vendredi 22 août 2025
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« C’est un défi physique pour toute la troupe »

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Baptiste Chabauty
Le Soulier de satin © Jean-Louis Fernandez

Zébuline : Quelle est votre relation au Festival d’Avignon, et comment envisagez-vous votre première performance dans la Cour d’honneur ?

Baptiste Chabauty : J’ai eu plusieurs expériences à Avignon. Mon premier Avignon, il y a une quinzaine d’années, était en off sur la Place de l’Horloge. Puis, il y a quatre ans, j’ai découvert le In avec le Nouveau Théâtre Populaire, ma première troupe, en jouant la trilogie Molière à la Cour Minérale, une expérience de sept heures ! 

Cette fois-ci, nous sommes à guichets fermés pour Le Soulier de Satin, ce qui est formidable. Personnellement, c’est ma première fois dans la Cour. C’est un espace bien plus grand : nous allons passer des 780 places de la Salle Richelieu à 2000 spectateurs. Nous sommes encore en répétition : nous travaillons avec des plans pour nous projeter dans cet espace que nous ne connaissons pas. Éric Ruf dit qu’il a l’impression de préparer le casse d’une banque ! (rires)

Nous essayons d’être le plus tranquille possible. La mise en scène abolit le quatrième mur ; il y a un échange très humain, très concret et chaleureux avec le public, initié par l’annoncier et l’annoncière qui racontent l’histoire entre les scènes. C’est un défi physique pour toute la troupe, qui est de tous âges. Les nuits de répétition, puis les représentations de 22h à 6h du matin, demandent une grande forme. Il peut faire très froid la nuit à Avignon. Nous allons tous devoir tenir et projeter notre énergie joyeusement pour ce public.

Comment avez-vous fait corps avec le personnage de Rodrigue ?

C’est un matériel incroyablement riche. J’ai eu l’occasion de monter Le Soulier de Satin il y a deux ans avec le Nouveau Théâtre Populaire, dans une version de cinq heures où je composais la musique, sans jouer les mêmes rôles. Claudel n’est pas forcément facile, certains ne l’aiment pas, je n’étais moi-même pas un claudélien de la première heure. Il y a un côté métaphysique, émotionnel, politique et religieux : maintenant, je l’adore ! 

Le corps est un grand sujet, surtout pour Rodrigue. Le matériau est tellement riche que j’ai l’impression d’en découvrir toujours plus. Et le personnage de Rodrigue est un cadeau. C’est un jeune garçon qui va traverser toute sa vie. La pièce s’ouvre sur son frère, le père Jésuite, qui prie pour lui, afin qu’il apprenne que la vie ne consiste pas seulement à conquérir, mais à se dépouiller, à être désiré plutôt que de désirer, à connaître le manque et l’amour. 

Au début, Rodrigue est défini comme un homme cruel et jaloux par le roi lui-même, qui le choisit pour sa tâche de vice-roi. Pourtant, il y a aussi la joie de l’amour, puis le conquérant, l’homme violent. C’est un homme avec des côtés très durs. La prière de son père Jésuite se réalise petit à petit, à travers des humiliations, jusqu’à ce qu’il devienne ce « vieillard céleste » qui peint des tableaux. Cette évolution, ces différentes périodes de sa vie, sont d’une richesse infinie et inépuisable. Je ne m’y ennuie jamais !

Propos recueillis par SUZANNE CANESSA

Du 19 au 25 juillet
Cour d’honneur du Palais des Papes

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Lumières d’été

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© Lana Beneteau

Voilà désormais cinq ans que le festival dirigé par la flûtiste Marie Laforge et le harpiste Léo Doumène s’impose dans le paysage aixois. Au fil de cinq jours et six lieux, la Camerata Côté Cour, jeune ensemble de douze musiciens aussi brillant qu’audacieux, fait dialoguer vents et cordes dans un programme exigeant, éclectique et vibrant, donné en plein air et encore nimbé des lumières du jour. Tout commence le 15 juillet à 20h, sur la place de l’Église de Puyricard, avec un concert d’ouverture festif et convivial : programme surprise, ambiance chaleureuse, entrée libre et pot convivial à l’issue du concert. En cas de pluie, la belle Église attenante ouvrira ses portes.

