lundi 25 novembre 2024
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Prétextes foireux et théâtre populaire

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« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Sagesse populaire, dit-on, même si le dicton est une réplique de théâtre apparue dans la bouche d’une servante de Molière (l’alexandrin aurait pu alerter) congédiée par une « femme savante » pour un prétexte grammatical. Alexandrin suivi d’un autre « Et service d’autrui n’est pas un héritage » qui relie dès l’entrée l’utilisation de prétextes foireux à des rapports de classe. 

« Le peuple c’est mon père »

Le théâtre s’adresse au peuple et le représente sur scène dès ses origines et de façon constante, à quelques parenthèses historiques près. Le Pop Art ou l’opéra populaire italien ne sont que des moments de l’histoire mais le théâtre, écrit et joué pour le peuple à Bali, Kyoto, Épidaure ou Constantinople, a (presque) toujours voulu atteindre le plus grand nombre, autrement dit le peuple. Ou tout un chacun, « mon père » disait Jean Vilar, refondateur du Théâtre National Populaire et inventeur du « Théâtre de service public ».  

À visée de propagande religieuse ou d’édification citoyenne, le théâtre, depuis les temps antiques, par le divertissement ou l’émotion, veut corriger les mœurs ou purger les âmes des passions (mot qui au sens littéral désigne ce qui fait souffrir). Ainsi, thérapeutique, il ne peut guère restreindre son audience à une élite, puisqu’il a pour vocation de faire progresser culturellement ses spectateurs. 

Pas toujours pour la bonne cause, d’ailleurs : il veut les assimiler quand il est colonial, et leur faire admettre les dominations de classe, de genre ou de dogme liées au type de gouvernement exercé sur le peuple. Mais dans ce but même, il a toujours cherché à parler au plus grand nombre possible.  Jusqu’à ce qu’il se trouve en concurrence, depuis peu à l’échelle de son histoire, avec les médias de masse marchands puis les réseaux sociaux possédés par de grands groupes capitalistes. Ceux-ci n’ont pas pour ambition d’édifier des citoyens cultivés (pour maintenir ou renverser le pouvoir) mais d’abrutir des consommateurs monétisés en envahissant leur « temps de cerveau disponible ».

Public trop cultivé 

Dans ce contexte nouveau, le théâtre est devenu un lieu de résistance et, sa marginalisation progressive n’aboutissant pas assez vite à sa disparition, l’accusation d’élitisme apparaît, comme le prétexte foireux de la rage. Elle s’exacerbe depuis que les artistes se sont illustrés après les élections, en trouvant une audience publique importante et redoutée, pour contrer les progrès électoraux de l’extrême droite, dont les électeurs sont très majoritairement peu ou pas diplômés.

Et voilà que le livre de Marjorie Glas Quand l’art chasse le populaire, vulgarisation de sa thèse de 2016 parue en 2023 chez Agone, fait tout à coup l’actualité, diffusant l’idée désormais admise que « le théâtre s’est recentré sur lui-même » et que son « utilité sociale » n’est qu’une « croyance ». Télérama diffuse, Radio France persiste, La Semaine de la pop philosophie marseillaise l’invite pour qu’elle expose « le lien entre l’effondrement de la gauche et la désaffection des classes populaires dans le théâtre public ». Diantre, comme dirait Molière, la télé et les réseaux sociaux n’y sont donc pour rien, la main mise des grands groupes capitalistes sur les médias pas davantage ? La désaffection supposée du public populaire – nombre d’indicateurs contradictoires existent à ce sujet – serait donc due à l’entre-soi d’artistes qui prônent le multiculturalisme devant des audiences trop éduquées pour être honnêtes ? 

Chien enragé ou monture fidèle ? 

 « Qui veut voyager loin ménage sa monture », écrivait Racine dans Les Plaideurs, figurant lui aussi la sagesse populaire, dans son unique comédie, par le recours à l’imagerie animale. Peut-être les sociologues, historiens, philosophes et metteurs en scène déconcertés, feraient-il bien d’arrêter l’usage de la cravache et des coups d’éperons qui massacrent ceux qui travaillent à transmettre la culture et les arts ?  

Nous vivons une heure grave, où leurs arguments partiels et datés servent de caution à l’assèchement, dramatique sinon tragique, des financements d’État. Où les réactionnaires divisent pour mieux régner, et imposer la fin des subventions culturelles aux collectivités. La plupart sont aujourd’hui convaincues que la culture est un luxe de classe et, dans un contexte de restriction budgétaire imposé, toutes s’apprêtent à couper d’abord dans ces budgets.  

« Tant va pot à l’eve que brise », disait le Roman de Renart. Tant va la cruche à l’eau… octosyllabe pour le coup populaire ? 

AGNÈS FRESCHEL

A CineHorizontes, Fernando Trueba se perd dans son île

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Copyright VMI Worldwide Film Haunted Heart

Fernando Trueba invité de la 23e édition de CineHorizontes a malicieusement présenté son dernier film, Haunted Heart (Isla perdida) comme « un western aquatique » ou « une histoire d’amour qui tourne mal » tournée en Grèce et en anglais. Amateur de jazz, lecteur assidu de Patricia Highsmith, admirateur d’Hitchcock, le grand réalisateur espagnol nous livre ici une comédie romantique qui vire au noir. Et annonce d’emblée la couleur : le générique s’affiche sur une piscine aux mosaïques bleu turquoise, l’eau frissonne dans des géométries de lumière et une inquiétante poupée de chiffon rouge flotte passant lentement dans le champ. Premier indice suivi de bien d’autres qui jalonneront la narration et annonceront par touches successives comme dans tout bon thriller, l’issue fatale.

