danse 2023, a été joué le 8 décembre au Zef. Il sera repris le 1er juin au Pavillon Noir, Aix en Provence.
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