C’est par un procès que s’ouvre et se ferme, le premier long métrage de Jean-Claude Monod, Un jour fille. Le premier intenté à Anne Grandjean, née fille et garçon – intersexe comme on dit aujourd’hui, hermaphrodite, comme on disait alors, et qui aboutit à une condamnation. Le second, en appel, dont on ne dévoilera pas l’issue. Entre les deux, un long flash back reconstitue l’histoire d’Anne.
Déclarée fille par les médecins à sa naissance, en 1732, élevée comme telle, Anne Grandjean revêt l’habit d’homme à l’adolescence sur ordre de son confesseur (André Marcon) à qui elle avoue son attirance pour les femmes. Elle devient alors Jean-Baptiste. Mais sa vie se complique au village : sa mère (Isild Le Besco) croit sa fille possédée par le Diable et son père (Yannick Renier) bien qu’aimant, demeure incapable de protéger son nouveau garçon des moqueries des autres. Jean-Baptiste fuit.
C’est en homme qu’il s’installe à Lyon comme apprenti tailleur. Cachant sa « particularité », il épouse l’innocente Mathilde (Iris Bry), fille de son employeur avec laquelle il forme un couple amoureux et heureux. C’est pour cet acte-là qu’Anne/Jean-Baptiste Grandjean, dénoncé·e, est traîné·e devant le tribunal. Dans ce XVIIIe siècle où les Lumières peinent à percer l’obscurantisme religieux, un hermaphrodite doit avoir une « dominante » certifiée par la Faculté. Incapables de penser autrement que binaire, les juges et les religieux raisonnent simplement : si physiologiquement Grandjean est plus femme qu’homme, alors « elle » ne peut épouser une femme car ce serait légaliser le lesbianisme.
Bien sûr, cette incroyable affaire que Jean-Claude Monod a trouvée dans un des cours de Michel Foucault résonne très fort avec les débats récents sur le mariage pour tous, le droit à la parentalité pour les couples de même sexe et avec notre réflexion contemporaine sur le genre. Le XVIIIe siècle qui bouscule toutes les notions données comme immuables, habille les hommes de dentelles et de satin, cultive le libertinage, entérine avec Rousseau le droit aux larmes pour tous, questionne avec d’Alembert et Diderot la perméabilité entre masculin et féminin, a un côté « gender fluid » face à un puissant ordre moral encore très rigide qui s’exprime encore hélas aujourd’hui.
Héro-ïne
Le réalisateur reconstitue par la lumière un décor à la Watteau, travaillant son héro-ïne comme un personnage de son temps et de son milieu, pieux, respectueux des institutions, sans revendications autre que celle de vivre caché et heureux. Dans le rôle principal, Marie Toscan rayonne d’innocence, nous offrant son visage de chérubin, sa douceur solaire et ses yeux presque transparents. Anachronique par nature, le film d’époque pense et parle au présent. Vermeil, l’avocat d’Anne (Thibault de Montalembert) dans son procès en appel, finira sa plaidoirie en citant – à notre grande surprise –, Paul Eluard et la terrible image de la « victime raisonnable au regard d’enfant perdu. ». Se rappellent alors à notre souvenir, toute la haine et la violence, passées et présentes, qui ne cessent de se déployer partout et toujours contre l’amour.
ELISE PADOVANI
Un jour fille, de Jean-Claude Monod
En salles depuis le 8 mai