Bar, cinéma muet, salle de variétés, à l’abandon après les bombardements de 1944, puis pour un long temps, théâtre dirigé par la compagnie Chatôt-Vouyoucas, le Gyptis est redevenu en 2014 un cinéma et davantage encore. Faisant fi des mauvais augures, avec son nom de princesse celto-ligure, ancré dans un des quartiers les plus pauvres de la ville, il a réussi le pari de rester le lieu de rencontres qu’il fut de tout temps. Drainant 25 000 spectateurs par an.
Engagé dans l’éducation à l’image des jeunes, multipliant les projets, offrant l’excellence sans la démagogie. À l’instar du court métrage fait maison avec La Fraternité, les minots et les habitants, Je n’entends pas les oiseaux, projeté en délicieux préambule au long métrage d’animation multi primé du réalisateur letton Gints Zilbalodis, partiellement made in Marseille : Flow le chat qui n’avait plus peur de l’eau (en salles le 30 octobre). Surprenant, poétique, drôle, émouvant, inventif, et bougrement intelligent. Fable écologique muette et éloquente qui imagine un déluge biblique noyant la terre et embarque, dans un esquif fragile, un chat, un lémurien, un labrador, un capybara et un échassier sans autre choix que de se serrer les pattes pour surmonter les dangers. En 2014, le distributeur Shellac avait ouvert la programmation du cinéma nouveau-né avec une autre fable aquatique Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador dont le héros voyait ses forces décupler au contact de l’eau. Hasard ou clin d’œil à un cinéma qui mène sa barque et évite les écueils – dont le dernier à l’horizon semble être le tracé d’un tramway ?
ÉLISE PADOVANI
Les 10 ans du Gyptis se sont tenus du 4 au 6 octobre.
Zébuline. Comment vous est venue l’idée de porter sur scène ce roman ?
Emmanuel Noblet. Immédiatement, dès que je l’ai lu en 2017. Je voulais absolument faire du théâtre avec ça, cette langue littéraire, ce huis clos, cette histoire d’intime conviction. L’article 353, c’est celui qui laisse au juge des affaires criminelles la latitude de l’intime conviction sur la culpabilité de l’accusé. Mais Tanguy Viel a refusé…
Pourquoi ?
Il n’est pas convaincu par l’adaptation littéraire au théâtre, ou au cinéma. Et c’est exactement ce que j’aime ! J’ai dû insister, pendant 5 ans. Puis il a accepté, sans doute après la publication de son roman suivant, La Fille qu’on appelle. Il était passé à autre chose. Mais là j’ai dû faire face à un autre obstacle inattendu ! Tout le monde voulait jouer ce rôle. En particulier Vincent Garanger, qui lui avait demandé les droits juste après moi. C’est un matériau tellement fascinant pour un acteur, la langue, le huis clos, l’enjeu politique. Comme je n’avais pas l’âge pour jouer le personnage, j’ai demandé à Vincent de jouer l’accusé, et j’ai pris le rôle du juge, ce qui a fait plaisir à Tanguy Viel, qui hésitait entre nous deux…
Vous êtes metteur en scène, acteur, vous avez adapté Réparer les vivants de Maylis de Kerangal, mais cet intérêt pour la littérature se double d’un intérêt pour le droit, que vous avez étudié…
Oui, mais c’est au plus une jolie coïncidence, j’ai étudié le droit public, pas le droit pénal. Il m’en reste sans doute cette interrogation sur la citoyenneté : le juge doit prendre une décision, cet homme s’est fait justice lui-même, le reconnaît, il a tué. C’était un taiseux, il devient bavard, se livre, et fait naître de l’empathie. Et cette question chez le juge, sur la relativité de la culpabilité.
C’est-à-dire ?
Je change d’endroit : le huis clos ne se déroule pas dans le bureau du juge, mais sur le lieu de l’escroquerie, un chantier à l’abandon. Le juge, in situ, se trouve dans le lieu de l’accusé. L’homme qu’il a tué a désespéré toute une ville, une société. Que doit la justice face à son meurtre ? Que peut nous dire notre « intime conviction » sur la culpabilité de son meurtrier ? Elle est réelle, mais est elle totale ? Est-ce que ça existe, la culpabilité partielle ?
Vous créez ce spectacle, qui va beaucoup tourner, au Théâtre Durance, qui le coproduit. Comment cela s’est-il fait ?