On est au début des années 2000, Alex (Aida Folch) jeune Espagnole pétulante et aquaphobe, arrive sur une île grecque isolée pour travailler dans le restaurant de Max, beau ténébreux, mystérieux et taiseux (Matt Dillon). Elle s’intègre à la joyeuse bande des employés et se lie d’amitié avec Chico (Juan Pablo Urrego) le joli cœur rieur qui conduit les clients du continent au restaurant de l’île sur son petit bateau. Alex tombe amoureuse de son ombrageux patron qui repousse d’abord ses avances, puis cède et l’installe avec lui dans sa cabane insulaire. Si on sait tout des traumas et déboires amoureux d’Alex qui se confie en toute transparence, Max reste muet sur son passé. Peu à peu, aidée par Chico, Alex découvre ce que Max lui cache. En trois saisons – été, automne, hiver – on passe de la carte postale touristique parfaite : soleil, robes légères, salades grecques, petits marchés, ivresse et danses, à un «  hors saison » austère de plus en plus oppressant : pluie, bois sombres, révélations terribles et explosion de violence. D’un quadrille amoureux à la Woody Allen, on plonge dans La Nuit du Chasseur de Charles Laughton.

Pour cette incursion dans le genre noir Fernando Trueba qui multiplie citations – Wilder, Cukor, Hawks…, et autocitations, s’est offert un casting de choix, adjoint les compétences du chef op Sergio Ivan Caspano pour magnifier la photo, et celles du prestigieux compositeur polonais  Zbigniew Preisner dont la partition est interprétée par l’orchestre Sinfonia Varsovia. Et qui propose à la fin du film un mélancolique arrangement d’Alexandra leaving de Leonard Cohen. Une conjonction de talents qui ne font pas, au final, un film complètement réussi. Problème de rythme, de redondances -la saison d’été n’en finit pas. Problème de vraisemblance psychologique – la naïveté d’Alex reste assez peu crédible. Problème surtout de démarcation stylistique dans un genre très balisé où inventer de nouvelles formes et créer de  l’imprévisibilité s’avère risqué.

ÉLISE PADOVANI

Le film concourt dans la Grande Compétition de CineHorizontès.

Un dimanche de cinéma à Rousset

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C’est dans une salle bien remplie que le festival nouv.o.monde a clôturé son édition 2024 ce 13 octobre à Rousset. Deux films y étaient présentés. D’abord Tout le monde aime Tuda, du réalisateur Nabil Ayouch, et Sauvages, le nouveau film d’animation de Claude Barras.

Tout le monde aime Tuda plonge le spectateur en immersion dans le monde des cheikhates, chanteuses traditionnelles marocaines. On y suit le chemin de Tuda pour sortir de la pauvreté et son combat pour offrir à son fils, Yassine, sourd, une vie meilleure. Après une ouverture du film, lumineuse et festive, où se déploient le chant et la danse, une séquence brutale, sombre, montre combien la vie de ces femmes est difficile : Yassine est né d’un viol. Mais Tuda, incarnée magistralement par Nisrin Erradi, comme en transe quand elle chante et danse, ne renonce jamais. Elle se bat pour son rêve, refusant l’argent sale de la compromission : pour beaucoup, une cheikhate n’est pas respectable ! Nabil Ayouch a voulu redonner leurs lettres de noblesse à ces artistes dont « la voix était une arme et le chant, la aïta, des cartouches. » Un film musical et d’une grande beauté plastique, suivi d’une rencontre avec Sophie Bava, socio-anthropologue et une jeune doctorante marocaine, Saâdia Dinia qui a enrichi les échanges avec le public.

Des applaudissements pour finir

Le film de clôture, Sauvages, nous emmène dans l’île de Bornéo auprès des Penans, derniers chasseurs-cueilleurs qui vivent dans la forêt, entre tradition et coutumes ancestrales. Une histoire pour petits et grands qui vont suivre les pas de Kéria. La jeune adolescente a recueilli  Oshi, un bébé orang-outan, qu’elle emmène chez les Penans, dont le territoire est menacé par la déforestation et les multinationales. Un film réalisé en stop motion, plein de vie, de couleurs, de sons où l’on s’émerveille devant la beauté de la forêt, où l’on s’indigne devant la cruauté et l’inhumanité de ceux qui veulent détruire cet équilibre. Un film émouvant, ponctué de séquences drôles, qui invite à prendre conscience de la nécessité d’agir pour préserver ce qui peut l’être encore. Un beau travail qui a suscité les rires des enfants parfois et que le public, touché, a fort applaudi.

La dynamique équipe des Films du Delta est déjà au travail pour la 14e édition qui se tiendra en mars 2025 !

ANNIE GAVA

Le festival nouv.o.monde s’est tenu du 8 au 13 octobre à Rousset et Aix-en-Provence.