Tous publics

Le lendemain matin, à la Manufacture d’Aix-en-Provence, un rendez-vous pédagogique offert aux enfants des Centres Sociaux et de Loisirs de la Ville d’Aix-en-Provence : Pierre et le Loup de Prokofiev pour les enfants des centres de loisirs. Avant que la troupe ne rejoigne la Cathédrale souterraine de Saint-Martin-de-Pallières à 19h pour un programme autour de Charlotte Sohy, Debussy, et Ravel : une ode à la nature et aux couleurs.

Le 17 juillet, la Camerata fait escale à Pertuis. En matinée, Pierre et le Loup revient pour les plus jeunes, le temps d’un concert offert et réservé aux enfants des Centres de Loisirs de la Ville. Le soir à 20h, l’Espace de Croze de la Chapelle Saint-Jacques accueille un concert toutpublics : Pierre et le Loup y sera rejoint par Ma Mère L’Oye de Ravel, Rhapsody in Blue de Gershwin et les Danses Hongroises de Brahms. Une exposition des dessins des enfants du Centre de Loisirs accompagnera ce concert.

Le week-end à Aix-en-Provence, les 19 et 20 juillet, sera également riche en dialogues et correspondances. Dans le patio du Musée Granet, dès 21h, la musique dialoguera avec les œuvres de Paul Cézanne. Des œuvres de Clara Schumann, Mel Bonis, Brahms, Ravel et Charlotte Sohy, puis de Debussy, Ravel, Chausson et Jean Françaix y composeront des fresques chambristes en miroir d’une grande richesse. Les tarifs concerts incluent la visite libre de l’exposition Cézanne 2025 (de 19h30 à 20h45), pour une immersion complète.

SUZANNE CANESSA

Côté Cour
du 15 au 21 juillet
Pays d’Aix
Les musiciens

Joséphine Besançon – clarinette
Bastien Nouri – hautbois
Antoine Berquet – basson
Félix Polet – cor
Khoa-Nam Nguyen – violon
Roxanne Rabatti – violon
Laetitia Amblard – violon
Oriane Pocard-Kieny – alto
Paul-Marie Kuzma – violoncelle
Marion Jacquard – piano
Marie Laforge – flûte
Léo Doumène - harpe
Frédéric Daumas
 – percussions 

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Éclosion des corps 

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corps
© Thomas Bohl

22 heures, Marseille. Le chant des cigales retentit encore dans la verdure du parc François Billoux qui entoure le Théâtre de la Sucrière. Pour rompre cette B.O. estivale, les danseurs de la compagnie Kilaï, fondée par la chorégraphe Sandrine Lescourant arrivent sur scène, accompagnée d’une musique gospel composée par Abraham Diallo. Ils sont une vingtaine, presque au ralenti, bientôt rejoints par les membres des associations Ramina et Singa, qui ont répondu à l’invitation de la compagnie. 

Ce soir-là, leurs corps se délient peu à peu, et s’illustrent sur scène aussi bien le fracas de la solitude qu’un sentiment profond d’unité. Une narration s’esquisse : slam et chant, par roulement, se succèdent, racontant une histoire, immortalisant les liens. Les silences ont un sens, les respirations un rythme, tout compte sur scène. L’énergie circule.

En live, le beatmaker et beatboxer Cjm’s compose des sons sur un looper, et les corps se meuvent en symbiose sur les rythmes qu’il crée. S’y accorde la batterie de Jeremie Tshiala qui marque les pas organiques des danseurs, et chacun trouve peu à peu son flow.

Invitation au lâcher-prise 

La performance devient une interaction dans le réel, où l’on ressent une certaine liberté dans la fragilité de l’instant. Tranquillement, les danseurs se mélangent au public pour parler d’amour, « quelle est ta définition de l’amour ? ». Et la discussion reprend, avant que le public se laisse aller à danser sur scène. 

LILLI BERTON FOUCHET

Blossom s’est joué le 3 et 4 juillet au Théâtre de la Sucrière dans le cadre du Festival de Marseille. 

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Avant le soir – L’absurde ou l’amour, les deux ensemble

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PÉPITES - PINGOUIN © Olivier Quéro

Ce 4 juillet au Square Bertie Albercht, place était donnée aux jeunes comédien·nes de l’Eracm, dans une mise en scène signée Thomas FourneauBenoît BillonGarance Courtial dans Pingouin et Clarisse EnsenatAmélie Kierzenbaum dans Pépites. Deux pièces données quasi simultanément, puisqu’elles se répondaient en ping-pong pendant toute la durée du spectacle. 

