vendredi 26 avril 2024
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Interpréter Chopin 

Bruce Liu à la Roque d'Anthéron, un concert d'anthologie avec l'Orchestre Philharmonique de Marseille dirigé par Lawrence Foster

Les gradins du parc de Florans étaient combles pour assister au retour de Bruce Liu qui avait conquis La Roque d’Anthéron le 25 juillet 2022 (journalzebuline.fr/bruce-liu-une-revelation-a-la-roque/) avec le même piano, un Fazioli de concert, sur lequel il avait remporté le 18ème concours international Frédéric Chopin de Varsovie en 2021. 

L’Orchestre Philharmonique de Marseille, créé en 1981 par Janos Furst, offrait avec ses quatre-vingt-huit musiciens un écrin particulièrement heureux aux traits pianistiques du jeune artiste. Sous la houlette de Lawrence Foster qui a propulsé cette belle formation à un niveau international, l’orchestre s’attachait d’abord à l’Ouverture de Guillaume Tell de Rossini, démonstration de l’étendue de sa palette au fil des quatre parties de la célèbre partition : incipit par les premières notes veloutées du violoncelle solo, calme alpin des montagnes suisses en un quintette arpégé empli de lyrisme, tempête orageuse peinte par les trémolos des violons, le crescendo de l’orchestre, le déchaînement des cuivres, le retour à un paisible tableau pastoral où le cor anglais réitère un « ranz des vaches » que la flûte vient bercer avant le brillant et brusque fortissimo d’une cavalerie (sans doute le passage le plus connu !), les galops s’éloignent puis éclatent en une étourdissante coda avant l’exultation finale et victorieuse.  

Double défi 

À la demande du directeur artistique du festival, René Martin, Bruce Liu avait accepté le pari impossible d’enchaîner les Concertos n° 1 et n° 2 de Chopin, une véritable prouesse physique (un marathon musical aux infinies exigences !).  Le pianiste retrouvait un Fazioli pour l’occasion (pas « le » Fazioli du concours cependant) dont les sonorités moelleuses se marièrent à la finesse du jeu tout à la fois, élégant, virtuose, dépouillé, de l’interprète qui, s’il prit quelques libertés avec le texte, rendit avec justesse l’esprit du compositeur, tel que la légende nous l’a transmis. Après une introduction orchestrale de quelques trois minutes, le piano entre en scène sur le Maestoso du Concerto n° 2 en fa mineur opus 21 (oui, foin des élucubrations mathématiques, le deux a été chronologiquement composé avant le un, et la soirée redonnait sa place temporelle aux deux œuvres !).  La solennité du début cède vite le pas à un chant intime. « Il faut chanter avec les doigts » disait le maître polonais à ses élèves. Bruce Liu en apporte l’éblouissante démonstration : pas de recherche de virtuosité tonitruante, le jeu est tout de simplicité, d’évidence. Le chant du piano a le ton d’une conversation semée d’orages passionnés… la légende veut qu’à l’époque de la composition de ce concerto, Frédéric Chopin était amoureux de Constance Gladkowska, chanteuse rencontrée au Conservatoire de Varsovie (même si la dédicace est au nom de la comtesse Delphine Potocka). Peu importent les potins ! Le deuxième mouvement, Larghetto, a les couleurs d’un nocturne aux variations lyriques dont les phrasés s’achèvent en murmures. Le piano chuchote, habité des frémissements mouvementés d’une âme, le fil musical tutoie l’infime et l’universel tout à la fois, se lie au chant des cigales. L’allegro vivace retrouve une respiration échevelée emportée par un rythme de mazurka dans le ruisseau fougueux des notes. 

Le deuxième Concerto, le n° 1 en mi mineur opus 11, plus ample que le précédent est teinté d’un climat pensif où le piano love ses modulations comme de délicates improvisations. Le cor occupe une place toute particulière sans doute pour sa sonorité pastorale qui renvoie au paradis perdu d’une utopie joyeuse de la campagne. La romance du deuxième mouvement prend des allures de rêverie onirique. Le jeune interprète apporte sa lecture fine à l’œuvre, inclut l’assistance dans sa rêverie, dans le filet arachnéen des inflexions de son jeu. La complicité entre l’artiste et le chef d’orchestre est sensible, l’un séduit par l’autre. Lawrence Foster au pas duquel le jeune homme adaptera le sien lors de leur départ, adressera un clin d’œil espiègle au pianiste lors d’un passage particulièrement réussi. La légèreté de cette musique s’accorde aux souffles du vent dans les grands arbres du parc, tout n’est plus que vibration, échos, ondes spirituelles où affleure parfois un discret amusement. En bis, avant de mimer son besoin de repos, Bruce Liu offrira le Prélude en si mineur BWV 855 de Bach et la Valse en ré bémol majeur (« valse minute ») de Chopin. Nuit enchantée ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 30 juillet au Parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron     

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