CineHorizontes : Franco et espagnol

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Scène emblématique du film Prison 77 d'Alberto Rodriguez, présenté au festival CineHorizontes, illustrant la révolte carcérale sous le franquisme à Barcelone. Les personnages, incarnant des détenus, symbolisent la lutte pour la liberté et la transition démocratique de l'Espagne post-Franco
Prison 77 d'Alberto Rodriguez @ 2023 Plaion Pictures

La 23e édition de CineHorizontes s’est ouverte au cinéma Le Prado le jeudi 10 octobre en discours et remerciements d’usage. En musique aussi : chants, guitare, flûte et percussions du trio argentin Pucarà – le tournoiement de boleadoras dans le frappé botté d’un malambo en prime –préambule au film de la soirée : Prison 77 d’Alberto Rodriguez. Pour l’occasion, le réalisateur sévillan de l’inoubliable La Isla minima, multi primé, invité d’honneur du festival, s’est d’ailleurs vu remettre la Médaille de la Ville de Marseille.

Prison 77 commence début 1976, trois mois après la mort de Franco. Manuel, incarné par Miguel Herrán (le hacker de La Casa del papel), accusé de détournement de fonds, arrive à la Modelo, une prison au centre de Barcelone. Il s’achève au printemps 1978 par une évasion sous la pluie. En ces années 1970, le régime franquiste est balayé par la jeune démocratie. Pourtant, dans l’établissement pénitentiaire, rien ne change. À côté de détenus de droit commun, on trouve des politiques, des syndicalistes, des chômeurs, des homosexuels condamnés arbitrairement par les tribunaux franquistes. Dossiers et procédures bâclés, méthodes fascistes, mauvais traitements, torture, négation des droits élémentaires. Un enfer clos ignoré de ceux du dehors, espace inséré dans le tissu urbain et saisi du ciel par la caméra. Faire entrer des journalistes, des avocats militants dans ce périmètre, mobiliser la population pour obtenir une amnistie, sera un combat difficile. Pacifique avec le collectif de la Copel  visant à coordonner les actions. Ou violent avec des auto mutilations et une mutinerie superbement filmée sur les toits de la prison.

Inspiré de faits réels

On suit le cheminement de Manuel : douloureuse initiation aux règles du jeu carcéral, élan d’espoir dans la solidarité militante, découragement devant échecs et trahisons, et enfin désespoir. On voit évoluer son amitié avec Pino (Javiez Guttiérez), condamné à une lourde peine, et qui s’est organisé une vie de lecture protégée par un rideau. Ce vétéran des prisons, un peu philosophe, connaît – comme les héros de Fahrenheit 451, ses romans de S.F. par cœur et rit quand les matons les brûlent avec l’herbe odorante qu’ils contenaient. Il passe d’une indifférence désabusée à un engagement aux côtés de Manuel.

Inspiré de faits réels et d’archives, Prison 77 reprend tous les ingrédients du film carcéral, les renouvelle par des trouvailles cinématographiques et, se plaçant dans cette période de transition historique, leur donne une résonance toute particulière. La réflexion de Rodriguez se poursuit autour de l’échec de la solution politique au profit de l’aventure individuelle de l’évasion – préférée des autorités. Du dehors, ne parviennent au détenu Manuel que la lumière d’une enseigne publicitaire, et au parloir, celle de Lucia – la bien prénommée – qui apporte au jeune homme dont elle est amoureuse, des images, fragments d’une liberté de la presse retrouvée. Lucia dont une des robes offre un motif psychédélique où le mouvement n’est qu’illusion optique. Ce monde désiré ne serait-il donc que fantasme ? Mirage ? Et le pouvoir n’appartiendrait-il pas toujours aux fils des patrons comme le constate amèrement Manuel qui paie pour les exactions de l’un d’entre eux ?

ÉLISE PADOVANI

CineHorizontes se tient jusqu’au 17 octobre dans 18 cinémas et salles de la Région Sud.
 

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OCCITANIE : « D’abord la vie, et ensuite le cinéma ! »

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CINEMED s’ouvrira le18 octobre avec le nouveau film de Francesca Comencini, fille de Luigi, Prima la vita : belle déclaration d’amour d’une fille à son père, inspirée de son histoire personnelle et de fragments de sa mémoire. Un père, cinéaste de l’Italie populaire, auquel sera consacrée une rétrospective avec plus de 20 films projettés, de Pain, Amour et Fantaisie (1953) à Joyeux Noël, bonne année (1989), ainsi qu’une exposition.

Des invité.e.s

Invité d’honneur, le comédien Reda Kateb, qu’on (re)verra avec grand plaisir dans des films tels que Gare du Nord de Claire Simon, Lost River de Ryan Gosling et Hippocrate de Thomas Litli (César du Meilleur Acteur dans un second rôle en 2015). Et dont on découvrira en avant-première (en sa présence) son premier long métrage en tant que réalisateur, Sur un fil, fiction inspirée du travail des clowns professionnels auprès d’enfants hospitalisés. Également présent à Montpellier, Rodrigo Sorogoyen, réalisateur espagnol virtuose, dont on pourra voir les films, de Stockholm (2013) son premier long en solo, à As bestas (César du Meilleur film étranger 2023) sans oublier Madre (2019). Et immanquable, l’hommage qui va être rendu à la talentueuse comédienne Alba Rohrwacher (qui illumine l’affiche du festival !) qu’on aura le plaisir d’écouter lors d’une rencontre animée par Chloé Mazlo (le 21 à 11h au Corum), et de retrouver dans des films signés Marco Bellocchio, Nanni Moretti, Saverio Costanzo, tout comme dans les premiers longs de Laura Bispuri (Vierge sous serment, Ma fille), et dans celui de sa sœur, Alice Rohrwacher (Les merveilles).

