Diasporik. Zanatany est mot malgache qui désigne les populations exilées qui gardent avec leur terre natale un lien d’attache. De quoi parle ce spectacle que vous créez pour la Journée des Migrants du 18 décembre ?
Soly Mbaé. C’est un spectacle sur l’exil et le déracinement, le racisme. Ma collègue Marisoa Ramonja a été arrachée à Madagascar, sa terre natale, à 11 ans. On parle de ce déracinement commun, elle en Picardie, moi à Marseille, et à la fin on évoque la situation de Mayotte.
Avant le cyclone.
Bien sûr. Mais avant le cyclone c’était déjà une tragédie. Il y a des milliers de Comoriens qui vont à Mayotte en kwassa kwassa et qui meurent chaque année. Sur place, la situation est insoutenable, Mayotte n’intéresse pas la France en dehors de son intérêt stratégique dans le canal du Mozambique, les bâtiments publics se sont envolés, les réseaux d’eau et d’électricité n’ont pas tenu, comme si Mayotte n’était pas un département français…
Est-ce qu’on peut dire que la société y est toujours coloniale ?
C’est évident. Les expat’ ont tous les postes importants. À compétences égales, un Mahorais n’a aucune chance. Les écarts de salaires eux sont énormes, le droit français, le droit du sol, n’y est pas appliqué, et la France va à l’encontre des résolutions internationales, inchangées depuis 1976 [date du referendum à Mayotte, ndlr] : les Comores sont un État souverain qui comprend Mayotte, dont le rattachement à la France n’est pas reconnu par l’ONU. Cette situation coloniale est camouflée par une fausse tension entre Mahorais et Comoriens attisée par la députée LIOT Estelle Youssouffa, qui prône la haine des étrangers et des clandestins et fait le lit de Marine le Pen dont les scores explosent. La tension entre les Comoriens n’a jamais était aussi grande. Pourtant, que la France le veuille ou non, nous sommes un même peuple, avec la même histoire, la même langue, la même religion, les mêmes traditions, sur les quatre îles. Nous avons tous de la famille sur les quatre îles. Depuis 1975 nous sommes séparés, depuis le visa Balladur en 1995 nous ne pouvons même pas aller visiter nos familles, et aujourd’hui on sépare les morts, en comptant les Français d’un côté, les « clandestins » de l’autre ? Je refuse ce mot, clandestin, nous sommes tous comoriens.
A Marseille, qui est dite la cinquième île des Comores, ces tensions sont-elles palpables ?
Elles sont moins violentes, mais elles apparaissent, oui. Il y a quelques années les 110 000 marseillais d’origine comorienne marchaient main dans la main, très soudés dans les événements culturels, sportifs, festifs, sociaux. Aujourd’hui les Marseillais de Mayotte se sont retirés de ces endroits-là, ils se considèrent comme français, comme supérieurs aux « comoriens », ils votent Marine le Pen…
C’est de la haine de soi !
Séparer les communautés colonisées permet, toujours, de maintenir la domination. C’est classique. Aujourd’hui il faut arrêter tout cela et porter secours. Il n’y a pas de clandestins à Mayotte.
ENTRETIEN REALISE PAR AGNES FRESCHEL
Zanatany
18 décembre
Parvis des Arts, Marseille
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