Pour Pingouin, le duo vêtu comme des clowns se questionne sur les relations amoureuses, ses gênes, ses normes, les relations hétérosexuelles et homosexuelles. Amazone, une jeune fille, s’ennuie et veut jouer à l’amour. Un peu puérile et fausse naïve, elle poursuit Abélard. Mais celui-ci refuse car il a déjà une amoureuse…

Cette pièce clownesque, de poursuites et de retrouvailles, joue énormément sur les mots et le langage amoureux en questionnant par exemple le rôle des petits noms : chéri, mon choux… ou pingouin, qui lui donne ainsi son nom. Les acteurs jouent avec le public, viennent s’asseoir au milieu des spectateurs, choisissent des amoureux ou des amoureuses au gré de leurs envies. 

Dans le même temps, on assiste avec Pépites à la rencontre de Léo et Mia dans un parc. Il la renverse en courant, pour aller voir sa grand-mère. Au fil des jours de l’été sans école, l’amitié puis l’amour des deux collégiens se noue autour des pépites, ces moments de silence partagé qui permettent de figer le temps.

Les deux actrices sont drôles et touchantes dans leurs interprétations, d’autant plus que la pièce repose plus sur des silences que du dialogue. De la poésie toute en douceur à côté des deux clowns de Pingouins

LOLA FAORO

Spectacle donné le 4 juillet au square Bertie-Albrecht dans le cadre de la programmation Avant le soir, Marseille.

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[FID MARSEILLE] : « BULAKNA », celles qui partent, celles qui restent

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Mindoro, Philippines. Un village de pêcheurs. Baraques sommaires de bois et de tôles ouvertes aux quatre vents et aux pluies tropicales. Les hamacs pour les siestes. Les filets lancés par les hommes depuis de petites embarcations. Le séchage, la vente du poisson sur la grand’route par les femmes. L’église et les processions où se retrouvent ces anciens esclaves évangélisés par les Espagnols. Les gestes du quotidien, les virées en moto. Une vie simple. Pauvre mais pas misérable. On mange à sa faim. La nature est luxuriante. Les familles solidaires. Pourtant, la jeune Mélissa rêve de partir. Les montagnes barrent l’horizon qu’elle contemple et de Manille les agences de recrutement des personnels de maison proposent des contrats à l’étranger. Son amie plus âgée a tenté l’expérience autrefois et est revenue au pays. Elle lui dit la solitude de l’exil, la tristesse de ne pouvoir parler à personne dans sa langue, le chagrin de la séparation et celui de ne pas voir ses enfants grandir, la contrainte de l’effacement de soi : « tu apprendras à tout faire à la perfection et plus invisible tu seras, meilleur sera ton travail »

A Lisbonne, à 12 000 kms de là, on suit une autre Philippine, qui, autrefois journaliste, a fait le choix de devenir domestique chez de riches Portugais. Maison d’«architecte » où elle a une petite chambre. Journées qui enchaînent les tâches ménagères et où elle suit les préceptes -donnés comme les tables de la loi, de l’employé modèle. Le jour de congé, les réunions avec ses compatriotes, pour partager ses expériences, se réconforter grâce aux photos des êtres aimés, les retrouver de temps à autre en face time. Pas le bagne, mais la domination tranquille et décomplexée de l’ancien colon devenu patron.

Léonor Nolvo en collant sa caméra à ces femmes, en faisant entendre au travers des dialogues ou par un monologue intérieur, les raisons de leur choix, nous fait percevoir sans manichéisme, ni docte discours, les enjeux humains de l’exil économique. Elle place les trajectoires individuelles dans la perspective historique de la colonisation et du discours dominant des vainqueurs. Et si Magellan n’avait pas fait le tour du monde ; et si on parlait un peu du rôle de son esclave Henrique ? Au théâtre, on réécrit l’histoire du point de vue des vaincus. On rejoue les batailles où les colonisés se sont révoltés contre l’asservissement des Européens. Mais cette prise de conscience n’arrête pas l’émigration de ces Philippines qui vendent leur force de travail dans les pays riches, vont s’occuper des enfants et des parents des autres en laissant les leurs au village, victimes d’un ordre mondial inique comme un héritage maudit.

