En 2016, Leonardo Medel signait le premier long métrage chilien en réalité virtuelle : Constitución. L’année suivante, un film interactif : Harem. Son nouvel opus, La Verónica, interroge, entre rire et effroi, dans un jeu de masques et de massacres, cette virtualité que le cinéaste connaît si bien. La Verónica, c’est d’abord un dispositif : une cinquantaine de plans séquences, caméra fixe. Cadrages rapprochés, le plus souvent visage ou buste, de la même femme à la beauté idéale et normée de bimbo brune. Comme des clips publicitaires, des shoots de casting, des selfies relayés par un Smartphone omniprésent. Verónica se détache sur des fonds en aplats nets fortement colorés, ou apparaît dans le noir, ses lèvres exagérément rouges. Ses interlocuteurs sont flous ou en retrait, saisis de dos face à elle, derrière ou à ses côtés pour des selfies partagés. Le visage de Verónica vu par Verónica et les « instagrameurs », ou par l’objectif du réalisateur qui comme nous, la regarde se mettre en scène, se dissimuler en se montrant. Une virtuosité technique manipulatrice qui n’aurait pas grand intérêt si elle ne devenait pas le sujet même du film. Comédie satirique et politique, drame psychologique et thriller, le jeune réalisateur chilien brouille les genres, joue sur les limites privé-public, vérité-mensonge, bien et mal. Il crée, en huis clos, une tension dramatique qui va crescendo. L’actrice Mariana Di Girólamo, qu’on ne quitte pas des yeux, excelle à passer d’un registre à l’autre.
Vie de rêve
Verónica est l’épouse de Javier, star du football international, revenu au Chili natal depuis peu. Mannequin à la plastique parfaite, elle habite une villa de rêve, dotée d’une piscine de rêve. Maman de rêve d’une petite Amanda, elle forme avec Javier un couple de rêve avec des neveux de rêve. Elle publie sur Instagram les images de sa vie de rêve, qui bien sûr ne l’est pas : un bébé qu’elle n’aime pas et qui pleure sans cesse, faute de soin, une mère qu’elle cache, une morte à qui elle dévoile sa noirceur, un procureur qui la traque pour un présumé infanticide, des rapports conjugaux minés par une jalousie dévorante et un projet qui l’occupe à plein temps : obtenir 2 millions de followers pour devenir l’égérie d’une grande marque de maquillage. Prête à tout pour atteindre son but, incapable d’empathie dans la folie de son narcissisme névrotique, est-elle victime ou bourreau ? Verónica participe d’un monde ultra libéral, soumis aux lois de l’offre et de la demande : elle donne à ses fans ce qu’ils veulent. Et très professionnellement, se vend. Manipulatrice, elle est tout autant manipulée par le diktat des apparences. Aliénée par les fantasmes de ses adorateurs qu’elle contribue à conforter.
La Belle et le Monstre
Une écrivaine l’accompagne pour écrire son hagiographie people, complice de ses mensonges. Qu’est-ce qui se cache derrière ce visage ? écrira-t-elle en conclusion de son livre. À des fins de promotion, Verónica pose avec une jeune femme brûlée, défigurée : la Belle et le Monstre. Mais nous savons bien que le monstre, c’est la Belle. Il y a du Mr Hyde dans Verónica. Dualité morbide et joie du Mal. Chaque époque génère ses propres Monstres qui cristallisent son génie maléfique. Ici, le Monstre se nourrit de la représentation virtuelle mondialisée, de la falsification des relations humaines qui prennent la pose sur des réseaux devenus miroirs aux alouettes. Le réalisateur introduit dans son film une scène d’éclipse totale et la protagoniste porte un prénom qui signifie « porteuse de victoire ». Des augures plutôt glaçants !
ELISE PADOVANI
Sortie en salles le 17 août.