Jeune cinéma marocain à l’honneur

Chaque année, CINEMED met l’accent sur un pays. Pour cette 46e édition, c’est le jeune cinéma marocain : on pourra assister à une rencontre (le 23 à 16h au Corum) avec ces nouvelles voix, cinéastes dont on pourra (re)voir les films longs ou courts, fictions et documentaires. Par exemple le nouveau film de Saïd Hamich Benlarbi, La Mer au loin, parcours initiatique et mélodrame au rythme du raï, à Marseille, qui commence comme un film noir (à lire sur journalzebuline.fr). Le road-movie féministe Reines de Yasmine Benkiran et La Mère de tous les mensonges d’Asmae El Moudir (à lire sur journalzebuline.fr). Sera également présent à cette rencontre le réalisateur, entre autres, de Mille mois, DésertsFaouzi Bensaïdi.

Avant-premières et compétition

CINEMED ne serait pas CINEMED sans ses avant-premières et ses compétitions de longs, de courts, de documentaires, de films en région soumis à des jurys. Du côté des avant-premières, une vingtaine vont avoir lieu, en présence des cinéastes, parmi lesquelles L’Affaire Nevenka d’Icíar Bollaín sur une affaire de harcèlement, La Pie voleuse, 24e film de Guédiguian, La fille d’un grand amour, premier long d’ Agnès De Sacy (scénariste de Les Amandiers), Voyage à Gaza, le documentaire de Piero Usberti sur la vie de jeunes Palestiniens en 2018, ou encore Le Quatrième mur de David Oelhoffen, adapté du roman de Sorj Chalandon.

Du côté des prix, huit fictions sont en lice pour l’Antigone d’Or, dont deux sont signées par des réalisatrices : le premier long-métrage de Binevsa Berivan (dont on avait beaucoup aimé les courts) La Vierge à l’enfant. Et Vermiglio de Maura Delpero. Les autres films sélectionnés pour le prix sont El llanto de Pedro Martín-Calero, de l’horreur psychologique, Vers un pays inconnu de Mahdi Fleifel, thriller nerveux sur la condition de vie des migrants, le deuxième long de Mehdi M. Barsaoui, Aïcha, inspiré d’un fait réel, Panopticon de George Sikharulidze autour d’une adolescence dans la Géorgie post soviétique, ou encore Hayat de Zeki Demirkubuz, sélectionné pour les Oscars.

Pour le prix Ulysse, huit documentaires concourent, parmi lesquels Green Line de Sylvie Ballyot, où est évoqué son pays de guerre et de mort, le Liban, meilleur premier film à Locarno. Le Boxeur chancelant de Lo Thivolle. The Roller, the Life, the Fight d’ Elettra Bisogno et Hazem Alqaddi. Les Miennes de Samira El Mouzghibati, regard sur des femmes marocaines. Et Blueberry Dreams d’Elena Mikaberidze, sur le projet d’une famille géorgienne qui démarre une plantation de myrtilles en Mingrélie, région à la frontière avec la Russie où les conflits grondent…

Clôture

Avant la clôture, on pourra également apprécier les films proposés dans Regards d’Occitanie dont Festa majorJean-Baptiste Alazard « filme la vie qu’on essaie de vivre en la traversant comme on marche dans un rêve » (Prix du Public au FIDMarseille), voter pour le Prix du public et pour des courts-métrages venus d’une vingtaine de pays. Parmi ceux-ci Sarcophages aux amours ivres de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, La Voix des sirènes de Gianluigi Toccafondo ou C’est les Balkans, bébé de Boris Gavrilović. La clôture de CINEMED 46e édition se fera avec l’avant-première de Le Mohican de Frédéric Farrucci, qui a toujours vu la Corse comme une terre de western. Un film qui porte son regard sur l’époque, la société, une île et l’humain en général. 

ANNIE GAVA

CINEMED
Du 18 au 26 octobre
Le Corum, Centre Rabelais, Montpellier

La mort et les vaches

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« La différence entre documentaire et fiction, entre un film documentaire et un film du commerce, même s’il se dit artistique, c’est que le documentaire a une attitude morale qui n’existe plus guère dans le film de fiction », disait Jean-Luc Godard dans un entretien avec Artavazd Pelechian en 1992.

Quand Olivier Bosson a découvert l’histoire tragique de Jérôme Laronze, un éleveur de Saône-et-Loire, en lutte contre l’administration agricole et sanitaire, militant de la Confédération Paysanne, abattu par un gendarme le 20 mai 2017, il est sidéré et décide de faire connaitre cette histoire. Ce sera un film entre documentaire et fiction. Il va reconstituer ce drame en le faisant rejouer : castings autour de Trivy où vivait Jérôme, qu’il appelle Jérôme Maillet, joué avec talent par Jérôme Duret ; des voisins, des collègues, des gens qui l’ont connu, qui ne jouent pas leur propre rôle mais un autre. Une intention clairement rappelée dès le début du film par une voix off.

On est en 2014. Tout commence par une vérification du cheptel : 42 vaches ne sont pas déclarées, ce qui est illégal. Ce qu’il était possible de rattraper les années précédentes, ne l’est plus. L’administration exige des tests ADN, pour « assurer la traçabilité ». Ce que Jérôme trouve absurde, scandaleux et impossible financièrement pour lui. La responsable, Laurence, intransigeante et inhumaine, qui semble faire de ce cas une histoire personnelle, le menace d’une élimination des bêtes : « Moi, je m’en fiche, ce ne sont pas mes bêtes ! ». Il enchaîne les réunions avec les instances, et constate que l’objectif de l’industrie alimentaire n’est pas de nourrir les gens, mais le profit.