Oui, nous avons plus de 60 dates prévues avant la création, c’est exceptionnel. Et créer dans cette vallée l’est tout autant. Parce que l’équipe est formidable, accompagnante et chaleureuse, parce que la scène est très bien équipée, parce que trois semaines de résidence, c’est exceptionnel… Quant à la cause, Elodie Presles, la directrice, avait aimé Réparer les vivants, que j’ai joué 300 fois, et m’avait proposé de produire mon prochain spectacle. Elle tient ses promesses !
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AgnÈs Freschel
Article 353 du code pénal 15 octobre Théâtre Durance Scène nationale, Chateau-Arnoux-Saint-Auban
Les 17 et 18 octobre Bois de l’Aune, Aix en Provence
Hofesh Shechter est cette année sur toutes les scènes. Sa danse athlétique, maximaliste, dit toute la violence du monde avec une force rarement atteinte. Entré au répertoire du Ballet national de l’Opéra de Paris, en création au Théâtre de la Ville de Paris en juin, le chorégraphe israélien réside à Londres, mais entretient aussi avec la France une proximité, en particulier depuis sa pièce Uprising (2006) inspirée par les révoltes urbaines des banlieues françaises.
Mais From England with Love porte un regard sur son pays d’accueil et sa jeunesse, confrontée au paradoxe ambigu d’une société pétrie de traditions et d’art, de progressisme et de contraintes. À la fois dur, lucide et ironique, le spectacle, créé par la Nederland Dans Company, est repris pour cette tournée par le ballet Hofesh Shechter II, composé de jeunes danseurs explosifs. Le chorégraphe compositeur introduit dans sa musique de très belles pages de Purcell et d’Elgar, chefs d’œuvres de la musique anglaise dont les danseurs se débarassent peu à peu, comme des uniformes, cravates, jupettes, qui les enferment dans leur genre et des normes grises, bisant leurs individualités. « My mind is my mand », répètent-ils comme un mantra, affichant leur diversité, leur force créative, résistant aux oppressions que l’on devine, que l’on voit, autour d’eux. Cherchant avec l’œil d’un étranger, comme un huron voltairien, les travers de cette société qu’il connaît pourtant depuis 20 ans, c’est une lettre d’amour que le chorégraphe adresse à son pays d’adoption, capable d’autant de créativité, diverse.
AGNÈS FRESCHEL
From England with Love 8 et 9 octobre La Garance, Scène nationale de Cavaillon
Depuis 2018, l’Ensemble Télémaque, sous la direction du talentueux Raoul Lay, porte le projet October Lab, plateforme internationale de création dont l’objet est la production et la diffusion d’œuvres de compositeurs vivants. L’idée de ce puissant rendez-vous automnal est de faire se rencontrer les créateurs d’œuvres musicales d’ici et d’ailleurs, en mettant à chaque édition un pays à l’honneur. Après le sheng chinois, le théâtre musical canadien, les lyriques et brumeuses terres galloises en partenariat avec le centre Ty Cerdd Wales et la Méditerranée lumineuse avec les compositeurs Jérome Casalonga (Corse) Maria Vincenza Cabizza (Sardaigne) et Karl Fiorini (Malte), Télémaque a décidé cette année, de jeter un coup d’œil dans le rétro. Intitulé Divers/Cities, le programme est un feedback de quelques-unes des créations qui ont marqué October Lab. Celles de trois filles, la Canadienne Beka Simms avec La saison des dents, la Britannique Lynne Plowman avec Appel clairon et la Galloise Sarah Lianne Lewis, qui puise son inspiration dans la poésie et la nature qui l’environne.
Une fine équipe
Côté garçons, on pourra découvrir l’Intérieur hollandais II du Catalan Joan Magrané Figuera dans lequel violons et percussions s’endiablent, le Franco-Brésilien Francisco Ferro avec Les inflexions d’Escher et le Canadien James O’Callaghan – il a obtenu plus de 40 prix pour ses compositions. Six univers musicaux, six imaginaires foisonnants, parfois limpides, parfois songeurs, parfois tourmentés, complexes ou totalement cacophoniques. Pour les interpréter, on retrouvera la fine équipe de l’Ensemble Télémaque Charlotte Campana à la flûte, Linda Amrani à la clarinette et Gérard Occello à la trompette. Mais aussi le magnifique pianiste et compositeur Nicolas Mazmanian, le facétieux Christian Bini aux percussions et ambianceur sonore inspiré et puis les cordes : Yann Le Roux-Sèdes et Jean-Christophe Selmi aux violons, Jean-Florent Gabriel au violoncelle et Eric Chalan à la contrebasse. Damien Paradisi fera résonner son accordéon. Et c’est toujours avec un immense bonheur que l’on pourra entendre les magnifiques élans de la soprane Brigitte Peyré qui, au service de la composition, se fait poignante, animale, exaltée.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
October Lab Du 10 au 13 octobre Divers lieux, Marseille
Zébuline. Ce livre est -il écrit dans la perspective des prochaines élections municipales ? Sébastien Barles. Non, grand dieu non !
