lundi 21 avril 2025
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Pour un flamenco universel

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flamenco
Ana Pérez © Alain Scherer

Zébuline. Le festival, associé au Centre Soléa, à Marseille, a été créé en 2019. Comment a-t-il émergé ? 

Maria Pérez. Le Centre Soléa est né en 1994, et après des années de création d’événements, j’ai été contactée par  l’école de flamenco d’Andalousie, pour que Soléa soit le siège officiel de cette fédération en France. Une reconnaissance exceptionnelle, depuis l’Espagne, d’un lieu de formation professionnelle et de création. C’est lui qui m’a poussé à lancer le festival en 2017, quand il a réalisé que Marseille était un point d’ancrage vers l’Europe. J’ai voulu que ce soit un festival régional. C’est pour cela que ça dure un mois et qu’on se produit à Marseille,  Digne, Aix, Arles, Niolon, Avignon, Istres, Martigues et Ollioules. 

La culture flamenca a-t-elle évolué ces dernières années ?
Le flamenco est un phénomène mondial en mutation constante. Un art issu d’un peuple analphabète composé de juifs, de gitans, d’arabes et de noirs africains. Exploités et exclus par la nouvelle Espagne catholique et blanche, ils ont créé la culture flamenca, qui est une des expressions artistiques les plus abouties du pourtour méditerranéen. À Marseille, ville  cosmopolite, bourrée d’artistes, elle trouve un écho, et s’ancre dans une culture de solidarité : on a un projet A Pulso, auprès de femmes migrantes et en détresse sociale, un autre auprès de trisomiques.

Quels spectacles pour cette édition ? Des créations ? 
Pas de création mondiale mais des spectacles récents, en particulier à la Friche Après vous Madame et l’Envol du Tacon et à la Cité de la Musique En Casa de Los Bolecos. C’est notre spectacle d’ouverture, et on en est très fiers ! Le guitariste Manuel Gomez, issu d’une lignée de gitans qu’on appelle Los Bolecos, a fait venir deux artistes de Séville Pepe de Pura et Juan José Villar. Los Bolecos sont héritiers, depuis des générations, d’un style très particulier. D’ailleurs, le thème de cette 7e édition « Créateurs de styles », rend hommage à toutes les avant-gardes. On le retrouve à Istres avec David Coria, ou avec les jeunes femmes à la Friche qui sont des créatrices de style. 

Justement Ana Pérez, votre fille, est très en vogue en ce moment…
Elle est l’artiste phare de la tribu Soléa, et une figure emblématique de Marseille puisqu’elle a du sang cap-verdien, antillais et espagnol. Elle a une ouverture contemporaine et une fibre africaine, avec une technique flamenca très poussée parce qu’elle a vécu 8 ans à Séville. Elle a sa signature, et danse comme personne. Paula Comitre est de cet acabit aussi, elle va danser, seule avec un pianiste, dans une robe rouge et une matière gonflable complètement organique. On a l’impression qu’il y a un animal sur scène !

Que doit-on attendre de la journée de clôture ? 
La gare désaffectée de Niolon a été louée à T’CAP21, une association de parents de trisomiques. On commence à 11h, on danse sur le port au bord de l’eau, on remonte pour la paëlla géante, puis on fait un tablao avec La Repompa, qui donnera une masterclass. Finir ainsi, c’est une chance.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LILLI BERTON FOUCHET

Flamenco Azul
Du 15 mars au 13 avril
Divers lieux, Région Sud

Retrouvez nos articles Scènes ici et Rencontres ici

Les Chroniqu’heureuses rencontrent Khara

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khara
© L.P.B.

Les minots. Quelle est l’importance du chant dans ta vie ? Comment as-tu commencé ? 

Khara. Centrale. C’est ce qui a donné du sens à ma vie, de comprendre pourquoi, potentiellement, j’existais. Le chant m’est venu car j’aimais bien mettre des notes sur mes cris. 

Comment te sens-tu en tant qu’artiste féminine dans le milieu du rap ? 