« Individu dangereux »

Cela ne va pas s’arranger pour lui, qui voit les choses différemment, qui pratique une autre forme d’élevage et de culture, un humaniste qui fait du théâtre, qui résiste, et ne veut pas se plier aux exigences administratives. Confiscation des papiers des animaux, ce qui lui interdit de vendre. Menaces, mises en demeure, injonctions, contrôles sur la ferme avec de plus en plus de gens en armes. Un véritable harcèlement jusqu’à son signalement comme « individu dangereux susceptible d’être armé » et le drame final.

Même si nous connaissons, par avance, l’issue fatale, le film d’Olivier Bosson nous place aux cotés de ce héros des temps modernes, nous faisant partager ses colères, son désespoir parfois, ses failles aussi, et surtout son envie de vivre et de lutter.

ANNIE GAVA

La Chanson de Jérôme, d’Olivier Bosson
En salles le 16 octobre


Jérôme Laronze est tué en mai 2017 par un gendarme de trois balles, une de côté et deux de dos, alors qu’il s’échappait au volant de sa voiture. 25 minutes se sont écoulées avant que les secours n’arrivent : il avait 37 ans. 7 ans plus tard, sa famille et ses proches attendent toujours un procès.

« Je suis un chrétien qui a viré communiste », entretien avec Alain Guiraudie

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@Annie Gava

Zébuline. Alain Guiraudie, si je vous dis : votre film c’est Racine, le Pasolini de Théorème, du Chabrol, de l’Hitchcock, le Kazan du Tramway et du vaudeville : que retenez-vous ? Que rejetez-vous ?

Alain Guiraudie. Alors, oui. La tragédie. Je retiens. J’aurais préféré Euripide à Racine. Mais bon, il y a de la tragédie, c’est sûr ! Pour Théorème, je rejette. D’une part, ce n’est pas un film que j’aime beaucoup. Et puis, c’est un truc sur la bourgeoisie face à ses désirs, qui se retrouve complètement chamboulée. Tout le monde couche avec tout le monde alors que dans mon film personne ne couche avec personne. Enfin, je suis d’accord sur le fait qu’il y a du désir qui circule mais il ne s’accomplit pas dans l’acte sexuel. Hitchcock, ça fait toujours plaisir à entendre. Je ne sais pas précisément pour ce film mais je suis imprégné d’Hitchcock. Je le regardais gamin à la télé le dimanche soir. Il y a un côté comédie un peu macabre comme dans Qui a tué Harry. Et Chabrol aussi oui, mais sans le regard surplombant.

Pour le Tramway, je pense plus à Tennessee William qu’à Kazan que je déteste, sa sensualité de magazine avec l’érotisation de Brando et son tee-shirt mouillé ; mon personnage est un très lointain cousin de Brando ! Mais de toutes façons à partir du moment où les gens voient quelque chose dans mes films, je ne peux pas dire que ça n’y est pas. Je suis nourri par toutes ces influences et même par des gens dont je n’aime pas le cinéma. Mais je fais dérailler tout ça !

Et le vaudeville ?

Oui pour le vaudeville : c’est un truc que j’assume pleinement, j’aime jouer de ce genre. Ici, le curé en érection, le personnage tiers caché qui écoute sans se faire voir… Viens je t’emmène, mon film précédent, jouait encore plus sur le vaudevillesque.

Miséricorde est un titre chrétien et l’abbé Grisolles est un personnage central, le seul qui tienne un discours construit tandis que les autres ont des échanges plus prosaïques. Il prône un drôle de catéchisme : est-il un peu votre porte-parole ?

Je mets beaucoup de moi-même dans tous mes personnages mais oui l’abbé exprime ma façon d’interroger la morale ambiante et ce que j’aurais aimé qu’on me dise. Je suis de culture chrétienne et je suis un grand déçu de christianisme. Je suis un chrétien qui a viré communiste. Je fais une relation entre l’amour du prochain et l’amour du genre humain J’aime l’idée d’un curé qui pousse l’idée du pardon de l’empathie avec l’autre jusqu’au bout. Après ce n’est peut-être pas la miséricorde pure, le curé il est comme moi : il essaie de conjuguer ses grands préceptes moraux avec ses désirs intimes et avec le fait qu’il est un homme.

 Il va jusqu’à dire que le criminel ne doit pas être puni !

Oui, je m’interroge beaucoup là-dessus. Si on sort les serials killer de cette histoire, est-ce que ça a encore un sens ce truc de payer sa dette à la société ? On peut payer aux proches de la victime mais à la société ? Est-ce que ça sert à quelque chose de mettre les gens dont on sait qu’ils ne récidiveront pas en prison pour des années ? Ce qui est pire pour moi que la mort. Quand j’étais ado, j’avais été frappé par l’attitude du chanteur Julos Beaucarne après la mort de sa femme qui avait été poignardée. Il n’avait pas porté plainte contre le meurtrier. Il a écrit une lettre d’amour. Je n’avais pas compris sur le coup mais ça a été fondateur de ma morale. Après, qu’il y ait une justice, bien sûr ! Mais l’idée de culpabilisation dans un monde où les pires horreurs sont acceptées, ça m’interroge. 

