Vendredi 25 avril. Aboubakar Cissé, fidèle d’une mosquée de La Grand-Combe, commune communiste du Gard, est sauvagement assassiné. De dos, alors qu’il prie le front au sol, il reçoit plus de 40 coups de couteaux. Son meurtrier le filme alors qu’il respire encore, et revendique clairement le mobile islamophobe de son acte, en désignant sa cible, Allah.
Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ne se déplace pas, jusqu’à dimanche. Aucun représentant de l’État, pas même le préfet, n’assiste à la Marche blanche organisée sur place. Personne ne qualifie ce meurtre d’attentat terroriste, pas plus que l’assassinat, quelques jours plus tôt, d’une lycéenne par un jeune admirateur d’Hitler.
Au nom du Père
Le contraste avec l’assassinat du Père Jacques Hamel dans son église en 2016 est frappant. Le meurtre prémédité, perpétré par trois assassins au nom d’Allah durant une courte prise d’otages, avait déclenché une prise de parole forte de François Hollande, alors chef de l’État :
« Ce sont les catholiques qui ont été frappés, ce sont tous les Français qui ont été frappés (…). Attaquer une église, tuer un prêtre, c’est profaner la République, c’est semer l’effroi. »
Des paroles dont il semblait déplacé, alors, de noter l’entorse à la laïcité : les « racines chrétiennes de la France », réfutées au nom de l’histoire depuis Chirac, ressurgissent, à chaque traumatisme, comme un refuge. La France se dit parfois « judéo-chrétienne » – excluant de fait les musulmans et niant son histoire constamment antisémite – mais lorsque les juifs sont visés, les discours officiels ne disent pas que « tous les Français » sont attaqués, mais une « communauté » (Macron), ou « nos amis les juifs » (Marine le Pen). Pas nous-mêmes.
Laïcité à quatre vitesses
Lorsque le 17 mai 2024 un homme tente de mettre le feu à la synagogue de Rouen et est abattu par la police, Gérald Darmanin déclare aussitôt qu’il « s’agit d’un acte antisémite qui s’en prend à un lieu sacré de la République ». Pas de « profanation », pas d’« effroi », mais des amis attaqués que l’on protège. « Nous » sommes Charlie, mais « nous » n’avons jamais été les victimes de l’Hyper-casher.
Quant aux musulmans, ils ne sont même plus ces symboles d’une altérité que l’on protégeait, ces « potes » auxquels on ne « touche pas ». Lorsqu’une victime est musulmane, sauvagement tuée parce que musulmane, dans son lieu de culte, pourquoi le chef actuel de l’État ne réagit-il pas pendant 48 heures ? Pourquoi assure-t-il, avec une banalité écœurante et fadasse, du « soutien de la Nation » à « nos compatriotes de confession musulmane », sans dire nous sommes attaqués, nous sommes Aboubakar Cissé ?
De plus, dans le contexte actuel de durcissement du séjour en France des étrangers, que signifie cette solidarité conditionnelle limitée à nos « compatriotes » ? Elle exclut par omission les musulmans étrangers résidant en France. Sans faire d’amalgame entre deux situations historiques, ni considérer qu’une analogie est forcément signifiante, on peut rappeler que seul le régime de Vichy a tracé une ligne entre le juif français et les juifs étrangers. Il a ainsi envoyé à la mort les déclarés « apatrides » qui fuyaient l’antisémitisme de leur pays d’origine et n’avait pas obtenu la nationalité française. Puis a généralisé les arrestations et la déportation de tous les autres.
Save Our Souls
L’histoire se répète, hoquette, établissant de fait une hiérarchie entre le « nous », « nos amis » acceptables, puis « nos compatriotes » qu’il nous faut protéger après 48 heures de réflexion, et enfin ceux qui n’ont qu’un titre de séjour. Sans parler de ceux qui n’en ont pas, fuyant pour nombre d’entre eux, comme les juifs apatrides des années 1930, le danger immédiat auquel ils sont exposés dans leur pays.
À Marseille l’exposition dans l’espace public de SOS Méditerranée, Save Our Souls, inaugurée le 29 avril par Sophie Beau, rappelle que la solidarité humaine consiste simplement à sauver ceux qui se noient, à accueillir ceux qui ont besoin d’aide. Charité chrétienne ? Humanisme laïc ? SOS Méditerranée, régulièrement menacée et diffamée, défend simplement une valeur fondamentale de notre République. Les âmes humaines, venues de tous les enfers, quel que soit le paradis terrestre ou céleste auquel elles aspirent.
Agnès Freschel
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