lundi 25 novembre 2024
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Quand le cinéma bat le pavé

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« Beirut Is Back, and It's Beautiful », un cliché tiré du portfolio des années 2000 à 2010 de l'artiste. Photo Randa Mirza

C’est à partir d’une photo de Beyrouth signée Randa Mirza que s’est élaborée l’affiche de l’édition 2024. Elle correspond à l’acte I des Rencontres d’Image de ville, à Aix-en-Provence du 10 au 13 octobre, qui dans le cadre de sa Biennale, accueille une programmation autour du pays invité : le Liban et de sa capitale, cette ville détruite, reconstruite, encore et encore… Aux murs et à l’âme fissurés. Il s’agira donc de Voir Beyrouth, au fil d’un dialogue entre le cinéaste Ghassan Salhab qui la filme comme une entité vivante où l’enracinement et l’appel de l’ailleurs s’incarnent dans des personnages sous tension, et l’architecte-urbaniste Antoine Atallah engagé dans la conservation d’un patrimoine menacé par la guerre et la spéculation, qui analyse les métamorphoses des quartiers à travers son Beyrouth panoramique. D’explorer la cité en cinq films de Ghassan Salhab, doc ou fictions échelonnés entre 1998 et 2024. De Beyrouth fantôme qu’il présentera le 10 octobre pour l’ouverture de la manifestation au Mazarin, à Contretemps, un doc fleuve de 5h45 (avec entracte) qui nous conduit jusqu’aux horreurs de cet automne. 

Une carte blanche, Nahala ou la ville qui sombre, drame de Farouk Beloufa, et deux documentaires – Erased Ascent of the invisible de Ghassan Halwani, et  After the End of the World de Nadim Mishlawi – compléteront ce portrait sensible, en actes et en perspectives de la « ville qui ne meurt pas ».

On change de ville 

Acte II : Marseille du 17 au 20 octobre. Des événements cinéma avec l’avant-première au Gyptis du film de Nicolas BurlaudLes Fils qui se touchent, produit en Région Sud. Et un focus Yannick Bellon, en partenariat avec Films Femmes Méditerranée, à l’occasion du centenaire de sa naissance, pour parcourir avec elle, Los Angeles, Paris et Venise. 

Des rencontres aussi, animées par Thierry Paquot,résolument constructives et tournées vers l’avenir, le faire-ensemble, les solutions. On va aussi découvrir Les Paysages de l’Anthropocène avec Agnès Sinaï et se demander comment et où vivre dans les nouvelles conditions climatiques de la planète. Inventer de nouveaux savoir-faire avec Simon Teyssou qui dialoguera avec les jeunes étudiants en architecture. Voir le film en chantier de Christian Barani sur 24 agences françaises d’architecture, partager les espoirs des jeunes générations. Faire territoire avec le même Simon Teyssou en tenant compte en urbanisme du « déjà-là », de l’échelle humaine pour ré-enchanter les lieux. 

Les Rencontres proposent aussi un«état des lieux », autour de la question : « Filmer l’Architecture, où en est le cinéma ? » Pour répondre, deux tables rondes et pas moins d’une dizaine de films.Notons parmi ceux-là, la première française de Skin of glass de Denise Zmekhol qui nous emmène dans le célèbre gratte-ciel moderniste de São Paulo squatté par les sans abri, et les avant-premières de E.1027 – Eileen Gray et la maison en bord de mer (Béatrice Minger et Christophe Schaub) ainsi que Architecton de Victor Kossakovski. La clôture se fera à la Baleine le 20 octobre à 21 h sur la fable de science-fiction qu’on promet « envoûtante et sublime » de l’Islandais Jóhann Jóhannsson : Last and first men, portée par la voix qu’on sait envoûtante et sublime de Tilda Swinton.

ÉLISE PADOVANI

Les Rencontres d’Image de ville
Aix-en-Provence
Du 10 au 13 octobre
Marseille
Du 17 au 20 octobre 

Les bonnes étoiles de la Fiesta des Suds 

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Seun kuti © Benoit Derrier / Goldie-B © Naïri / MC Solaar © X-DR

C’est une comète en France et peut-être en Europe. Un grand festival de musique, en plein air, au cœur de l’automne. C’est d’ailleurs un beau ciel étoilé, façon jeu de tarot marseillais, qui a été choisi pour l’affiche signée Creestal de l’édition 2024 de la Fiesta des Suds. Un ciel bleuté, la Bonne Mère qui veille, mais surtout, une joyeuse ronde, chacun main dans la main, telle une célébration de la musique et de l’amitié au-delà des frontières. Des valeurs cardinales que ce festival marseillais porte depuis maintenant 33 éditions, et qui se retrouveront, une nouvelle fois, sur l’esplanade du J4 du 10 au 14 octobre.