Votre assassin n’a pas spécialement de remords ?

Non, il ne se trimballe pas avec une culpabilité même si on ne sait pas au fond si c’est un serial killer. J’ai laissé le spectateur libre d’imaginer le passé des personnages. On sait qu’il désirait son ancien patron boulanger – quand il était vivant [rires]. Je n’ai pas choisi d’en faire un boulanger par hasard. Il y a du symbole sans doute. On sait qu’il y a eu des histoires d’ado avec ses anciens camarades, des jalousies mais je n’ai montré que la situation présente.

Le curé dit qu’il faut aimer les hommes même si c’est difficile au début. Aimez-vous vos personnages ?

Ah oui ! C’est marrant, j’ai du mal à dire que j’aime les acteurs mais je les aime quand ils incarnent mes personnages. Pourtant, je peux aimer des cinémas où le réalisateur manifestement n’aime pas les siens. Le fait que je mette beaucoup de moi-même en eux m’aide à les aimer sans doute !

Il n’a pas de méchant dans vos films ?

Non, et si j’en inventais un, je me démerderais de l’aimer !

Vous mettez en scène le peuple, la ruralité avec ses questions économiques et sociales, la désertification des campagnes et pourtant cela reste un conte. Comment articulez-vous ces deux aspects ?

Le comment, je ne sais pas. On le voit dans le film : c’est des fantasmes très personnels et un mélange de genres cinématographiques. Mais je sais le pourquoi. C’est le désir d’universalité. C’est pour ça que j’aime tourner à la campagne. Juxtaposer le curé en soutane et la Dacia Sandero qui est une voiture de 2020, ça permet de s’extirper du temps en conservant le prosaïsme. Faire de l’aujourd’hui et de l’éternel et rendre mon histoire intime universelle, ça a toujours été mon souci.

Les lieux dans vos films sont très importants, ici c’est la forêt en automne.

Oui la forêt, ça fait aussi partie du conte. J’ai très vite pensé à ce village que je connais et que j’aime bien. Il est aux confins de l’Aveyron et du Gard. Mais pour la forêt, j’ai eu du mal ! Je voulais un lieu reconnaissable par le spectateur et un endroit plat pour mettre en scène la bagarre entre les protagonistes Jérémie et Vincent. J’ai trouvé celle-là, très XIXe siècle, avec ce grand hêtre comme point de repère et cet espace sous les arbres comme une arène. Je l’ai choisie au-delà de son côté symbolique pour des raisons pratiques et esthétiques. C’est l’automne, il me fallait des arbres à feuilles caduques, un tapis rouge, de l’humus, des champignons.

Votre cheffe opératrice est, comme pour L’inconnu du lac, Claire Mathon : qu’est-ce que vous lui avez demandé ?

Je ne sais pas s’il faut envisager les choses en ces termes. On a travaillé ensemble, collaboré. Il s’agissait de poursuivre le travail entamé avec l’Inconnu du lac : approcher les ténèbres.  Faire un mélange de nuits de pleine lune, de nuits américaines, de crépuscules, sans trop d’artificialité. Je trouve qu’il y a une vraie sensualité dans l’image de Claire, dans sa façon de cadrer les gens. Je n’ai jamais demandé aux comédiens de jouer le désir : je n’oserais jamais demander ça ! Mais la caméra, oui, est désirante. Elle cadre des visages des gens comme si elle les désirait et les redoutait. Claire m’a fait remarquer que c’est mon premier film où il y a autant de gros plans.

Et Catherine Frot, comment est-elle arrivée dans le casting ?

Ça ne pouvait être qu’elle ! J’y ai pensé très tôt. J’avais un peu peur qu’elle ne veuille pas se joindre à des comédiens moins connus et aussi de sa grande popularité. Il ne faut pas que le personnage soit bouffé par le comédien. Mais elle a vite compris qu’il fallait jouer dans la simplicité. Et elle s’est glissée parfaitement dans le rôle de Martine.

Le scénario de Miséricorde est tiré de votre fiction-fleuve Rabalaïre, pourquoi porter à l’écran ce que vous écrivez ?

C’est un point de départ. Pas vraiment une adaptation. Je prends le personnage, la situation mais je change tout. Je repars à zéro pour le scénario. Dans le roman, je digresse, je suis dans le flux des consciences, je n’ellipse rien. Dans un film on va tout droit. Enfin, il est bien tordu mon film, mais quand même dans le cinéma, on est tenu à une certaine efficacité. Pour moi il faut faire tenir l’histoire dans 1h30/1h45. Je ne sais pas faire des films longs. J’ai essayé la série, ce n’est pas non plus pour moi. Au cinéma, j’aime l’ellipse et la confrontation avec le réel : les personnages s’incarnent. Il y a les comédiens, les costumes, les décors. C’est différent, même du scénario.

Après, il y a l’écriture du montage. Je suis très présent au montage et les rushes c’est souvent déprimant ! Quand on tourne, on n’a que des morceaux. On n’est pas sûr que ça fasse un film. Ici, le monteur avec lequel je travaille depuis plus de 10 ans avait commencé le montage pendant le tournage – pour des raisons de délais de présentation à Cannes – et c’était drôlement bien !