Je crois que la question du genre n’est pas très importante. La société voudrait que ce soit beaucoup dans nos têtes, mais je me sens juste artiste, et j’aime l’être. 

Pourquoi avoir choisi le nom de scène Khara ? 

Khara est un mélange des deux prénoms de ma mère et de ma grand-mère. 

On lit et on entend souvent le mot « canines » dans tes textes et ta communication. Que représente-t-il pour toi ? 

Quand j’étais petite, ma dentition était un sujet de moquerie ;  je tends à penser que si tu parles en premier de quelque chose, les gens n’ont plus matière à le faire. Du coup, au lieu d’avoir honte, c’est devenu mon symbole !

Dans la chanson Marie, pourquoi choisir de parler de l’enfance ? 

Marie, c’est mon vrai prénom. Quand j’étais petite, on me chantait tout le temps la chanson de Johnny Hallyday. J’en reprends le refrain et le transforme. Dans l’originale, Johnny parle à la vierge, et moi je suis agnostique. J’ai donc décidé de parler à l’enfant en moi qui, je pense, ne disparaît jamais. 

Pourquoi utiliser une arme pour te défendre dans le clip de Marie 

C’est métaphorique : j’ai trouvé intéressant de représenter que c’est Marie, enfant, qui protège Khara adulte. L’enfant donne la force d’affronter des situations compliquées telles que faire face à des milliers de gens, ou bien à tous les reproches qu’on reçoit en tant qu’artiste. 

Comment as-tu été sélectionnée par le festival Marsatac ? 

J’ai sorti un projet, mais je n’avais pas les moyens financiers de défendre. Je n’ai rien fait d’autre que l’envoyer sur les plateformes de streaming. Un jour, j’ai reçu un appel de Marsatac qui me proposait de jouer sur la scène La Frappe, en 2022. C’était génial ! Je viens d’une famille plutôt modeste et je n’avais jamais eu l’occasion d’aller à Marsatac, alors que mes amis y aillaient tous les ans. Y aller pour la première fois en tant qu’artiste, c’était drôle !

Comment est composée la partie instrumentale de tes morceaux ? 

Ça dépend de mes humeurs et des personnes qui m’entourent. Dario Della Noce, avec qui j’ai sorti le morceau Président, m’aide à construire mes prods. On essaye de se servir de toutes les énergies nous animent le jour J pour construire des choses. 

Comment imagines-tu ton avenir musical ? 

J’espère un jour aller encore plus loin, mais je ne veux pas avoir des idées fixes pour ne pas être déçue. Je continue d’espérer que les choses iront dans le bon sens. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR YAMINA, HIMDA, MAME BOUSSO ET VICTOR.

PROPOS RECUEILLIS PAR LUCIE PONTHIEUX BERTRAM

Le concert donné au Makeda, le 7 mars, à Marseille 

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À nouv.o.monde, une vie de berger

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(C) Pyramide distriburion

Il pleuvait fort en ce dimanche 9 mars mais cela n’a pas empêché le public de venir à Rousset et la salle Emilien Ventre était comble pour la séance de clôture. Le film Bergers de la Québécoise Sophie Deraspe a enthousiasmé les spectateurs et la rencontre avec l’éleveuse- bergère Pauline Arnaudet et le comédien Bruno Raffaelli a éclairé les thèmes de ce récit initiatique.  

Librement inspiré du roman auto fictionnel de Mathyas Lefebure, D’où viens-tu berger?, paru en 2006, Bergers commence par un rêve : celui de Mathyas (Félix-Antoine Duval) un jeune publicitaire montréalais. Sa voix off précise qu’il ne va pas rentrer chez lui. Il est à la fenêtre d’un hôtel à Arles, avec vue sur les Arènes. « J’ai peur que mon cœur s’arrête ! » Sa décision est prise : il va devenir berger. Il démissionne avec un message vocal. Il se documente, achète des livres sur la transhumance, un couteau, un chapeau, une vieille besace en cuir et, cherchant à se faire embaucher comme apprenti, va à la rencontre des éleveurs et bergers qui au, bistrot du coin boivent leur « jaune ».

