Le Centre dramatique national ouvre ses portes avec une pièce de théâtre d’Albert Camus emblématique du courant philosophique de l’absurde et très classique dans sa forme. Pour Jonathan Capdevielle, c’est une première. Le metteur en scène, marionnettiste, acteur, chanteur, compagnon de création de Gisèle Vienne, a jusqu’ici plutôt adapté des récits, ou écrit ses spectacles. Avec Caligula il s’attaque à un matériau intouchable et peu joué aujourd’hui, les ayants droit d’Albert Camus refusant toute adaptation. C’est donc au texte intégral de la pièce de Camus que nous invite le metteur en scène. Celui de 1941, créé en 1944, augmenté de quelques pages de la version de 1958.
Caligula, jeune empereur romain, vient d’enterrer sa sœur et maitresse Drusilla (oui oui chez les Romains aussi cela s’appelait un inceste), Il rentre à Rome et se transforme en tyran meurtrier, procédant à ce que Camus a nommé un « suicide supérieur ». Séduisant, beau parleur, fin analyste du réel, il entraine et dévoie les plus pures consciences et assassine à tour de bras une cour de patriciens corrompus et ennuyeux, tout en incendiant son peuple. Et il y a des raisons à cette entreprise de destruction, que Capdevielle figure sur scène par une première image marquante : la noblesse en maillots sur une plage où les rochers puent et où le bruit des mouches couvre celui de des vagues…
Excuser les tyrans ?
Le regard d’Albert Camus sur la tyrannie a sensiblement évolué entre les deux versions de sa pièce, après la révélation des horreurs nazies. Le personnage de Chéréa, patricien qui s’oppose au tyran et participe à son élimination, démolit en 58 les raisons qu’avance le monstre pour justifier ses meurtres. Qu’il soit dans la mise en scène de Jonathan Capdevielle joué par une femme (Anne Steffens) lui donne plus de poids encore : l’absurdité et la médiocrité du monde ne justifient pas qu’on le saccage, et l’exercice combiné du pouvoir et de la liberté absolus ne dégénère en hécatombe que si la perversion les guide.
Cette morale de 1958 n’est pas celle de 1941, ni celle sans doute de 2023. Capdevielle, qui incarne l’empereur romain, prête au personnage son talent d’acteur multiforme surprenant. Les costumes queers, la scénographie qui mime l’enfer, la présence permanente de musiciens live ajoutent à la folie du personnage le désordre d’un environnement baroque et hostile, mais indéniablement beau. Le propos, clairement, porte sur les monstres et les tyrannies contemporaines, le rapport entre les générations, la place du sentiment esthétique et les contours de la folie dans notre XXIe siècle déliquescent.
AGNES FRESCHEL
Caligula Albert Camus, Jonathan Capdevielle Du 17 au 19 octobre Théâtre des Treize vents Centre dramatique National de Montpellier 13vents.fr