Un critique a pu dire de vous que vous étiez une Shéhérazade d’aujourd’hui. Comme elle, vos récits diffèrent-ils la mort annoncée ?

Ah ouais c’est bien vu ! Je n’y ai jamais pensé. C’est marrant parce que je poursuis mon récit « pour des siècles et des siècles » et j’ai l’impression d’être dans un roman qui ne s’arrêtera qu’avec ma mort. Eh oui, c’est vrai : J’aime raconter des histoires et j’aime me raconter des histoires.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ÉLISE PADOVANI

Miséricorde, d’Alain Guiraudie

En salles le 16 octobre

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Avignon : La dystopie est déjà là ? 

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ThePunishment © Filipe Vilas Boas

Après s’être penché sur les créations contemporaines représentant la nature avec Ce que disent les plantes, l’équipe du Grenier à sel à Avignon poursuit sa trilogie consacré aux Symptômes du vivant et s’intéresse au rapport entre l’humain à la machine avec Le Futur est déjà là. L’exposition tire son nom d’une citation attribuée à l’auteur de science-fiction William Gibson, « le futur est déjà là, il est juste inégalement réparti ». Une idée qui dans son entièreté se retrouve assez peu dans l’exposition, malgré la présence de quelques œuvres évoquant l’impact du développement de la robotique dans le monde du travail (Humans Need Not to Count, Varvara & Mar). L’exposition est plutôt traversée par des lignes thématiques comme l’hybridation humain-robot, la surveillance, ou encore l’impact général des technologies algorithmiques et des réseaux sociaux sur nos comportements. Des problématiques somme toute assez communes – voir inévitables – dans ce questionnement du rapport homme-machine au XXIe siècle.

Une scénographie efficace 

Ce qui constitue la force de cette exposition, outre le travail qui y est présenté, c’est sa scénographie qui pousse subtilement à la réflexion par une mise en regard pertinente de certaines œuvres.

Par exemple, le travail de France Cadet, qui met en scène les prouesses des IA, leurs dérives et la possibilité d’une indépendance de la machine, est directement suivie de The Punishment de Filipe Vilas-Boas, œuvre ironique dans laquelle un bras robotique installé à un bureau d’écolier recopie en boucle « Je ne dois pas faire de mal aux humains ». Challengeant ainsi le mythe de la créature qui échappe à son créateur, ce choix apporte de la légèreté dans une exposition qui peut parfois renvoyer à un univers dystopique. 

CHLOÉ MACAIRE 

Le futur est déjà là
Jusqu’au 31 décembre 
Grenier à sel, Avignon 

Miséricorde, arborescences amoureuses

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C’est l’histoire d’un retour, nous résume Alain Guiraudie qui ajoute avoir voulu filmer l’automne et un village entre le Larzac et les Cévennes vers lequel on roule dès le générique, caméra embarquée, par des routes désertes, dans le flamboiement rouge. Un village ni joli ni pittoresque. Façades austères, un panneau « à vendre » sur une fenêtre close, une église, une boulangerie fermée pour cause du décès du patron, Jean-Pierre.

C’est pour assister à l’enterrement de ce dernier que Jérémie (Félix Kysyl) son ancien apprenti revient à Saint-Martial, après dix ans d’absence. Il retrouve Martine (Catherine Frot) la veuve du boulanger, leur fils Vincent (Jean-Baptiste Durand) et un autre ami de collège, Walter (David Ayala). Le premier, marié, un enfant, a renoncé à des conneries de jeunesse dont on ne saura rien. Le second célibataire et orphelin a lâché le boulot d’agriculteur faute de rentabilité et vit de peu dans la ferme familiale. Il retrouve aussi le curé Philippe Grisolles (Jacques Develay) qui œuvre dans tout le désert clérical environnant.  Figure tutélaire dont le discours – pas toujours très catholique, sur la vie, l’amour, la mort, les arrangements avec sa conscience et la loi, la miséricorde comme exercice difficile mais nécessaire, accompagnera tout le film. Jérémie n’est pas vraiment bien accueilli par ses anciens amis. Il s’installe chez la veuve dans la chambre de Vincent, feuillette les albums photos avec elle, se fait dorloter, prolonge son séjour au grand dam de Vincent, dévoré par la jalousie, et qui l’accuse de vouloir coucher avec sa mère.

Amour, crime et botanique

Ce pourrait être du Racine : M. aime J. qui a aimé J-P. et aime W. Mais P. aime J. et V. aime peut-être W. ou J. – va savoir ! Le désir circule entre les personnages, jamais réciproque. Et depuis longtemps. La jalousie comme un levain fait monter la violence. Oui, ce pourrait être du Racine mais c’est bien du Guiraudie. Sans alexandrin, sous la feinte banalité des mots, dans l’étrangeté des non-dits, des sous-entendus, des mensonges révélateurs, des silences qui font monter tension et malaise. « C’est la force du désir, ne la sous-estimez pas » déclare l’abbé Grisolles au duo de gendarmes enquêtant sur la disparition de Vincent.