En égratignant dans votre livre le Printemps Marseillais, vous avez déclenché un début de polémique. Ce n’était pas mon objectif, loin de là. Mon retour sur la dernière campagne électorale, c’est 3 pages sur 220. Ce livre a pour unique vocation de réfléchir sur ce que pourrait être une ville en transition énergétique et plus douce à vivre. Je prends du recul, je donne des pistes et j’espère que mes amis de la majorité, mais aussi tous les Marseillais, tous les citoyens s’en empareront.
Pourquoi avez-vous eu envie de publier ce livre ? Lorsqu’on est élu, on est happé par le quotidien et les dossiers à traiter en urgence. Or la transition écologique implique d’avoir une vision sur le temps long. L’idée était de prendre du recul et d’imaginer un modèle de ville résiliente, singulière, répondant aux défis climatiques, à la nécessité de plus de justice sociale et à la question de la place des élus dans une gouvernance démocratique. J’ai choisi l’année 2030 car il s’agit de la date fixée par la feuille de route européenne, co-élaborée avec les collectivités locales, le monde scientifique et associatif, dans le cadre du contrat ville climatique, à la suite de l’obtention par Marseille du label européen des 100 villes climatiquement neutres.
Dans la première partie, vous dressez le bilan désastreux de la période que vous appelez des 3 G. Les 3 G, ce sont Gaston (Deferre), Gaudin et Guérini. Avec eux, le clientélisme a régné dans notre ville durant 60 ans et a laissé les services publics exsangues et les logements s’effondrer. Tout est à reconstruire. On critique souvent le comportement des Marseillais. Mais si on veut que les citoyens respectent les institutions, le « vivre ensemble », il faut que les pouvoirs publics et les collectivités soient exemplaires. Je parle aussi de dépasser l’idéologie libérale du « ruissellement » selon laquelle la Métropole, en se développant, irriguerait la ville et répondrait à ses besoins. Or, la Métropole a tourné le dos à Marseille, pas seulement parce que politiquement les relations entre les deux entités sont très dégradées, mais parce que Marseille est la ville des « pauvres ». Ce modèle ne fonctionne pas. Il faut faire à l’inverse.
C’est-à-dire ? Il faut imaginer un modèle autocentré, autosuffisant en matière énergétique et alimentaire avec une démarche circulaire, limitant les déchets. Nous avons la chance d’avoir une ville archipel avec ses 111 quartiers reliés entre eux. Il faut les réinvestir, renouer avec des coopératives de proximité socialement utiles, développer des fermes urbaines, mutualiser les ressources, créer des pôles de compétences tournés vers la réparation écologique. Le port est aussi un enjeu. À quoi doit-il servir ? Pour décarboner, il faut esquisser un projet qui ne soit pas fondé sur la grande industrie ou les croisières.
Vous imaginez une ville sans voiture. Ce n’est pas très populaire. Cela ne l’est pas, parce qu’il y a à Marseille un immense problème de mobilité, en particulier par manque de transports en commun. La tâche est immense. Il faut limiter le trafic de transit en relocalisant plus d’activités dans les quartiers, en développant le plan vélo, les voitures électriques en autopartage, des véhicules adaptés non polluants à tarifs sociaux pour les personnes âgées ou les vélos cargos pour les livraisons. Ces derniers pourraient être fabriqués ici, à Marseille, ce qui créerait des emplois. Il faut aussi libérer le stationnement en surface. De même nous réclamons depuis longtemps un RER métropolitain reliant les grandes villes de la Métropole, Marseille, Aix, Aubagne, Vitrolles. Tout ceci permettrait de reconquérir l’espace urbain, se réapproprier les places, les trottoirs pour y développer la vie sociale, des lieux de rencontre, des aires de jeux. L’Italie l’a fait, pourquoi pas nous ?
Vous parlez de créer un revenu de transition écologique. De quoi s’agit-il ? Il s’agirait d’une aide financière pour permettre aux personnes souhaitant se reconvertir dans une activité plus utile écologiquement et socialement de se former, par exemple, un boulanger ou des agriculteurs qui voudraient se mettre au bio, un artisan souhaitant apprendre à utiliser des produits moins polluants ou pour développer des activités émergentes. Notre ville regorge de pépites, d’oasis de créativité, d’inventivité, d’énergie. Il faut les soutenir.