ELISE PADOVANI

Bulakna a été présenté à la 36è édition du FID en première mondiale et a obtenu le Prix RENAUD VICTOR

[FID]L’Incroyable femme des neiges. Entre Pôle Nord et Jura

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Baie de Baffin. Groendland. Une femme, seule sur l’étendue de glace,  avance contre le vent polaire, dans une lumière rasante et installe un bivouac. Tout à coup un ours et un combat, à mains nues, dans ce froid extrême. Cette femme, c’est Coline Morel jouée par Blanche Gardin dans le nouveau film de Sébastien Betbeder , L’Incroyable femme des neiges . On  retrouve Coline, en France, dans un hôpital  du Jura, où  un diagnostic lui est donné . « J’ai 46 ans et je vais bientôt mourir » nous apprend –elle.  Elle vient de se faire licencier de son emploi de chercheuse, spécialiste des pôles, et revient dans la maison familiale où vit son frère  Basile (Philippe Katerine), surpris et gêné : elle n’a plus donné de nouvelles depuis des années. Un retour qui commence par un coup de poêle sur la tête et ce ne sera pas le seul couac de ce séjour. Elle apprend que son compagnon, Sacha la quitte après 18 ans de vie, presque commune : Coline était souvent en expédition sur les traces du qivittoq, un  être surnaturel errant et mystérieux, issue de la mythologie inuit. « Je t’ai quittée parce que tu me faisais peur, lui dit –il par téléphone. Effectivement, Coline semble incontrôlable et dans le village , elle « sème la terreur » si bien que le frère cadet, Lolo (Bastien Bouillon) est appelé en renfort. Quand Coline croise Christophe, son premier amour, marié et instituteur, elle s’invite dans sa classe de maternelle pour venir raconter ses aventures polaires devant sa classe de maternelle. Une séquence hilarante ; un vocabulaire de spécialiste puis une démonstration, couteau à la main d’un  avec l’ours. Des enfants terrifiés et un prof  affolé chez qui elle va débarquer un soir. Elle agresse sa femme  l’accusant de lui avoir « volé » Christophe, jusqu’à ce qu’elle soit interpellé. Malgré l’aide apportée par ses frères à qui elle n’a toujours pas révélé sa maladie incurable, elle n’arrive pas à vivre là et….disparait. Tous la croient morte  et on laisse aux spectateurs découvrir la nouvelle vie ,  le choix de cette femme, borderline, qui vient de vivre une expérience ; se confronter à sa propre famille pour vraiment être sûre de sa place dans le monde. Une femme libre de choisir « un bon jour pour mourir » comme Dustin Hoffman dans Little Big Man qu’on entrevoit sur un écran.

Un film au sujet grave, un personnage confronté à la mort, mais que Sébastien Betbeder traite avec humour comme une comédie : « J’assume totalement le film comme une comédie, même si j’aime beaucoup le terme de « dramedy ».Et c’est vrai qu’on rit dans ce film, souvent surpris par ce personnage de femme exploratrice, solitaire, qui a toujours cherché un sens à sa vie, dont Blanche Gardin  a su exprimer toutes les facettes. Quant aux deux frères, l’interprétation de Philippe Katerine et Bastien Bouillon est parfaite.  Un beau travail aussi du directeur de la photo, Pierre-Hubert Martin, aussi bien pour les plans larges aux couleurs froides du Groenland  que pour les intérieurs aux tons chauds,  jaunes ocres.  Un film à découvrir

Annie Gava

L’Incroyable femme des neiges sortira en salles le 12 novembre

[FID} Fuck the polis

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Il y a des films qui avancent comme des trains dans la nuit. Des films qui nous perdent. Des films qui nous laissent sur le bord de la route Et il y a des films qui nous embarquent, tel le dernier opus de Rita Azevedo Gomes, Fuck the polis, qui « vient d’un poème de João Miguel Fernandes Jorge que l’on entend à la fin du film, Rua Doménikos Theotokopoulos, qui se termine ainsi : « sur le mur, en noir – fuck the polis. » Un film qui aurait pu s’appeler A ciel ouvert, précise la réalisatrice.