Guiraudie distille un érotisme sans esthétisme, sans pornographie, sans voyeurisme, sans acte sexuel, l’humour en prime, tendre et un rien goguenard. Offrant à la caméra des corps non formatés dans lesquels coulent les passions tout aussi tragiques que celles des rois et des princes. Celui de Martine serré dans un vieux peignoir rose informe. Celui de Walter lourd et gras, celui du vieux curé dont le réalisateur ne cachera ni le sexe en érection de profil ni les fesses flétries. Le désir s’accroche à un marcel défraîchi sans Marlon Brando, un slip kangourou trop grand ou le pyjama d’un défunt parfaitement ajusté qu’on enfile. Les bagarres entre Jérémie et Vincent oscillent entre coups et étreintes. Sous l’humus, pointent, érectiles, les champignons, délices nés sous la décomposition des feuilles rouge sang qui pourraient se ramasser à la pelle sans regret – mains coupées d’Apollinaire dans un automne sensuel et vénéneux. On connaît l’importance des lieux chez le réalisateur. Du causse épique des Gueux aux bois de l’Inconnu du lac. Ici, c’est la forêt. Omniprésente. Claire Mathon à la photo joue des aléas de la lumière naturelle, nocturne et diurne, et nous, nous ne pourrons sans doute jamais plus manger une omelette aux morilles de la même façon.

ÉLISE PADOVANI

Miséricorde, d’Alain Guiraudie

En salles le 16 octobre

OCCITANIE : Troubler les représentations

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Alice Brygo, photomontage préparatoire de l’ installation vidéo et sonore Montagne profane, 2024 © de l’artiste.

Deux expositions dont les vernissages ont lieu simultanément au Crac ce vendredi 4 octobre, à partir de 18h30, avec deux performances en lien avec l’exposition En-dehors (dont une accompagnée d’un avertissement, car comprenant de la nudité intégrale). Une exposition qui a invité huit artistes contemporain-e-s « directement concerné-e-s par le handicap et/ou la maladie, à présenter des œuvres qui rendent compte de leurs expériences sous l’angle de l’émancipation ». Toustes artistes français.e.s, trentenaires ou quadragénaires, qui se nomment No Anger, Laurie Charles, Marguerite Maréchal, Benoît Piéron, Lou Chavepayre, Kamil Guénatri, Mélanie Joseph. Et Rémi Gendarme-Cerquetti, écrivain, militant anti-validiste, auteur-réalisateur de films documentaires, décédé cette année, auquel l’exposition consacre une rétrospective. 

Anti-validiste

Le parti-pris de l’exposition est militant : pour la commissaire de l’exposition, Lucie Camous, qui a co-écrit le projet avec l’artiste No Anger, il s’agit de déjouer les représentations dominantes validistes sur le handicap ou la maladie, découlant de la médecine et de ses normes implicites ainsi que du modèle productiviste, alimentant oppressions et discriminations. Et de proposer des façons de s’en affranchir. Notamment : « s’emparer de l’espace public, renverser le regard dominant ou acquérir une légitimité dans le champ de la recherche académique ; construire en collectif, performer d’autres rapports aux corps ou approcher le handicap comme une pratique transformatrice ». Ansi No Anger, à travers la vidéo, la performance et l’écriture littéraire s’attache à dire « l’expérience d’un corps minorisé qui s’affranchit de sa monstration hégémonique ». Laurie Charles, après ses relectures féministes de récits historiques ou de situations réelles, a entrepris de réécrire une histoire alternative de la médecine. Lou Chavepayre questionne les projections et les présupposés dont son corps fait l’objet. Kamil Guénatri, avec l’aide de ses assistant-e-s de vie, confronte son corps quasi inactif et dépendant à un médium fondé sur l’action. Et Mélanie Joseph, chercheuse sourde, propose un travail à la croisée des Deaf Studies (études sourdes), de la sociologie visuelle et de la performance vidéo. Elle sera en performance le soir du vernissage, et le lendemain, tout comme Kamil Guénatri.

Benoit Piéron – « Strap-on II », draps réformés des hôpitaux, lumière LED, mannequin fessier, 2024 © TadzioSultana, Benoit Piéron

Ruines et montagnes

La seconde exposition présente trois projets d’Alice Brygo (née en 1996 à Montpellier, diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs en 2019, et du Fresnoy en 2022), dont la pratique conjugue méthode documentaire, cinéma fantastique et installation.

L’un des projets présentés est celui qu’elle a développé à la Villa Médicis de Rome, lié au Prix Occitanie Médicis, qui a pour objectif de découvrir, soutenir et promouvoir les talents émergents d’Occitanie sur la scène internationale, dont elle a été lauréate en 2023. Three days in Rome est un triptyque, qui découpe le temps en passé, présent, futur, en faisant référence au tourisme de masse et au pouvoir de fascination des ruines. Une installation vidéo dans laquelle plusieurs civilisations se contemplent entre-elles, à différents endroits du temps. Ses deux autres projets regroupés sous le titre Vertiges sont Le Mal des ardents, un film de 2022, réalisé à partir d’images tournée en 2019, à Paris, dans la foule médusée qui regarde Notre-Dame brûler. Et Montagne profane, installation vidéo produite spécialement pour l’exposition, où se développe un récit étrange et mélancolique, dans lequel plusieurs personnages évoluent, entre randonnée et survie autour de différents sites de montagnes artificielles, de celles qu’on peut voir dans les zoos, les parcs aquatiques ou les salles d’escalades… Pour Alice Brygo il s’agit d’« une mise en dialogue critique et ambivalente de différentes symboliques dont la montagne a fait l’objet, de la quête spirituelle que représente son ascension, au contrôle de la nature que suggère son imitation architecturale».

MARC VOIRY

Vertiges, En-dehors
Jusqu’au 5 janvier 2025
Crac, Sète