2030, c’est demain, êtes-vous optimiste pour cette transition ? La ville a connu une telle inertie ces cinquante dernières années, un tel retard, que paradoxalement c’est une chance pour Marseille car il n’y a rien à déconstruire. C’est une friche, un laboratoire où tout est à inventer. Elle peut devenir cette ville sobre écologiquement, cosmopolite humainement, une ville méditerranéenne populaire à la douceur de vivre, une ville des possibles.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNE-MARIE THOMAZEAU
Marseille 2030 : la ville des possibles, de Sébastien Barles Éditions de l’Aube - 17€
Implanté dans le quartier populaire de la Belle de Mai, le Klap créé par Michel Kelemenis accueille depuis 2011 des compagnies en résidence et anime des ateliers en direction des habitants du quartier, notamment les enfants. En ce début d’automne commence le dispositif Question de Danse [lire p.VI], qui offre aux compagnies la possibilité de travailler leurs créations et d’en présenter les étapes.
C’est ainsi que la Cie Anima Motrix a proposé deux extraits de sa création en cours. Il s’agit d’un travail très particulier qui mêle avec finesse le texte et la danse, les mots et les corps.
Emma Gustafsson, qui a dansé une dizaine d’années sous la direction de Preljocaj, met en scène et en mouvement le texte de Jon Fosse (prix Nobel 2023), Je suis le vent. Texte intimiste et troublant qui repose sur le dialogue de deux personnages sans nom, désignés anonymement par L’Un et L’Autre. Il est question d’un bateau qu’il faudra amarrer au rivage, d’un ciel gris, d’un schnaps qu’il faudra boire pour s’encourager à vivre, de mots qui s’échappent…
Au début la lumière se fait sur un plateau occupé par un arbre en fleurs posé sur un sol-miroir entouré de papiers froissés… traces de l’écriture ? On serait sur la mer, et les deux comédiens-danseurs, Anne Duverneuil et Nicolas Martel, ne surgissent qu’après cette première image qui nous projette d’emblée dans un monde qui n’est pas vraiment le nôtre. La chorégraphie qui s’ébauche est intériorisée, le geste léger, le dialogue minimaliste. Pour Jon Fosse on n’est jamais sûr de ce que disent les mots. Mais peut-on se fier aux gestes ? Beaucoup d’interrogations restent en suspens. Tel est l’univers du poète-romancier prolongé par la chorégraphe.
CHRIS BOURGUE
Je suis le vent a été présenté le 2 octobre à Klap - Maison pour la danse
Volontiers provocatrice dans l’intitulé de ses thèmes (« Constellations de la connerie » en 2021 « Philosophie, rire et chansons » en 2022) la Semaine de la pop philosophie choisit pour cette 16e édition qui se déroule à Marseille du 12 au 19 de passer sur le gril pop-philosophique l’un des fondements de la politique culturelle publique en France. C’est-à-dire l’engagement volontariste pour un accès du plus grand nombre à la culture et à l’art, porté par la conviction qu’ils sont des sources d’émancipation pour chacun et chacune, et ne doivent pas être réservés à des privilégié·e·s. Mais Jacques Serrano, concepteur de cette manifestation s’étonne de « ces missionnaires de la culture pleins de bonne volonté et de bons sentiments qui ne cessent, depuis des décennies, d’entretenir l’idée que le spectateur a besoin d’eux pour l’aider à ouvrir les yeux sur le monde, délaissant parfois la création au profit de la fréquentation ». Et la Semaine de la pop philosophie de s’interroger : « L’Art pour tous serait-il devenu un slogan vide de sens, une assertion dans laquelle le peuple ne se retrouverait pas et qui dénoterait même involontairement un certain mépris à son égard ? »
Au programme
Comme chaque année, la Semaine de la pop philosophie se déroule dans des lieux emblématiques de la ville de Marseille comme la Vieille Charité, le Mucem, le Théâtre des Bernardines, le Muséum d’histoire naturelle / Musée des Beaux-Arts, le Mac (musée d’art contemporain), la Bibliothèque de l’Alcazar, la Bibliothèque départementale Gaston Defferre ou encore la Cité de la Musique.
