Ophélie, quelle histoire… Mais laquelle ? Celle du Hamlet de Shakespeare, dans laquelle la belle princesse du Danemark finit par sombrer dans la folie à cause de son amoureux vengeur avant de mourir noyée, on aimerait bien l’oublier. Surtout qu’on nous l’a rabâchée à toutes les sauces, faisant de la défunte, victime aussi tristement jolie que résignée, une représentation féminine de premier choix pour les artistes… masculins, évidemment. Dans Institut Ophélie, montée en 2022 sur la scène du Théâtre des 13 Vents CDN Montpellier, qu’ils dirigent en duo depuis 2018, Nathalie Garraud (à la mise en scène) et Oliver Saccomano (à l’écriture) ont décidé de faire un pas de côté pour regarder les Ophélie en face. Cette « invention », a été conçue en diptyque avec leur pièce d’étude Un Hamlet de moins. Tout se passe dans une pièce aux multiples portes, de ces décors qui font penser à ces cauchemars dont on n’arrive pas à sortir, sauf en se réveillant en sursaut en pleine nuit. Pas de fenêtre mais une lumière écrasante, irréelle, et une femme. Brune, les cheveux courts, la gouaille revancharde. Qui est-elle ? Elle ne nous dit pas son nom. Fait étrange : elle parle d’elle-même à la troisième personne. Mais parle-t-elle vraiment d’elle ? « Vous voyez une femme. Derrière elle, un paysage de guerre. » Le spectateur ne voit que des portes, car c’est un passé de femmes qu’elle porte, traversé physiquement par des hommes qui parlent (trop), font la guerre (trop) et décident de la marche du monde (mal).
Héroïne d’un soir
Ce sont des hommes également qui ont créé cet Institut d’Ophélie, un lieu où l’on remet des Ophélie en perdition sur le droit chemin. Sans pour autant se demander quelle est la source de leur malheur. Notre héroïne d’un soir n’est pas Ophélie, elle l’affirme. Elle est son « après », sa colère enfin mise à jour, son désir d’être vivifiant, sa révolte infiniment poétique, sa multiplicité insaisissable. Le rôle semble taillé sur mesure pour la comédienne Conchita Paz. Bien qu’elle ne soit jamais très longtemps seule sur scène, on ne voit et on n’entend qu’elle, tant elle est incandescente. Parler de liberté dans un lieu clos pourrait sembler paradoxal, et pourtant c’est bien cela qu’elle fait tout au long de la pièce, elle se libère. Est-elle hallucinée, folle, un fantôme ? Peu importe, elle est le combat des femmes, du passé et du futur. Car rien n’est gagné. La lutte doit continuer. « Tenez bon » nous dit la femme. Le désespoir ne triomphera pas.
ALICE ROLLAND
Institut Ophélie est présenté jusqu’au 20 décembre au Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique National, Montpellier