Système Solaar

C’est une des programmations les plus scrutées de l’automne. Quels artistes vont débarquer cette année sur la scène de la Fiesta ? En 2024, pas de grandes surprises, mais des poids lourds quand même. Le premier à passer par-là est MC Solaar le jeudi soir. Icône du rap depuis la fin des années 1980, il se distingue par son sens de l’écriture, une prose qui le rapproche des grands chanteurs à texte français, et qui fait de lui un artiste très apprécié, si ce n’est plus, par les profanes du hip-hop. Autre artiste attendue le vendredi, Olivia Ruiz, qui vient tout juste de sortir un nouvel album, La Réplique, dans lequel se mêlent influences d’un côté et de l’autre des Pyrénées, entre sonorités électro et chanson. Pour les têtes d’affiche, on citera aussi la nouvelle pépite de l’afro Kabeaushé, la soul d’Ayo, et l’excellent musicien-militant nigérian Sean Kuti

Étoiles montantes

Un peu plus dans l’ombre, une foule d’artistes mérite le détour. C’est le cas du duo marseillais King Krag, qui propose une soul/funk particulièrement bien sentie, que l’on a découverte dans leur premier album Tomorrow Can’t Wait sorti fin septembre. Autre artiste du coin, tout aussi talentueuse, la musicienne-productrice-deejay Goldie B, qui frappe son monde à coup de lourdes basses et de beat incandescents, entre nu-jazz et jungle. Marseillaise également, le flow et l’énergie de la rappeuse Joy C seront également de la fiesta

Comme l’an passé, la Fiesta se prolonge le dimanche, et c’est gratuit. Outre les nombreuses animations prévues, on verra sur scène, à 17 heures, la chanteuse Angelique Kidjo accompagnée par des enfants du dispositif La Cité des Minots, qui a déjà donné lieu à un très joli moment à l’Opéra plus tôt dans l’année [lire notre article sur journalzebuline.fr]. Ce sera l’occasion de voir également la joyeuse parade Jour de Fête, conçue par les Ateliers Sud Side et la Compagnie F d’Arthur Perole

NICOLAS SANTUCCI

La Fiesta des Suds
Du 10 au 14 octobre
Esplanade du J4, Marseille

Des jeunes pépites à En Ribambelle !

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Pomelo se demande © Lucie Nicolas

Oh là là, 11e édition, déjà ! Le festival des arts de la marionnette et de l’objet En Ribambelle ! est un rendez-vous guetté chaque année par ses jeunes fans, qui grandissent petit à petit, mais y trouvent, au moins jusqu’à l’adolescence, toujours des propositions à leur goût. Car la manifestation, conçue en 2014 par le Théâtre Massalia et La Criée, prend soin de proposer des pièces de qualité, adaptées à chaque âge.

Grand programme

Dix-huit structures culturelles des Bouches-du-Rhône, pas moins, participent à cette joyeuse occasion de se familiariser avec le spectacle vivant, à cheval sur les vacances de la Toussaint pour que tout le monde puisse en profiter. Certaines œuvres circuleront entre elles, comme le délicat travail de Et Compagnie, Pomelo se demande, inspiré d’un album jeunesse de Ramona Badescu et Benjamin Chaud ; son héros, un éléphant rose de la taille d’un radis, ravira les 4 ans et plus au Massalia (19 et 21 octobre) et à L’Oustau des manifestations et de la culture de La Fare-les-Oliviers (le 23 octobre). Ou bien La ferme des animaux, adaptation du roman dystopique d’Orwell pour les 8 ans et plus, par la Cie Fleur du Boucan, à découvrir à Marseille (La Criée les 6 et 7 novembre), Istres (L’Olivier le 13 novembre) ou Vitrolles (Théâtre Fontblanche le 16 novembre). Ce sera aussi le cas d’une proposition qui a une résonance toute particulière, au vu de l’actualité internationale, celle du Collectif Kahraba, Songe d’une forêt oubliée. Ces artistes libanais donneront vingt-six représentations, tour à tour au Théâtre Joliette et au Mucem (Marseille), au Forum de Berre, et au Sémaphore (Port-de-Bouc), du 19 au 30 octobre. En plein contexte guerrier, leur message de tendresse et d’espoir n’en sera que plus précieux.