Parmi la quinzaine de rencontres proposées, au cours desquelles vont se succéder une trentaine d’intervenant·e·s, citons par exemple L’Art pour tous : illusion ou mépris ? (4 octobre, Vieille Charité) de Jean-Marie Schaeffer, philosophe et critique d’un art, écrit au singulier, qui incarnerait le bon goût officiel, auquel il faudrait que tous·tes soient éduquées. Dans L’art ou l’insubordination au service de l’ordre établi (12 octobre, MAC) le philosophe Francesco Masci s’interroge sur les promesses non-réalisées des avant-gardes artistiques du XXe siècle, qui à travers leur insubordination contre la société marchande et l’illusion de la représentation, annonçaient que l’art transformerait la vie. Ou encore Discrétion volontaire. Pour une pratique élitiste de l’art (19 octobre, Ateliers Jeanne Barret) de Jean-Baptiste Farkas, qui considère que dans une époque formatée par l’industrie culturelle qui lui demande d’apparaître toujours davantage, l’artiste doit inventer des façons d’y d’échapper. Et, au sein de sa pratique, « ménager une part d’ombre dont l’extrémité est une forme d’élitisme ».
MARC VOIRY
Semaine de la pop-philosophie Du 12 au 19 octobre Divers lieux, Marseille
C’était une des curiosités de l’édition 2024 du festival actoral. Difficile d’ailleurs d’avoir une place pour accéder à la (petite) salle Ouranos de La Criée ce 4 octobre, pleine à craquer. L’autrice-poète Laura Vazquez présentait le texte de sa première pièce, Zéro, à paraître le 7 novembre aux Éditions du sous-sol. Dans une mise en lecture signée Hubert Colas, directeur d’actoral et de la Diphtong Cie, dont les comédien·nes (Lisa Kramarz, Isabelle Mouchard, Thierry Raynaud, Julia Roche) ont lu le texte avec talent.
Le flot remuant du public laisse rapidement place à la voix de Thierry Raynaud, qui sera à la narration, et aux didascalies.. À l’autre bout du plateau, il y a deux femmes : une allongée, l’autre assise à ses côtés. Il s’agit d’une mère devant le « cadavre » de sa fille. Et ainsi débute un monologue entrecoupé seulement par des incises du narrateur. La mère est dévastée, et de sa bouche sort un flot de mots, cohérents ou non, souvent habités par la folie.
Une nouvelle scène débute, toujours avec deux femmes. Face-à-face, et bien vivantes cette fois. Il s’agit d’un couple lesbien, qui oscille entre amour fusionnel et violence verbale. De l’humour aussi, quand l’une reproche à l’autre d’avoir déjà aimé des hommes : « tu as même déjà dit merci à un homme qui t’expliquait comment faire ».
Dans cette pièce, Laura Vazquez s’intéresse au langage. À la valeur des mots, à leurs forces, leurs faiblesses, leurs rôles, leur performativité. Quel étrange mot que « zéro », qui exprime le vide, ou « silence » qui se brise quand on le prononce… Le tout est irrigué par le talent stylistique et poétique de Laura Vazquez. Et si elle s’interroge sur le langage, nous, on veut bien continuer d’écouter le sien.
N.S.
Lecture donnée le 4 octobre à La Criée, théâtre national de Marseille, dans le cadre du festival actoral.
Au-dessus de la pyramide de bois munie à son sommet d’un trône, au-dessous du bureau d’un patron d’un journal, à la base d’une gargote et d’un minuscule appartement parisien, on entend une voix off décliner une partie des principes de fonctionnement artistique et démocratique de la troupe du Nouveau Théâtre Populaire. La direction est rigoureusement collective, c’est la troupe dans son ensemble qui vote la programmation, les metteur.e.s en scène changent chaque année, le temps de répétition pour chaque création est limitée à 17 jours. C’est sur ce mode qu’a été créé Illusions perdues, second volet des trois composant Notre Comédie Humaine, que le NTP a créé à l’été 2024 à partir des deux romans que Balzac consacre à Lucien de Rubempré (« Illusions perdues » et « Splendeurs et misères des courtisanes »). Trois spectacles présentés à La Criée séparément, et en intégrale de 7h.