Un film comme un voyage dans les îles grecques, dans le temps. D’abord, celui de la réalisatrice : en 2007, elle avait réalisé son rêve, voir la Grèce alors qu’on venait de lui annoncer que ses jours étaient comptés. Celui qu’elle refait en 2024 en compagnie de quatre garçons et une fille, qui l’aident à tourner le film partageant aussi paysages et lectures. Un film mosaïque où les histoires se croisent et se tissent : celle de la cinéaste mais aussi celle de l’héroïne de A Portuguesa, une nouvelle que son ami João Miguel Fernandes Jorge a écrite pour elle et qu’elle lit aux escales entre les îles. De Syros à Mykonos, puis Delos, l’île sacrée où elle poursuivait Apollon, la lumière et la beauté. On visite les vestiges d’un sanctuaire, l’on s’attarde devant les kouros …On assiste au ballet des camions qui embarquent, on hume l’air marin assis sur le pont ou accoudé au bastingage. Un film dont la matière même porte les traces de sa fabrication, mêlant images numériques HD, vidéo et super huit, extrait de film, telles les strates du temps, où les langues se mélangent…

 Un film musical où des motifs reviennent comme un refrain : le café avec ses joueurs de pavli, les coquelicots rouge sang, les herbes folles jaune doré, le sillage du bateau, la mer et des chansons grecques, celles que chante Maria Farantouri dont la sublime « Ti oreia pou inéi agapi mou…qu’elle est belle ma bien aimée ! », inspirée du Cantique des Cantiques.  Et soudain, comme une apparition : assise chez elle, la chanteuse à la voix de velours fait écouter un extrait d’Ithaki dont elle traduit les paroles à Rita et aux jeunes gens. Un moment très émouvant qui nous entraine dans nos propres souvenirs.

On sort de ce film, le cœur rempli d’allégresse avec un seul désir : refaire le voyage.

Annie Gava

[FID MARSEILLE] : ALARM NOTES, des chants d’outre-tombe

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Qu’il y a-t-il de commun entre l’incendie du Reichstag en 1933 et l’enregistrement du chant des oiseaux sauvages dans les non moins sauvages îles britanniques ? Et bien Anthea Kennedy et Ian Wiblin nous l’apprennent par un film passionnant, historique, poétique,  familial. C’est l’histoire d’un Juif allemand, méconnu des profanes, mélomane, chanteur d’opéra, pionnier de la prise de son, inventeur du livre sonore : Ludwig Koch. La co-réalisatrice en est la petite fille. Elle hérite de ses enregistrements et se sent obligée d’en faire « quelque chose ». De rendre compte de l’extraordinaire destin d’exilé de ce « non-arien ». En 1928, il vit à Berlin avec sa femme et ses enfants. Travaille dans l’entreprise de gramophones Carl Lindström. Il est à la tête d’une branche culturelle de cette industrie, et continue à recueillir les sons animaux et humains.

Dans la nuit du 27 au 28 février, un incendie criminel ravage le siège du Parlement. Les Nazis accusent les Communistes et finissent de brûler la démocratie par des milliers d’arrestations arbitraires et de jugements partisans. Kock louait une chambre de sa maison à un certain Monsieur Steiner qui se trouve être Geogi Dimitrov, cadre du Komintern accusé de complicité dans l’incendie. Kock, sa famille, seront interrogés par la commission d’enquête créée à l’occasion. Puis incriminés, contraints à l’exil après une tentative de suicide.

La première partie du film va raconter avec précision l’enchaînement des événements, l’investigation policière et la mécanique de la terreur mise en place par le régime d’Hitler. Un récit en voix off à la deuxième personne tandis qu’à l’écran apparaissent les lieux parfois disparus de cette histoire, cartographiée dans un Berlin ou un Leipzig, contemporains. S’afficheront aussi les reproductions des dépositions dactylographiées, des photos en noir et blanc, des objets retrouvés dans les musées. Reconstitution chronologique des faits, rythmée par les enregistrements de Kock, animaux, bruits urbains. Le passé hors champ se tient tout entier dans la voix narrative et le son.

L’exil anglais

La deuxième partie sera anglaise, toute de paysages et de cris d’oiseaux. Koch s’est réfugié à Londres où il travaille pour la BBC. Aux documents de police se substituent les pages manuscrites aux caractères déliés, aériens, de l’ornithologue-preneur de son. La narratrice poursuit son récit sur le même mode, évoque le camp où se retrouvent les apatrides après la déclaration de guerre, les difficultés de son grand père pour travailler et sa passion opiniâtre qui lui fait transporter sur des kilomètres de lochs, de landes et de forêt, un matériel lourd et volumineux. Peu à peu, la nature prend toute l’image. La présence humaine s’efface. Une foule de cygnes blancs au long cou coudé, bec orangé et masque noir, envahit l’écran. On traque le cri d’un héron, d’un courlis et on entend la naissance d’un Chevalier aboyeur. Ces oiseaux seront très équitablement cités au générique de fin comme des acteurs. Car on n’est pas dans un documentaire animalier. Loin s’en faut. Les animaux enregistrés par Koch sont morts depuis longtemps, comme lui. Ils sont ceux qu’on entend mais pas ceux qu’on voit. Par son montage savant et son subtil traitement des archives visuelles et sonores, le film rend présente l’absence, donne vie aux fantômes. Ce qui est sans doute une des missions du cinéma.