Attention, d’autres spectacles ne seront en revanche proposés que sur un site, et pour une date ou deux seulement ; il va falloir être vif pour réserver ! Les ados à partir de 14 ans iront ainsi à Martigues (Les Salins, le 8 novembre) voir les impressionnantes marionnettes de glace du Théâtre de l’Entrouvert. Élise Vigneron, metteure en scène et chorégraphe dont c’est la marque de fabrique, en fait les personnages d’un roman de Virginia Woolf, Les Vagues. Quant aux tout petits à partir de 1 an, ils assisteront à la rencontre entre un berger et un ours au Mucem, les 30 et 31 octobre (Là-haut sur la montagne, Cie En Attendant).

GAËLLE CLOAREC

En Ribambelle !
Du 12 octobre au 16 novembre
Divers lieux des Bouches-du-Rhône

Avalée par le vent

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C’est moins à un chant qu’à un cri de rage que Vanda nous invite, forte de son caractère unique dans le paysage musical contemporain. Adapté du texte de théâtre Le Testament de Vanda de Jean-Pierre Siméon, cet opéra de chambre transcende le simple cadre musical pour offrir une expérience sensorielle et émotionnelle rare. Il est porté, pour cet enregistrement, par la voix envoûtante, tour à tour rauque et éclaircie, moelleuse et intimiste de la mezzo-soprano Fanny Lustaud et la viole de gambe vive et vigoureuse de Marie-Suzanne de Loye

La partition de Lionel Ginoux marie avec habilité les vestiges de la musique baroque, convoquée par la viole de gambe semblant poser par endroits de simples ostinatos, avec des sonorités contemporaines, dans la désarticulation de la tonalité, dans le choix d’une ligne vocale souvent disjointe mais aussi dans un recours savamment dosé à l’électronique. Il crée ce faisant un langage musical unique et évocateur. La musique se fait, comme dans Sans Domicile Fixe, cycle de mélodies composé quelques années plus tard par Ginoux également sur des textes de Siméon, vecteur de la parole poétique convoquée comme un témoignage. Chaque note, chaque inflexion de la voix narre sans détour l’histoire tragique de Vanda, une femme aux prises avec les ombres de l’exil, de la souffrance et de l’errance. Cette palette d’expressivités, magnifiée par la voix lyrique de Lustaud et la douceur enveloppante de la viole de gambe, permet d’explorer les strates de souvenirs et de douleurs sur lesquelles s’est construite Vanda. 

Trauma tragique

Le choix de la viole de gambe, grave et enveloppante, permet au compositeur de mettre en évidence la fragilité de Vanda. Toujours audible et compréhensible, ce récit à la première personne se teinte de contrastes, oscillant entre douceur et tension. 

Créé à l’Opéra de Reims en 2016 avec Ambroisine Pré dans le rôle-titre, Vanda impressionne encore, sans dispositif scénique, par la seule puissance de son histoire et des moyens musicaux convoqués pour la raconter : soit la voix résignée de Vanda, migrante venue des Balkans vers la jungle de Calais, décidée à abandonner sa fille, fruit d’un viol collectif. On croirait entendre par endroits des tirades extraites d’un Wajdi Mouawad ; ici encore, c’est la poésie et la force de la langue qui semblent seules aptes à guérir du trauma. Portée par ses élans, « avalée par le vent », Vanda aurait pu échapper à la tragédie de son destin. Mais lorsque son récit commence, il semble déjà être trop tard.

SUZANNE CANESSA

Vanda, de Lionel Ginoux
Label Nervure

Fières d’être Marseillaises

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© X-DR

Pour sa première édition, le festival Bouger les lignes qui veut mettre en valeur les femmes et leur histoire a connu un grand succès. Concerts, rencontres se sont succédé avec un public au rendez-vous, en particulier lors de la conférence à l’Alcazar sur le Dictionnaire des Marseillaises. L’histoire de l’ouvrage est un périple qui suit celle du féminisme dans la région. Il commence à la fin des années 1970 autour d’un petit groupe bénévole de chercheuses et de responsables d’associations qui souhaitent donner de la visibilité aux femmes. « Il existait un dico des Marseillais mais seules 25 femmes y étaient répertoriées » explique Éliane Richard pionnière dans l’introduction de la recherche sur les femmes dans le cursus universitaire aixois. Ils – surtout elles – se réunissent, organisent des colloques pour partager les informations – Internet et l’accès aux archives en ligne n’existe pas –, éditent des publications et créent l’association les Femmes et la Ville. Une première édition sort en 1999 sous le titre Marseillaises 26 siècles d’histoires, puis une deuxième en 2013 pour l’année de Marseille Capitale de la culture. La 3e édition sera publiée en janvier 2025 mais est déjà en vente par souscription (Éditions Gaussen). 