Panier de crabes
Apparaissent une marquise bien snob et un Balzac malicieux, qui s’adresse directement au public pour planter le contexte historique, dans un jeu de questions-réponses : on est après la Révolution et L’Empire, au moment de la seconde restauration, sous Charles XVIII, adepte du « en même temps ». En même temps régime monarchique et constitutionnel, « en même temps vin rouge et vin blanc ». Arrivent les personnages qui investissent la pyramide et qui ne la quitteront plus, journalistes, éditeur, intellectuels précaires, bourgeois, surplombés par les aristocrates. Et l’histoire de Lucien de Rubempré, à la recherche de la gloire littéraire, se découvrant de difficultés en difficultés prêt à de multiples compromissions, va se dérouler sous nos yeux, à coup d’ellipses féroces et hilarantes. Ça valse, des ambitions littéraires à l’opportunisme journalistique, de la droite à la gauche, du succès à la déchéance, à coup de dialogues taillés à la serpe, portés par une mise en scène vive et d’acteur.ice.s déchainé.e.s. Tout rapprochement avec notre présent social, économique et politique, étant, en même temps, parfaitement bien vu.
MARC VOIRY
Illusions perdues par le NTP a été donné à La Criée du 2 au 5 octobre
C’est à partir d’une photo de Beyrouth signée Randa Mirza que s’est élaborée l’affiche de l’édition 2024. Elle correspond à l’acte I des Rencontres d’Image de ville, à Aix-en-Provence du 10 au 13 octobre, qui dans le cadre de sa Biennale, accueille une programmation autour du pays invité : le Liban et de sa capitale, cette ville détruite, reconstruite, encore et encore… Aux murs et à l’âme fissurés. Il s’agira donc de Voir Beyrouth, au fil d’un dialogue entre le cinéaste Ghassan Salhab qui la filme comme une entité vivante où l’enracinement et l’appel de l’ailleurs s’incarnent dans des personnages sous tension, et l’architecte-urbaniste Antoine Atallah engagé dans la conservation d’un patrimoine menacé par la guerre et la spéculation, qui analyse les métamorphoses des quartiers à travers son Beyrouth panoramique. D’explorer la cité en cinq films de Ghassan Salhab, doc ou fictions échelonnés entre 1998 et 2024. De Beyrouth fantôme qu’il présentera le 10 octobre pour l’ouverture de la manifestation au Mazarin, à Contretemps, un doc fleuve de 5h45 (avec entracte) qui nous conduit jusqu’aux horreurs de cet automne.
Une carte blanche, Nahala ou la ville qui sombre, drame de Farouk Beloufa, et deux documentaires – Erased Ascent of the invisible de Ghassan Halwani, et After the End of the World de Nadim Mishlawi – compléteront ce portrait sensible, en actes et en perspectives de la « ville qui ne meurt pas ».
On change de ville
Acte II : Marseille du 17 au 20 octobre. Des événements cinéma avec l’avant-première au Gyptis du film de Nicolas Burlaud – Les Fils qui se touchent, produit en Région Sud. Et un focus Yannick Bellon, en partenariat avec Films Femmes Méditerranée, à l’occasion du centenaire de sa naissance, pour parcourir avec elle, Los Angeles, Paris et Venise.
Des rencontres aussi, animées par Thierry Paquot,résolument constructives et tournées vers l’avenir, le faire-ensemble, les solutions. On va aussi découvrir Les Paysages de l’Anthropocène avec Agnès Sinaï et se demander comment et où vivre dans les nouvelles conditions climatiques de la planète. Inventer de nouveaux savoir-faire avec Simon Teyssou qui dialoguera avec les jeunes étudiants en architecture. Voir le film en chantier de Christian Barani sur 24 agences françaises d’architecture, partager les espoirs des jeunes générations. Faire territoire avec le même Simon Teyssou en tenant compte en urbanisme du « déjà-là », de l’échelle humaine pour ré-enchanter les lieux.
Les Rencontres proposent aussi un«état des lieux », autour de la question : « Filmer l’Architecture, où en est le cinéma ? » Pour répondre, deux tables rondes et pas moins d’une dizaine de films.Notons parmi ceux-là, la première française de Skin of glass de Denise Zmekhol qui nous emmène dans le célèbre gratte-ciel moderniste de São Paulo squatté par les sans abri, et les avant-premières de E.1027 –Eileen Gray et la maison en bord de mer (Béatrice Minger et Christophe Schaub) ainsi que Architecton de Victor Kossakovski. La clôture se fera à la Baleine le 20 octobre à 21 h sur la fable de science-fiction qu’on promet « envoûtante et sublime » de l’Islandais Jóhann Jóhannsson : Last and first men, portée par la voix qu’on sait envoûtante et sublime de Tilda Swinton.
ÉLISE PADOVANI
Les Rencontres d’Image de ville Aix-en-Provence Du 10 au 13 octobre Marseille Du 17 au 20 octobre