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Lorsque le clavecin d’hier rencontre la harpe d’aujourd’hui

Avec Enharmonique Rameau, la harpiste Contance Luzzati sublime les plus belles pièces du compositeur écrites à l’origine pour le clavecin

Première mondiale que cette monographie de Rameau enregistrée à la harpe dans l’acoustique de l’Abbaye de Royaumont par Constance Luzzati. Un florilège des plus belles pièces à titre des Suites de pièces de clavecin de 1724 (suite en mi et suite en ré) et des Nouvelles suites de pièce de clavecin de 1728 (suite en sol). La fine harpiste élargit le champ du répertoire de son instrument, participe à des créations contemporaines, transmet son art au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, rédige une thèse d’interprète et resitue le sens de la transcription des œuvres. Il ne s’agit pas de traduction, qui signifie que l’on passe d’une langue à l’autre. « Hormis pour ce qui concerne le développement du répertoire, la transcription est ‘‘inutile’’ à l’œuvre, elle est ‘‘gratuite’’, et c’est précisément là que réside son intérêt », écrit la musicienne en préambule. La plupart du temps, les partitions pour clavecin sont jouées à la harpe sans modifier une note. Tantôt le son délicieusement aigrelet du clavecin résonne sous les doigts de la harpiste, tantôt on a l’impression d’entendre un ensemble de guitares au son moelleux, tantôt la fluidité cristalline de la harpe reprend le dessus. 

Foisonnant frémissement

Peu importe l’instrument employé, priment la vivacité des danses, l’humour (ainsi La Poule), la subtilité de composition, la charpente puissante des tableautins d’où émergent les silhouettes des Cyclopes, sans doute plus champêtres que telluriques à la harpe, des Muses qui conversent, de la Villageoise en un rondeau rêveur, de l’élégante Dauphine. Le timbre des cordes pincées de la harpe (comme celles du clavecin, mais avec des arrondis plus marqués, des résonances plus nimbées) s’accorde à la poésie du Rappel des oiseaux dont la virtuosité d’écriture, ses décalages, ses syncopes, sa narration plus proche de l’opéra que de la musique de salon, transcrivent la volubilité des oiseaux en un foisonnant frémissement tandis que Les Sauvages, l’un des tubes du CD, transportent l’auditeur. Se déploie tout au long du disque, jusqu’à l’œuvre éponyme L’Enharmonique et ses changements de tonalité grâce à ses « notes enharmoniques » – c’est-à-dire nommées différemment mais produisant le même son dans la gamme tempérée – une interprétation convaincante de l’œuvre de Rameau, où l’on entend les « deux mains » du clavecin sublimées par les harmoniques d’une harpe aux sons ciselés. Il n’y a pas de trahison dans cette clarté où les ornementations fleurissent non comme de futiles fioritures, mais par l’exposition d’un propos qui s’affirme et s’aiguise. À écouter en boucle ad libitum !

MARYVONNE COLOMBANI

Enharmonique Rameau, Constance Luzzati, harpe, Paraty.
Sortie le 17 mars
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