Zébuline. Pourquoi ce projet de loi sur le statut des artistes-auteurs ?
Pierre Dharréville. C’est évident, la création n’existe pas sans eux, et ils n’ont aucune garantie chômage. Depuis plusieurs mois nous menons une réflexion concrète sur la continuité de leur revenu avec les différents partenaires et représentants de ces professions. Les interprètes et les techniciens sont protégés par les annexes 8 et 10 mais l’acte d’écriture, de création, n’est rémunéré que par le patrimoine qu’il crée, c’est-à-dire le droit d’auteur. Ces professions ont le droit d’être reconnues comme un travail.
De quelles professions est-il question ?
Elles sont diverses. Les photographes, les plasticiens et plasticiennes, peintres, designers, les paroliers, compositeurs et compositrices, les autrices et auteurs, les traductrices, bédéistes, chorégraphes, scénographes… Il s’agit de 350 000 personnes selon les chiffres officiels. Ce sont des professions assez invisibles, à qui on demande généralement de faire autre chose ailleurs.
Sur quels critères seraient-ils reconnus comme artistes-auteurs ?
Évidemment il s’agit de fixer un seuil, on ne s’autoproclame pas artiste-auteur. Nous allons proposer une porte d’entrée au droit à l’indemnisation chômage, il faudra avoir perçu l’équivalent de 300 heures au Smic à l’année.
Est-ce le même seuil que pour l’ouverture des droits maladie et maternité ?
Non, même si ces seuils fixés pour la Sécurité sociale doivent aussi être discutés. Là, il s’agit de l’Unédic, de la continuité de revenu entre deux périodes d’activité. Beaucoup d’artistes sont de fait au RSA. Si on les oblige désormais à faire 15 heures d’activité par semaine c’est la création artistique qui va en pâtir. Il est facile de justifier de ce qu’on a perçu au titre d’un travail d’auteur, il n’y a pas de raison que ces professions soient traitées comme si elles ne travaillaient pas.
Et comment financer ce dispositif ?
La nécessité d’une loi c’est d’être juste, pas d’être financée. Mais l’Unedic est très bénéficiaire, et il faut bien sûr que les cotisations chômage augmentent et s’alignent, pour les artistes-auteurs, sur celles des autres professions. La proposition de loi est tout à fait pragmatique, et finançable, même s’il s’agit d’ouvrir aujourd’hui la discussion sur ses modalités d’application. C’est urgent, ces professions menacées aujourd’hui par l’émergence de l’intelligence artificielle sont fragilisées comme jamais. En réalité, si on n’a pas de protection des artistes-auteurs c’est le marché qui fait le tri. On sait, historiquement, que ceux que nous considérons comme de grands artistes aujourd’hui ont souvent eu peu de succès auprès des marchands. On ne peut pas laisser le marché réguler la création artistique.
« La nécessité d’une loi c’est d’être juste, pas d’être financée »
À l’heure où Rachida Dati veut fermer des écoles d’art, ne vous sentez-vous pas à contre-courant ?
Du gouvernement peut-être ! Quelle est cette idée ? Avons nous trop d’écoles d’art, trop d’artistes ? On a besoin de la création humaine, plus que jamais en ces périodes difficiles. J’ai été très choqué par cette déclaration. Dès l’annonce de réduction de budget par Bruno Le Maire, elle a déclaré qu’elle puiserait dans les fonds de réserve, ce qui est une illusion. Là elle veut fermer les écoles d’art publiques, alors même que les écoles privées se multiplient. Que les collectivités territoriales veuillent faire le compte de ce qu’elles dépensent dans les écoles supérieures d’art, cela se comprend. Mais l’enseignement supérieur, c’est de la responsabilité de l’État. Les collectivités territoriales vont de plus en plus mal, elles sont étranglées par les restrictions de leurs recettes et savent que cela va s’aggraver encore. Elles mettent l’État face à ses responsabilités dans la formation supérieure des artistes, et la réponse est la fermeture ? C’est inacceptable. On sait que les politiques culturelles trinquent en premier lorsque les collectivités territoriales font face à des restrictions budgétaires. Aujourd’hui la question est : veut-on la disparition de la création artistique ?
Quelle solution envisagez-vous pour financer cette baisse de budget de plus de 205 millions annoncée par Bruno Le Maire ?
C’est incroyable. Le gouvernement est en train d’amender un budget qu’il a écrit tout seul et imposé tout seul sans même en discuter avec les députés… Il faut donc porter le combat, et je me ferai le relais des aspirations que porte le secteur mais qui nous concernent tous. La dynamique culturelle publique d’un pays est essentielle.
Certains parlent de récupérer pour la création les 273 millions consacrés au Pass culture, qu’en pensez-vous ?
D’abord, il ne s’agit pas d’accepter cette baisse de 204 millions ! Mais oui, effectivement, nous n’avons jamais été des défenseurs du Pass culture, qui n’atteint pas sa cible. Évidemment certains en font un usage intelligent, les librairies en particulier bénéficient du dispositif, mais il est globalement inefficace. Le dernier rapport documenté fait état de deux choses : ceux qui s’en servent ont déjà des pratiques culturelles. Et : il vient essentiellement alimenter un marché, c’est à dire les produits culturels des industries. L’argent public finance le privé et restreint le service public de la culture… Cette marchandisation s’accompagne d’une uniformisation des contenus, et l’ordre du divertissement triomphe.
« Il faut que les inégalités territoriales cessent »
Qu’opposez-vous au divertissement, qu’est ce qui devrait triompher ?
Le divertissement est nécessaire, mais la culture est aussi émancipatrice, créative, subversive. Elle appelle au partage, à l’échange, au dépassement de soi. Il y a peu de chances que le marché parie sur ces valeurs-là, et c’est pour cela que les politiques culturelles publiques sont nécessaires. L’autre point d’alerte, c’est la cohésion de la nation. Il faut que les inégalités territoriales cessent et que la politique culturelle de l’État ne soit pas essentiellement captée par Paris. Qu’il y ait des charges de centralité, c’est normal, mais pas au point où nous le vivons. Les collectivités territoriales ne peuvent plus assumer presque seules la vie culturelle de leur territoire. À ces déséquilibres, Rachida Dati répond par un plan pour la ruralité, méconnaissant le fait que la majorité des Français ne vit ni à Paris, ni en ruralité, mais dans des moyennes ou grandes villes que l’État délaisse. Il ne s’agit pas d’enlever des crédits culturels aux établissements parisiens, donc si on veut rééquilibrer il faut investir plus, pas moins. En fait, il s’agit simplement de savoir si nous voulons rester une grande nation culturelle.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL