On nous aurait menti. Les Fables de La Fontaine, monument national littéraire contribuant à la fierté de la culture française, ont été inspirées, en partie, par des œuvres venus d’Orient. Et pas seulement de Grèce antique par l’entremise d’Ésope. Certains de ces apologues, modèles du français classique, qui ont initié des générations d’enfants de la République à la lecture et au goût pour les lettres, trouvent en effet leur origine dans une tradition indienne apparue en l’an 300 avant notre ère, sous la plume d’un certain par Pilpay, de la caste hindouiste brahmane, auteur d’un recueil intitulé Pañchatantra. Stream of stories, on nous l’a dit et on l’a cru raconte cette histoire d’œuvre voyageuse que l’on serait tenté de taxer ironiquement d’appropriation culturelle. Mais le propos de la pièce évacue toute polémique identitaire.
Langue douce et poétique
Seule en scène, la comédienne et metteure en scène Clara Chabalier déroule un conte pour enfant, à la manière d’une enquête sobrement didactique, dans une langue douce et poétique, co-écrit avec Katia Kaméli et Chloé Delaume. Au fil du récit, la narratrice déplie des tapis aux motifs évoquant cet Orient inspirateur que la culture européenne a voulu camoufler par orgueil mal placé. De ses étoffes colorées, elle constitue un territoire imaginaire bigarré où circulent, se partagent et se métamorphosent les œuvres, au gré des conquêtes et des échanges. Un espace créatif qui ignore la notion de frontière, d’Orient et d’Occident, ou de patrimoine national. L’Inde, la Perse, la conquête arabe, les traductions grecque, latine et même anglaise à l’époque d’Henri II… Avant d’arriver dans les salons littéraires parisiens du XVIIe siècle, les fables en auront traversé des siècles et connu des adaptations.
« Est-ce qu’on nous l’a caché ? »
En ouverture de la pièce, une vidéo nous introduit dans un pique-nique au pied d’une barre d’immeuble, dans une cité de Seine-Saint-Denis. Des adolescents incarnant la diversité de la jeunesse française découvrent l’origine des Fables qu’aucun·e enseignant·e leur a révélée. « Est-ce qu’on nous l’a caché ? Ou les maîtres d’école étaient mal informés », s’interroge la narratrice. Toujours est-il que Jean de La Fontaine lui-même l’a d’emblée reconnu, citant Pilpay en introduction d’un de ses ouvrages. La morale de cette histoire ? « Tout ne vient pas toujours d’Europe […]. La Fontaine comme tant d’autres est un maillon de la chaîne […]. De langue en langue, de bouche en bouche. Ces fables sont à vous, ces fables sont en vous. »
LUDOVIC TOMAS
Stream of stories, on nous l’a dit et on l’a cru a été donné les 23 et 24 novembre à La Criée, théâtre national de Marseille, dans le cadre des Rencontres à l’échelle et Kap-O-Mond le 30 novembre, au Théâtre Joliette, Marseille