Le 6 mai, quatre heures durant, la Faculté de droit et sciences politiques a ouvert l’un de ses amphithéâtres au public de l’Université populaire de Marseille-Métropole (Upop), venu rencontrer les lauréats marseillais du prestigieux prix Albert-Londres. Un plateau incomplet, puisque Alice Odiot et Marlène Rabaud n’ont pas pu venir, et quelque peu empêché par des micros défectueux, mais qui n’en a pas moins soulevé des points cruciaux sur le devenir des médias, des journalistes et de l’information.
Vieux dangers et nouvelles menaces
Car au-delà de l’aura des reporters, appuyée sur la légende Albertienne, avec pour antienne sa définition du journalisme – « porter la plume dans la plaie » –, l’état des lieux n’est pas fameux. On connaît les dérives du secteur : des titres aux mains de milliardaires tirant peu ou prou vers l’extrême droite, des rédactions en sous-effectif, une profession qui se précarise (avec un phénomène révélateur : elle se féminise), un entre-soi culturel, des modèles économiques abîmés par les usages d’Internet…
À cela s’ajoute une nouvelle menace : l’intelligence artificielle, vérolant une confiance entre les médias et leur audience déjà vermoulue. « J’ai demandé à ChatGPT de raconter Les trois petits cochons à ma façon, rigole Philippe Pujol ; il les a tous rendus toxicomanes ou fait mourir. » L’auteur de Quartier Shit, série d’articles qui lui ont valu le prix en 2014, soupçonne beaucoup de localiers d’y faire appel, « et, précise-t-il, je n’aurais pas été le dernier à l’employer si ça avait existé quand je travaillais pour La Marseillaise ». Heureusement, « l’IA ne peut pas encore aller sur les terrains où les gens ne sont pas faciles à aborder. Si on a les moyens de se déplacer. Le principal problème du métier, c’est vraiment la précarisation ».
Revenir aux fondamentaux
En effet, c’est bien en quittant les « desk » (bureaux) et en retournant sur le terrain que le journalisme a encore des atouts à faire valoir : revenir aux fondamentaux, prendre le temps de recouper, sourcer, confronter. Aller voir « dans les angles morts de notre société », comme le relève Jean-Robert Viallet, qui se penche en longs métrages documentaires sur les méfaits du capitalisme. Savoir « écouter, se taire, avec humilité », renchérit sa consœur Sophie Nivelle-Cardinale, grande reporter en zones de conflits. Avant d’interpeller le public : « Est-ce que vous êtes toujours prêts à lire, voir, entendre nos récits ? »
Pas évident, en effet, de produire de l’information de qualité quand on n’a pas les moyens de le faire, qu’on n’a que des mauvais choix, entre autocensure et publi-reportage, et que le lecteur, volatil, rendu méfiant par les fake news ou les biais idéologiques des lignes éditoriales, se désintéresse ou s’enferme dans des bulles informationnelles. Mais ce n’est vraiment pas le moment de baisser les bras, souligne Pauline Amiel, directrice de l’École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille : « Sans confrontation des opinions, il sera plus difficile de vivre ensemble. On a tous notre responsabilité. Si l’on se contente de copiés-collés en ligne, c’est ce que l’on aura comme presse de demain. On peut se poser collectivement la question de son avenir. » On peut, et on doit : le droit à l’information est fondamental.
GAËLLE CLOAREC
La rencontre Quel avenir pour la presse ? s'est tenue le 6 mai à la Faculté de droit et sciences politiques de Marseille.