« S’il présente les femmes nées à Marseille, comme la résistante Bertie Albrecht, nous parlons aussi de celles qui ont marqué la ville » explique l’historienne Catherine Marand-Fouquet ; des « passantes » comme l’architecte Zaha Hadid, créatrice de la tour CMA CGM,  Simone de Beauvoir affectée au Lycée Montgrand en 1932, qui aimait la ville et y revenait régulièrement avec un certain Jean-Paul Sartre, Pépita Carpena, réfugiée espagnole anarchiste, Julia Pirotte, photographe de la seconde guerre mondiale, Anna Seghers ou Ovsanna Kaloustian, décédée à 106 ans, qui fut l’une des dernières survivantes du génocide arménien. L’ouvrage s’intéresse aussi aux collectifs, celui des poissonnières ou des vendeuses de limaçons et à celles qui sont devenues des symboles : Ces « dames » qui défendirent la ville en 1524 de l’invasion de Charles Quint, Notre-Dame de la Garde ou Gyptis, du mythe fondateur de la ville. L’occasion de redécouvrir des femmes extraordinaires : La Taglioni, Berthe Sylva et Régine Crespin et d’en découvrir d’autres comme la peintre Françoise Duparc (1726-1778) ou Françoise Ega, ouvrière, écrivaine et défenseuse des personnes migrantes.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

La conférence s’est tenue à l’Alcazar le 1er octobre.

OCCITANIE : Montpellier en mode Corée

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CelloGayageum © Nah Seung Yull

Depuis 2015, le festival Corée d’ici, accueilli par l’Opéra Orchestre National Montpellier propose au public d’aller à la rencontre des multiples facettes de la Corée à travers des événements pluridisciplinaires : musique, danse, cinéma, littérature, gastronomie, expositions, ateliers…  Le 10 octobre, The Gugak Jazz Society fera découvrir au public de nouveaux univers, dans lesquels la musique traditionnelle coréenne rencontre le jazz et la musique du monde. Le groupe, fondé en 2018, présentera une partie de Samulnori Fantasy : Season, album récemment sorti, qui explore des thèmes universels comme la passion, les rêves et les saisons changeantes de la vie. Le récit prend la forme du Pansori, art dramatique accompagné d’instruments de percussion comme le Jing, grand gong, ou le Janggu, tambour.

Combinaisons et alliances

Le 16 octobre, CelloGayageum avec Daniel Kim au violoncelle et Dayoung Yoon au gayageum (instrument traditionnel coréen) combine avec harmonie les deux cultures musicales de leurs instruments et le résultat est magnifique. Le duo s’est croisé la première fois à Berlin lors d’un concert organisé par le Centre culturel coréen. Attirés par leur curiosité mutuelle, ils se sont rapidement découvert une passion commune pour la création. Se comportant comme de véritables ambassadeurs culturels de leur pays, ils font voyager dans le monde la musique traditionnelle de Corée du Sud.Enfin le 20 octobre, place à Colours of sound, un ambitieux projet franco-coréen qui s’articule autour de l’interrogation suivante : comment les émotions du traditionnel coréen peuvent-elles créer une couleur unique en association à la palette musicale française ? Le groupe de musique du monde Doo-Mool (deux eaux en coréen) avec leurs rythmiques endiablées, les danseurs Kim Min-kyung et Choi Byung-gyu, les musiciens français Tom Pablo Gareil  et Maxime Dupuis (et le vidéaste Jeremias Alliu allieront leurs talents pour répondre à cette question. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

The Gugak Jazz Society
10 octobre

CelloGayageum
16 octobre

Colours of sound
20 octobre
Opéra Orchestre National Montpellier

DIASPORIK : Classe, race, place… les journalistes face aux assignations

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© S.C.

