mercredi 2 octobre 2024
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La Conférence : familiarités du mal

Matti Geschonneck nous replonge dans l’horreur ordinaire de la conférence de Wannsee

L’épisode relaté par Matti Geschonneck est bien connu des historiens. La fameuse conférence de Wannsee, durant laquelle quinze dignitaires nazis se sont concertés pour élaborer la « résolution du problème juif », est tenue pour le chapitre le plus sombre de l’histoire de l’Allemagne. Quasiment intégralement dactylographiée, elle demeure le témoignage le plus âpre et le plus frappant du mode de pensée nazi, loin de tout fantasme et de tout simplisme. Qu’ils semblent loin les êtres démoniques chers à Jonathan Littell, pervers polymorphes au raffinement inégalé, incarnations grandiloquentes et ricanantes du mal en personne. Évacuée, également, la Banalité du mal chère à Hannah Arendt, faisant d’Adolf Eichmann l’incarnation de ce que Milgram qualifierait plus tard de « personnalité agentique ». 

Monstruosité et petitesse

La réunion interministérielle, qui se déroule ici en temps réel, sous les yeux des spectateurs, n’a rien d’un putsch. Les SS et secrétaires d’État qui se succèdent semblent si proches ; ils ne dépassent, pour la plupart, pas la quarantaine. Ils s’expriment dans un allemand châtié, interprétés par des acteurs passés pour la plupart par le monde du théâtre. Le chef de la Gestapo, campé par Jakob Diehl, frère d’August, est peut-être le plus raide et le plus agressif d’entre eux. Godehard Giese, dans le rôle plus ambigu encore de Wilhelm Stuckart, se montre tour à tour conciliant et hargneux. Mais ce sont peut-être les figures plus connues, et plus terribles encore, de Reinard Heydrich et Adolf Eichmann, interprétés dans toute leur ivresse doucereuse par Philipp Hochmair et Johannes Allmayer, qui marquent le plus durablement. 

Ladite conférence ne diffère pas, dans sa forme comme dans le ton des échanges, d’une réunion interprofessionnelle. Le travail de Matti Geschonneck et du scénariste Magnus Vattrodt, d’une remarquable dextérité, n’occulte ni la monstruosité, ni la petitesse de ces politiciens posant les jalons d’un génocide en prétendant répondre à des contraintes logistiques, avec le langage policé qui s’impose. En cela, il se rapproche des conclusions de l’historien Johann Chapoutot, faisant de ces fonctionnaires des techniciens appliqués et investis, cultivant un « imaginaire de la concurrence et de la performance » que ne désavoueraient pas les défenseurs contemporains du néo-libéralisme. À rebours des reconstitutions soulignant la distance qui nous sépare aujourd’hui de ce monde-là, La Conférence se révèle d’autant plus brutale qu’elle nous en fait saisir toute la familiarité.

SUZANNE CANESSA

La Conférence, de Matti Geschonneck
En salle depuis le 19 avril
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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