mercredi 2 octobre 2024
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Juste avant la plongée obscure

Catherine Marnas, directrice du théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, met en scène un texte troublant de Tony Kushner, scénariste de Spielberg, qui établit un parallèle entre Trump, Reagan et l’ascension d’Hitler. Entretien

Zébuline. Comment vous est venue l’idée de monter ce texte américain ? 

Catherine Marnas. Je cherchais une pièce qui parle de ce que nous sommes à mon sens en train de vivre, cette bascule démocratique. C’était avant le Covid, mais on la sentait déjà. Je pensais à Brecht bien sûr, à La Résistible ascension d’Arturo Ui, mais je voulais un texte plus contemporain. J’avais adoré Angels in America de Tony Kushner, et je savais que son tout premier texte, avant qu’il reçoive le prix Pulitzer, avait été mal reçu. Que le parallèle qu’il établissait entre Reagan et Hitler passait mal. Je l’ai lu, et immédiatement j’ai contacté Tony Kushner pour le monter. Il m’a dit « OK, mais je le réécris. On ne peut plus parler de ça sans parler de Trump ». Donc il a ajouté une strate à sa narration, sur Trump. Et il a voulu le monter aussi. A Bright Room Called Day a été créé en même temps en français à Bordeaux et en anglais à Broadway. 

Qu’est ce qui vous a tant plu dans ce texte ? 

J’aime que le théâtre raconte des histoires, qu’il y ait une préoccupation de la narration, et qu’il nous plonge dans les perspectives politico-historiques qui résonnent avec notre présent. Tony Kushner a quelque chose d’un Brecht, avec aussi un sens du scénario, des histoires, du rebondissement, du suspens…  très contemporain. Et très politique. Les critiques américains reprochent clairement à Spielberg d’avoir un scénariste communiste. Dès cette première pièce, il montre la dégradation progressive de la république de Weimar, à travers des personnages qui ne sont pas où on les attend. La plus politisée ne sera pas celle qui accomplira le geste de bravoure. Ces personnages, dans le Berlin des années 1930, nous ressemblent. Ils nous interrogent sur notre degré d’aveuglement ou de conscience, de résistance ou d’acceptation. Faut-il rester lorsque la démocratie bascule et que les génocides se préparent ? Fuir, résister, s’allier ?

Cette bascule démocratique est en jeu aussi pour la réélection de Reagan ? 

C’est ce qui est interrogé. Cinquante ans après Weimar, en 1985, une jeune femme bombe sur les murs de New York : « Reagan = Hitler, Weimar aussi avait une constitution ». On oublie trop que Hitler a été élu démocratiquement, qu’il a gagné le pouvoir par une alliance avec la droite, contre la gauche, qui n’a pas su s’allier. Zillah rappelle tout cela, l’incendie du Reichstag attribué aux communistes, la droite capitaliste qui pense qu’Hitler va être maitrisable. La situation politique des États-Unis en 1985 ressemble à bien des égards à cela. Sans parler de Trump.

Catherine Marnas © Frédéric Desmesure

Comment Tony Kushner en parle-t-il, justement ? 

Il dit que l’avènement de Trump a donné raison à Zillah, que le risque de sortir de la démocratie est aujourd’hui très fort. Dans ce troisième niveau de narration, celui de Trump, il intervient en tant qu’auteur, pour commenter. Pendant qu’on montait le texte, chaque jour il m’envoyait de pages nouvelles… qu’on coupait ensemble, pour que les commentaires ne prennent pas le pas sur l’action. 

Comment ces trois niveaux sont-ils présents sur scène ? 

Ils se tricotent, la musique souvent fait le lien entre les époques, les neuf comédiens chantent et jouent, Zillah et Xillah, qui représente Kushner, commentent et s’engueulent. Ce qui vit en scène, c’est Berlin. Mais un Berlin qui pourrait être ici et aujourd’hui. Il est question d’une bande de copains politisés qui se fait engloutir par l’histoire. Pour une raison dérisoire, pour ne pas quitter un appartement si lumineux… 

AGNÈS FRESCHEL

A Bright Room Called Day 
16 mai
Théâtre Liberté, scène nationale de Toulon 
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