La table-ronde Les mots associés aux personnes racisées : l’exemple de la presse marseillaise., animée par le journaliste Iliès Hagoug voulait associer les directeurs de titres locaux, La Marseillaise, Marsactu, La Provence, ainsi que la sociologue Khadija Sahraoui-Chapuis afin de constater la part des journalistes concerné.e.s dans les rédactions, et plus largement et plus généralement s’interroger sur le traitement médiatique des quartiers populaires, trafics et autres assignations minoritaires dont sont la cible, les personnes racisé.e.s. L’absence inopinée de La Provence a réduit le champ, et empêché une mise en perspective historique de la presse locale. On sait le  rôle décisif de certains titres (Le Méridional) ou journaliste (Gabriel Domenech) sur l’explosion des crimes racistes dans les années 70 à Marseille. 

Représentation des racisés

Pour Benoit Gilles, journaliste à Marsactu, l’équipe actuelle est composée de personnes non racisées, c’est un fait, par « manque de candidatures de personnes racisées » aux offres d’emploi proposées par le média, argument qui ne prend pas en compte les biais de recrutement comme dans la plupart des titres. Concernant l’occurrence des termes et notamment celui de musulmans, sa présence dans le journal en ligne reste liée au traitement de l’actualité, en particulier autour de l’affaire de la mosquée des Bleuets et de l’imam Smaïn Bendjilali. 

Léo Purguette revient sur l’histoire de La Marseillaise, journal créée par les résistants après-guerre dont de nombreux militants communistes et FTP-MOI et qui constitue un socle essentiel. Avoir eu des contributeurs tels que Pape Diouf ou Jean-Claude Izzo, participe d’une représentativité importante. Ce constat ne suffit pas à ignorer combien « aujourd’hui, c’est le FN qui donne le La ! ». Il s’agit de s’interroger sur l’accès au récit dans les rédactions mais, au-delà, de comprendre la situation économique des médias et en particulier la presse locale. La Marseillaise a failli disparaitre et la concentration croissante des médias entre les mains de quelques grandes entreprises ou milliardaires pose des défis pour l’indépendance et le pluralisme de l’information. Les titres indépendants et les journalistes sont précarisés, et le monopole croissant interroge désormais le lien avec les partis politiques et les annonceurs. 

Pour le président de la Marseillaise, la recherche de contributions nouvelles, comme avec Zébuline, favorise la prise de parole d’une approche plurielle, valorisant les expressions minoritaires. 

Approfondir sans assigner

Pour la sociologue Khadija Sahraoui-Chapuis, le sujet de l’assignation est suffisamment grave pour ne pas être traité de façon sensationnaliste. Constat qui l’amène à rester à distance des médias, en tant que chercheuse, puisque les règles de déontologie sont, dans le journalisme, essentiellement déclaratives. Ainsi  la mention de l’origine réelle ou supposée des délinquants ou criminels, est systématique pour les uns, absente pour les autres, pour des crimes ou délits qualifiables de façon identique (trafic, viol…). 

Selon la sociologue, le vocabulaire mobilisé pa les journalistes pour traiter des « faits divers » devrait éviter de reproduire les dénominations policières, telles que Chouf, barbecue, caïds, DZ mafia… et choisir plutôt les termes plus contrôlés du judiciaire. Il devrait aussi intégrer une analyse documentée sur l’impact de l’école dans les trajectoires personnelles et les facteurs qui favorisent l’économie de la débrouille et des mécanismes qui mènent de nombreux jeunes à devenir captifs des réseaux. 

Les mots de clôture des coprésidents d’Ajar, Christelle Murhula et Arno Pedram invitent à poursuivre la mobilisation en soutenant notamment les journalistes racisé.e.s particulièrement cyberharcelés sur les réseaux sociaux. 

Samia Chabani

Le festival AJAR a eu lieu à la Friche la Belle de mai les 7 et 8 octobre

Les baskets de la liberté

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Dans les rues, les bureaux, les transports, toutes les femmes, jeunes ou vieilles, voilées ou mini-jupées, bourgeoises ou prolétaires, cadres ou employées, sont désormais en baskets. Plus ou moins chics, confortables et logotisées, les chaussures des femmes sont enfin confortables et leur permettent de courir, porter, marcher comme des hommes. Elles sont enfin libérées du talon, ce carcan séculaire qui voulait les rehausser et contraignait leurs mouvements avec l’aide des jupes longues ou courtes, les empêchant de s’asseoir, de chevaucher ou s’allonger tranquilles. 