ELISE PADOVANI

Le  FID MARSEILLE 36 : du 8 au 13 juillet 2025.

[FID] Don’t take it personnaly

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Une femme en noir qui danse, un écran blanc, un écran noir, servent de prologue à un film en deux parties. . Une partition visuelle qui prend tout son sens avec le deuxième mouvement, une performance mêlant musique et danse. Oiseaux morts, ailes blanches tachées de sang, gibier tué, détails de tableaux de l’âge d’or néerlandais, revenant en boucle rythmée,  se mêlant à des dentelles, soulignant la violence cachée de l’époque et dévoilant le crime : des animaux qui dévorent leur propre race.

 Le deuxième mouvement, en de longs plans séquences, donne à voir la performance de deux musiciens croates à la chevelure rouge, Alen et Nenad Sinkauz et d’une danseuse néerlando-indonésienne Marije Nie , toute de noir vêtue. Ses pieds aux chaussures rouges martèlent le sol au rythme de la musique. Marije Nie dit, crie des paroles fortes, inspirées par les textes  de l’écrivaine Dubravka Ugrešić, qui dépeignent  les comportements individuels et collectifs quand la société s’effondre. Le corps de la danseuse devient la voix de la révolte et de la dénonciation du système capitaliste, nous happant, nous faisant entrer dans son rythme. Une performance fascinante que la directrice de la photographie, Fiona Braillon a brillamment captée.

Un film étonnant, une vraie expérience sonore et visuelle que nous offre Jelena Juresa, artiste plasticienne et cinéaste

Annie Gava

La marche de tous les possibles

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© Thibaut Carceller

Un certain Lilian accueille les bénévoles sur l’esplanade du J4 à Marseille, face à la mer et aux chants des gabians, deux convois à l’allure bien rodée font poids lourds. Ce samedi 5 juillet, se prépare comme chaque année la marche des fiertés, qui va animer toute la journée le centre ville, dans un esprit de fête et de paix. Le soleil tape déjà bien fort sur la cité phocéenne, quelques dizaines de personnes sont sur le pied de guerre, et la fête semble émerger peu à peu. Banderoles, drapeaux et basses, l’artillerie se déploie pour laisser place à un club à ciel ouvert. Il fait de plus en plus chaud, une main qui essuie les gouttes de sueur et l’autre qui accroche la dernière banderole avec frénésie.

Il est 16h, le cortège s’élance depuis le palais Longchamp, quelques coups de klaxon pour signifier sa présence, le camion en tête de file ouvre la marche. Les drag queens saluent la foule, et les bénévoles, armés de pistolets à eau, tentent comme ils le peuvent de rafraîchir les participants. Puis le cortège descend le boulevard de la Libération, une étape incontournable de la Pride marseillaise. La musique à fond, quelques têtes surgissent des fenêtres l’air étonné, une chose est sûre, la parade ne passe pas inaperçue.

Quelques centaines de mètres avant d’atteindre le cours Belsunce, la playlist déraille, les quelque 40 000 participants se retrouvent dans la spirale des hits latino, la foule est en transe, inarrêtable et plus déterminée que jamais à faire trembler la ville. Le volume se tasse, comme la tradition le veut, une minute de silence s’impose pour rendre hommage à toutes celles et ceux qui ont combattu et qui sont tombés pour leur liberté

Drapeaux lesbiens, gays, transgenres ou pansexuels à la main, la déambulation reprend encore plus bruyante et fracassante. Le soleil tape, il est temps de gâter les friands des sons des années 2010, Katy Perry, Beyonce ou encore Nicki Minaj, tous passent sous les platines du DJ. Après plus de 3h de marche, le cortège s’arrête devant la mairie, Titanium de Sia et David Guetta se lance pour clôturer cette 32e marche des fiertés. Plus que jamais solidaire avec les communautés LGBTQIA+ voisines mises sous silence – dont la Hongrie où la Pride a été interdite cette année mais dont plus de 180 000 manifestants ont défilé malgré les sanctions annoncées par Viktor Orbán. À Marseille comme ailleurs, l’amour triomphe toujours.

THIBAUT CARCELLER

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