Tout juste édité aux éditions Plaine Page, le dernier opus de Bruno Geneste, Le train des infinités froides, nous entraîne dans un irrésistible road trip poétique. Le rythme des mots posés de manière lapidaire sur la page, traçant leur chemin « sans fin ». Les illustrations en noir et blanc de Loran Jacob, semées au fil de l’ouvrage, rendent la vitesse du mouvement, se concentrant sur l’idée des roues, et aboutissent au symbole de l’infini. Quel voyage ! On place nos pieds dans les pas de Jack Kerouac auquel le poète a consacré un livre, La route selon Kerouac : « il fallait prendre la route pour quelque chose de plus grand que soi, fouler l’asphalte, s’agripper à ses sinuosités, ses courbes, mirages et formes criblées de hasard ».
Miroir brisé
Cet art poétique se décline ici, rejoint la Nadja de Breton et ses errances qui la mènent à une gare qui peut-être n’existe pas, effleure les principes de l’absurde, multiplie les miroirs et les transparences jusqu’à l’effacement qui fait du train lui-même « un mirage ». L’observation concrète du voyage avec les visages qui se reflètent dans les vitres du train conduit insensiblement à une parabole de la condition humaine, emportée dans le flux incessant d’une course haletante et infinie. Parfois le miroir se brise, ses éclats multiplient les échos, les mots se répondent en une répétition incantatoire qui tisse solidement la toile du poème. Les couleurs peu à peu se dessinent, le rouge vient éclairer un univers en noir et blanc, puis les « bleuîtés du sang des voies » qui deviendra celui des mots. L’être tout entier se révèle dans ce mouvement au point de devenir ce train lui-même : « et tu roules/ sous la braise d’horizon / dans l’embrasement des astres » …
Une cosmogonie se déploie, mêle les éléments, revient sur « Terraqué », cet assemblage de terre et d’eau originel qui est aussi un hommage à la Bretagne et au poète Guillevic, puis repart vers les fondations avec le « grand dragon rouge et la femme vêtue de soleil » de William Blake avant de se colorer des accents de Johnny Lee Hooker ou de Bob Dylan et son Highway 61 (titre du sixième album du prix Nobel, qui évoque l’autoroute entre la New Orleans et le Canada). En cinq textes aux subtiles fulgurances le mythe s’installe, prend des nuances chamaniques, esquisse des gestes d’alchimistes et transmutent la matière. Le langage devient l’or pur d’une pensée arcboutée à la matière, entre les « palpitations invisibles » et le « réel » où se « (griffent) les contours ». Chaque lecture de ce texte dévoile une nouvelle strate. Somptueux !
MARYVONNE COLOMBANI
Le train des infinités froides, de Bruno Geneste,
Éditions Plaine Page – 10 €
Ce livre a été présenté lors de la quinzième édition des Eauditives.