Restent d’autres carcans, maquillage, lissage, épilation et faux cils, faux ongles infinis qui empêchent de pianoter ou de caresser sans risque. Mais la révolution de la basket semble définitive, profitant aussi aux hommes (et aux vaches) qui ne sont plus contraints à la rudesse du cuir.

Mais d’où vient cette avancée sociétale notable, sinon du hip-hop ? D’une culture mondialisée, populaire au sens où elle est née du peuple comme une contre-culture, en utilisant pourtant ses circuits publics et marchands. Un symbole des paradoxes de la notion de « populaire » en art. 

La pop, c’est populaire ? 

C’est ce que la Semaine de la pop philosophie, se propose d’explorer cette année. Une philosophie née du concept derridien selon lequel la pensée peut s’exercer à partir de référents populaires, et se passer d’Eschyle et de Bach pour se nourrir de pop art, pop musique, bédé et séries télé. Il s’agit d’en finir avec une notion descendante de la culture, celle d’une éducation populaire par ceux qui savent, et de considérer que le peuple produit des œuvres, qui permettent aussi des révolutions sociétales. Comme l’usage généralisé des baskets. 

Une analyse qui vient battre en brèche le concept de Vitez, cher à la culture publique, de « l’excellence pour tous », pour y substituer celui plus inclusif de l’excellence de tous·tes. Mais qui se heurte à l’absence de réflexion sur les forces de régulation exercées sur le « populaire » par le marché capitaliste.  

C’est pas le pied 

Car si le public se réunit en masse pour sauver des vies au concert de SOS Méditerranée, s’il sera demain nombreux la Fiesta pour célébrer les Suds, les têtes d’affiches de ces grandes manifestations doivent leur succès à leur talent, mais aussi au soutien d’un système médiatique et industriel qui les a rendus bankables

Sont-ils pour autant plus légitimes à défendre le peuple que les artistes des scènes publiques qui s’interrogent sur la justice, qui réhabilitent la dignité de la Traviata, dame aux camélias de traviole ? Qui concoctent de magnifiques spectacles pour enfants, qui dénoncent les abus séculaires et font sauter les carcans hérités pesant sur les corps et sur les mots ?

Sans intervention, ici et là, des principes de la culture publique, le hip-hop se serait réduit à celui que les majors, c’est à dire le capitalisme, avait intérêt à promouvoir : exclusivement masculin, séparant les communautés et les générations, et (auto)représentant la jeunesse populaire comme violemment ingérable et sans avenir. Loin de la révolution des baskets, que la culture publique n’a pas voulue, mais qui profite aujourd’hui autant à Nike® qu’aux pieds des femmes. 

AGNÈS FRESCHEL

Exils et vertiges

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Le récit s’ouvre sur le visage d’une réfugiée africaine en très gros plan. Elle raconte sa fuite devant des terroristes, le massacre des siens, la peur, la douleur. La voix de la traductrice relaie ses propos. Puis en rupture de cadre et d’échelle, nous voilà au-dessus d’une montagne abrupte et du vol circulaire des vautours avant que tout ne s’inverse et que nous nous trouvions au-dessous, au pied de la roche grise, les rapaces collés au ciel. Le préambule du récit est un renversement et annonce le vertige émotionnel qu’Isabel Coixet va nous faire vivre dans Un amor.

Natalia (Laia Costa) trentenaire célibataire était interprète dans une agence de médiation, au comité d’accueil des réfugiés. Elle déserte la souffrance distillée par les demandeurs d’asile, l’horreur de leurs récits, sa responsabilité dans l’instruction des dossiers, et s’installe loin de la ville dans un village montagnard, La Escapa, où elle ne fera plus que traduire documents et textes littéraires. Sans grand moyen, elle loue une vieille maison délabrée, sale, inhospitalière. L’eau du robinet coule noire, la douche fuit, le toit est troué. Les chiens aboient sans cesse. Son propriétaire fait irruption pour recevoir le loyer en billets froissés fourrés dans une enveloppe. Il est odieux, misogyne, menaçant, refuse d’assumer les réparations et lui impose d’adopter un chien hermaphrodite, balafré et traumatisé que Nat finira par aimer.

