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Les Suds, à Arles, boussole du monde

Ne cherchez pas de têtes d’affiche cette année, la 28e édition du festival arlésien de musiques du monde mise sur des artistes aussi rares que puissants. Entretien avec Stéphane Krasniewski, son directeur

Zébuline. Transmission, hybridation, création et appropriation. Ce sont les quatre termes que vous associez pour définir ce que sont les musiques du monde perçues et défendues par Les Suds, à Arles.

Stéphane Krasniewski. J’ai ressenti le besoin de réaffirmer notre vision des musiques du monde. Ce sont des musiques que l’on peine parfois à définir alors qu’elles sont à l’origine de toutes les autres. On peut avoir du mal à les entendre alors qu’elles sont écoutées partout. Et ces quatre valeurs sont celles sur quoi on fonde notre action. Ces musiques se transmettent pour diverses raisons. Cette année, on accueille beaucoup d’artistes qui illustrent de belle manière cette notion de transmission, aussi bien dans l’espace que dans le temps : de Perrate (10 juillet) à Maya Kamaty (le 14) en passant par la famille Chemirani (le 13). Ce sont des porteurs de mémoire car leurs musiques puisent leur inspiration dans un patrimoine et se transforment. On en arrive à l’hybridation. Il y a des projets qui se métissent sans rien perdre de leur force et de leur particularité. Ils nous racontent le monde d’aujourd’hui en faisant référence à une histoire, une culture. Je citerai les chants kurdes de Meral Polat Trio (14 juillet) ou le dialogue fécond entre Ballaké Cissoko, Segal, Peirani et Parisien (le 12 avec Les Égarés). Avec ces exemples se pose le questionnement d’actualité sur l’appropriation culturelle c’est-à-dire la légitimité des artistes à s’approprier un langage qui n’est pas le leur. Or j’ai le sentiment que les musiques du monde ne sont finalement que ça. Tinariwen (11 juillet), dans leur dernier projet, intègre des éléments de country dont le banjo qui est un descendant du guembri. Les musiques du monde sont des aller-retours incessants. Les questions légitimes d’appropriation, qu’il faut traiter, ne doivent pas nous enfermer ni être un frein à la créativité. Si on fige tout, cela peut devenir très dangereux.
Enfin, la programmation présente plusieurs créations. Celle de Serge Teyssot-Gay et Thibault Brunet (10 juillet), dont on est à l’origine, sur les stigmates, les cicatrices d’un événement comme les effondrements de la rue d’Aubagne, à Marseille. Celle des Chemirani ou encore la rencontre entre Rokia Koné et Raül Refree (le 12).

Cette 28e édition est particulièrement audacieuse car elle fait le pari de se passer de têtes d’affiche, telles que Bernard Lavilliers, Gaël Faye, Ibrahim Maalouf ou -M- pour citer celles programmées ces dernières années. On avait pourtant cru comprendre qu’elles étaient indispensables à l’équilibre et au succès du festival. Pourquoi ce choix ?

Je ne dis pas qu’on ne fera plus appel à elles. On a eu l’envie et la volonté cette année de s’inscrire à contre-courant de la course à la tête d’affiche qui finit par alimenter une machine semble devenir un  peu folle. On est face à une inflation assez forte des coûts de production des festivals – technique, assurance, restauration, hébergement… – mais aussi des cachets des têtes d’affiche. En se posant la question de notre responsabilité dans cette inflation, on a décidé de ne pas l’alimenter. Cette édition a donc l’ambition de prouver que l’identité du festival est suffisamment forte pour que le public puisse nous suivre sans nécessairement la présence de noms « grand public ». La Nuit Cumbia, par exemple, ne propose que des artistes inconnus en France ! C’est un pari, il n’est pas gagné, mais on est plutôt optimiste.

Il apparaît également un souci d’équilibre plus marqué entre les continents ou du moins les régions du monde et donc les grands courants musicaux auxquelles on peut les identifier…
On n’a pas une liste de cases à cocher mais on est vigilants. On essaie de respecter des grands équilibres pour être le plus, si ce n’est exhaustif, en tous cas le plus représentatif de la musique qui se fait aujourd’hui à travers le monde et de notre société. C’est donc, notamment, une édition paritaire. On n’en fait pas critères, mais quand on construit la programmation des Suds, tous ces questionnements sont sous-jacents. On sait intuitivement ce qui manque et on essaie de le corriger par la programmation. Si par exemple les artistes venus du Mali sont légèrement sur-représentés cette année, c’est non seulement parce que c’est un pays important sur le plan de la diffusion des musiques d’Afrique subsahariennes mais aussi l’occasion de remettre la lumière sur un pays en grande souffrance.

Comme régulièrement, un Moment précieux, ces concerts plus intimistes, est déplacé au théâtre antique pour le 14 juillet. Cette année, il s’agit du Trio SR9 (14 juillet) dont c’est l’unique date de l’été. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

C’est une proposition du label No Format ! sur laquelle j’ai craqué. La plupart des morceaux sont des titres connus internationalement, qui prennent une dimension incroyable. Ce projet, fin et intelligent, nous permet de comprendre pourquoi ils sont devenus des tubes. Il y a quelque chose dans la construction des morceaux qui, dépouillés de tous les oripeaux de la production, recentrés sur leur essence, ont une force incroyable. C’est aussi dû à l’interprétation des chanteuses et chanteurs invités sur le disque et qu’on retrouvera pour la plupart sur scène. Le spectacle n’a existé qu’une fois, à Paris, et n’avait initialement pas vocation à perdurer. La deuxième fois est chez nous et la troisième à L’Olympia en octobre. Seront présents à Arles, autour du Trio SR9, La Chica, Sandra NKaké, Malik Djoudi, Camille, Barbara Pravi et Flèche Love.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Les Suds, à Arles
Du 10 au 16 juillet
Divers lieux, Arles
suds-arles.com
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