mercredi 2 octobre 2024
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La ronde des hommes qui meurent

En 1906 Henri Matisse expose La Joie de vivre. Des hommes et des femmes nus jouent de la musique, s’enlacent, s’embrassent, dansent une ronde. En 1910, pour un commanditaire russe, il reprend le sujet central de son tableau et peint son chef-d’œuvre fauve, La Danse, hymne à la vie circulaire d’un doux paganisme,  exposé à ce jour encore au Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.

A cette ronde de vie succédera Le Sacre du printemps en 1913, associant encore la France et la Russie, mais pour un ballet sacrificiel. Comme si la danse contenait des ferments de mort, comme si cet hymne à la vie générait, chez celui qui ne sait y entrer, le besoin de tout détruire.  

Les morts du Crocus City Hall de Moscou, du désert de Néguev en Israël, du Bataclan à Paris, du Pulse à Orlando, aimaient la danse, la vie, la joie. Ils sont morts, tués par des fous de Dieu qui interdisent la musique. C’est en chantant l’hymne de vie  que nous devrions les combattre.

Car c’est à leur façon de combattre le terrorisme que l’on reconnaît les démocraties. Matisse, dans sa danse de vie, n’opposait pas les corps, leur genre, leur couleur uniformément rouge. Il peignait une ronde, des hommes reliés, tournant ensemble. Reprenant une danse circulaire Nijinski et Stravinski, à un an de la Première guerre mondiale et quelques encablures de la Révolution russe, traçaient entre les corps, les hommes et les femmes, des antagonismes qui ne se résolvaient qu’en désignant une victime, en ouvrant le champ au massacre.

Contagion du chant de mort

La désignation d’un ennemi commun brise la ronde, plus sûrement encore que les fous de Dieu. Elle trace des tranchées entre les camps et efface les traits humains des victimes. Les enfants de Gaza n’ont pas tué les hommes qui dansent, pas plus que les Ukrainiens voués aux gémonies par Poutine n’ont aidé aux attentats du Crocus Hall. Réagir aux attentats par l’attaque d’une population civile, le blocus alimentaire et médical, le bombardement des villes, la torture à Abu Ghraib, l’assassinat politique, le silence sur les crimes de guerre, construit une autre ronde, un tournoiement incessant de corps qui s’effondrent, sans visage, sans nom, et deviennent des chiffres, des douleurs durables, des ressentiments, des ferments de guerre globalisée et d’attentats futurs. 

L’appel au Cessez-le-feu immédiat du Conseil de sécurité de l’ONU est susceptible d’y mettre un frein, pour peu qu’Israël ne soit plus approvisionné en munitions, et soit sommé de laisser passer l’aide alimentaire indispensable aux 500000 humains qui meurent de faim au centre de Gaza. Il nous est possible, à cet endroit du monde, de briser le cercle vicieux de la vengeance, de mettre les monstres au placard et de tenter de retrouver La Joie de vivre.

AGNES FRESCHEL

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