« Pourquoi veux-tu rentrer à l’école de théâtre des Amandiers ? » À cette question posée par le jury, les jeunes candidats face caméra proposent des explications diverses et triviales : le prestige de Chéreau, la gratuité, le stage Actors Studio à New York prévu au programme. À celle plus fondamentale : « Pourquoi veux-tu être acteur·rice ? » les réponses se font plus intimes : rendre sa mère fière, donner sens à sa vie, parler avec les mots des autres, s’en servir de remparts, être aimé.
Les Amandiers, dernier film de Valeria Bruni Tedeschi, coécrit avec Noémie Lvovsky et Agnès de Sacy, sélectionné en compétition officielle à Cannes en mai 2022, se situe à la fin des années 1980, à Nanterre, dans l’école de théâtre des Amandiers, dirigée par Patrice Chéreau et Pierre Romans. Il explore ce rapport au jeu dramatique des jeunes apprenti·e·s acteurs·trices, dont elle fait partie. Retour à un moment fondateur de son existence de comédienne, retour sur l’histoire de cette école mythique. Sélective puisque sur la masse des candidats, on ne retient que douze élus. Atypique car selon son directeur, on n’y apprend pas, on cherche.
La mort n’est pas loin
Le film suit l’ordre chronologique : les deux étapes de sélection, éprouvantes, le stage américain et les répétitions du Platonov de Tchekhov,jusqu’à la représentation finale. L’initiation professionnelle se double des initiations sentimentales de chacun. L’exaltation de la scène se superpose à celle de la jeunesse. Excès de larmes et de rires, le drame se prolonge à la ville. L’amour de Stella (Nadia Tereszkiewicz), fille de la haute bourgeoisie et incarnation de la réalisatrice pour le ténébreux prolo héroïnomane, Étienne (Sofiane Bennacer). Les échappées belles de toute la bande : Adèle (Clara Bretheau), Victor (Vassili Schneider), Franck (Noham Edje) et les autres. Les bébés qui arrivent, et ceux qui n’arriveront pas. Le Sida qui rôde, au loin Tchernobyl qui brûle.
La mort n’est jamais très loin dans les films de Valeria Bruni Tedeschi. La musique, les chansons de l’époque et d’autres, plus anciennes encore, jalonnent le parcours des protagonistes comme des fantômes familiers. Dans ce kaléidoscope de portraits, le grand Chéreau (Louis Garrel) figure sacralisée, considéré par la réalisatrice comme son père de théâtre, apparaît sans fard. Tyrannique, violent, cocaïnomane, draguant les comédiens à leur corps défendant. Travailleur invétéré, metteur en scène génial mais facilement cruel avec son assistante ou méprisant avec Pierre Romans (Micha Lescot). Pour Chéreau, l’acteur doit se mettre en danger, savoir qu’il y a nécessité à jouer car sinon à quoi bon ?
« Enterrer les morts et réparer les vivants » est-il conseillé à la fin de Platonov – qui n’est sans doute pas une pièce choisie au hasard ici.
Les Amandiers, c’est le nom du théâtre et du quartier où il se trouve, mais on ne pourra s’empêcher de penser aux arbres dont la première floraison printanière apporte des fruits doux-amers comme le temps qui passe.
ÉLISE PADOVANI
Les Amandiers de Valeria Bruni Tedeschi
est sorti en salle le 16 novembre