Dans le village, tout le monde sait tout sur tout le monde. Sous le calme apparent du lieu où tous l’affirment : « on est super bien ». Fermentent la suspicion, l’infamie, le non-dit. Sur le pays tournent l’orage et les oiseaux noirs. On pense au récent As bestas de Rodrigo Soroyen. Territoire délimité, dominé par les pics rocheux, dans lequel vit une communauté restreinte. Parmi elle vit Andréas, (Hovik KeuchKérian) surnommé l’Allemand, un ours solitaire, taiseux, bedonnant, fort comme un roc, qui vend ses légumes et réalise de menus travaux. C’est contre toute attente avec lui que Nat va nouer une relation. « La belle et la bête » dit la réalisatrice. Une relation initiée sur la base d’un deal aussi anti-romantique que possible : le sexe contre la réparation du toit. Puis sur l’addiction de Nat à ce corps puissant, à cet homme-montagne. Natalie et Andreas, deux outsiders, « étrangers » au village, personnages « coixétiens » par excellence dans leur opacité, et l’irréductibilité de leur solitude.

Deux corps

On retrouve dans ce film, des thèmes chers à la réalisatrice : la recherche d’un ailleurs, la fuite qui ne ramène qu’au point de départ, le déracinement (même dans son propre pays), les refuges illusoires – fussent-ils ceux des bras d’un homme désiré. Isabel Coixet excelle dans ces scènes d’amour – on se souvient encore de Sergi López et de Rinko Kikuchi dans Carte des Sons de Tokyo –, alliant la brutalité et le mystère du geste, le grognement bestial et l’imaginaire tellurique, le corps épais de l’un contre celui fragile de l’autre. La caméra ne quitte guère Nat qui parfois se dédouble pour se voir de l’extérieur. Se reconnaît-elle ? La reconnaissons-nous ? Projeter les gens ailleurs, spatialement et émotionnellement, serait un des buts d’un long métrage. Gageons ce pari réussi. « Mon ADN est dans chaque plan de ce film. Je l’ai réalisé pour de nombreuses raisons mais surtout parce que je ne pouvais pas ne pas le faire » dit la réalisatrice. Merci de l’avoir fait.

ÉLISE PADOVANI

En salle le 9 octobre

Présenté par CineHorizontes en Grande Compétition Fiction, le film a obtenu l’Horizon d’or 2024.

Fantaisie en Turakie 

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© J.S.

Depuis quatre décennies à la tête du Turak Théâtre, le génial et fantasque Michel Laubu y peaufine son univers : la Turakie, une contrée lointaine jouxtant la banquise. Truffée de pingouins et de marionnettes hilares, ce petit théâtre d’objets, minutieux et irrésistible, se déploie dans des contextes toujours différents, d’explorations insulaires in situ à des opéras revisités, parfois en complicité avec le musicien Rodophe Burger. 

Mi-timbré, mythologique

Le week-end dernier, ses mystérieux personnages surgissaient le long de la bucolique Promenade de l’Arc pour un voyage lettré et espiègle en verdoyante périphérie aixoise, en compagnie de « paléontologues mais presque », sur les traces du facétieux M.Tokbar – une marionnette à gaine, animée avec grâce et bonhomie. Déambulant en petits groupes, les spectateurs y découvraient un duel entre le chevalier Lance-l’eau et le squelette d’un « Vélotyrex » – dinosaure ailé sur Solex – ; les us du « Dinosaurore», qui se sustente à l’aube ; ou encore la tragédie du « Robinosaure », dont les bras trop courts pour sécher ses larmes provoquèrent l’inondation de la vallée de la Durance… 

Autant d’images fugaces et poétiques réinventant les mythologies topologiques et cartographiques de la région, tramées autour d’une spécificité du coin : les oeufs de dinosaures ! Retrouvés notamment par centaines lors du chantier des Allées provençales (400 sous le seul GTP !), nous contait le passionnant et érudit Yves Dutour, complice conservateur du Muséum d’histoire naturelle local. Cet heureux mariage entre arts et sciences s’achevait sur un émouvant final : une inattendue « chorégraphie de l’attente » – à base de farandole et sauts de cabris de tentes igloo, animées comme des créatures à part entière. En ambassadeur toujours affûté de la Turakie, Michel Laubu en profitait pour déplorer avec malice que les termes « gouvernements » et « sociaux » ne puissent désormais jamais se rencontrer au sein d’une même phrase… 

JULIE BORDENAVE

Expédition en Turakie a été joué le samedi 28 septembre à Aix-en-Provence, dans le cadre de la Biennale.