Longue marche

Tous se moquent gentiment de ce « berger » qui n’a pas encore gardé ! Mais l’un d’entre eux qui manque de main-d’œuvre le prend à l’essai. Un essai non concluant et Mathyas se retrouve alors chez Tellier (Bruno Raffaelli), un éleveur endetté, violent et colérique. Il commence à garder avec Ahmed (Michel Benizri), un berger marocain, qui n’aime pas les moutons : « Les moutons, il faut les mater » et a peu de considération pour les femmes.

Mathyas a entamé une correspondance avec une jeune fonctionnaire, Elise (Solène Rigot)  rencontrée lors d’une démarche administrative. Lorsqu’ Elise, séduite par ce qu’il lui raconte, à son tour démissionne et le rejoint, c’est l’expérience de la transhumance et de l’estive qu’ils vont partager : la longue et dure marche vers l’herbe verte des montagnes et la liberté.

Sophie Deraspe, à travers son Candide romantique, montre le métier de berger dans toute sa rudesse, les cabanes plus que sommaires, le travail harassant, les difficultés économiques. La caméra de Vincent Gonneville filme superbement les corps et les visages fatigués, les gestes du travail, bêtes qu’on marque, qu’on soigne, les troupeaux qui traversent les villages. La beauté des paysages baignés de lumière, la violence des orages, la montagne au lever du jour.

ANNIE GAVA

Bergers a remporté le Prix du meilleur film canadien au Toronto International Film Festival.

© Pyramide Distribution

Trois bras et un couteau

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Par Grands Vents © Matthieu Delcourt

Aventure rocambolesque de trois apprentis-aventuriers à la recherche d’un palais en ruines, ou création d’un lieu touristique lucratif au détriment de vestiges archéologiques ? D’autres pistes seraient possibles, il suffit de se laisser emporter par la douce folie de situations inattendues et de personnages inventifs et rêveurs. 

Le spectacle commence dans le noir. Une voix hésitante appelle : « Simone ! », « oui Stan », répond-elle (enthousiaste Elena Doratiotto). Tous deux arrivent dans un espace nu et désert. Ils voient (nous pas) les restes d’un palais en ruines, découvrent avec plaisir un emplacement humide et très vite installent robinets et tuyaux. Aussi jouent-ils avec l’eau, tels des enfants. Ils ont chacun un petit livre avec une traduction de Sophocle, mais, oh surprise, ils s’aperçoivent que leurs traductions sont totalement opposées. Ne peut-on avoir confiance dans les traducteurs ? Tandis que Stan s’étonne de la valeur et du poids des mots tel le Candide ahuri de Voltaire (délicieux Tom Geels), le troisième comparse (Benoît Piret du Raoul Collectif) leur parle d’une fresque qui représente le moment où Abraham est sur le point se sacrifier son fils sur l’injonction de Dieu mais dont le bras est arrêté par un ange. 

Encore une question de lexique, un bras qui tient et un bras qui retient. Quelle issue ? Le problème de la violence est posé. Surgit enfin un homme (impayable Bastien Montes) qui leur demande de partir car le site va être exploité comme lieu touristique, des colonnes vont être érigées, une route bitumée. Préservation du patrimoine ou modernité affirmée ?

L’évocation de l’Antiquité prend la forme d’un messager – en fait une messagère qui a mal aux pieds (Marthe Wetzel en rangers) – laissant bien derrière elle l’image ailée d’Hermès. Des rebondissements farfelus qui laissent le public amusé, étonné par ce regard candide sur un monde ancien et oublié qui questionne celui dans lequel nous vivons.

CHRIS BOURGUE

Par grands vents s’est joué au Théâtre Joliette les 7 et 8 mars

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Petra Magoni : la liberté par le tango

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© A.-M.T.

Rock’n’roll avec sa coupe mulet et ses yeux noirs charbonneux, Petra Magoni est une artiste italienne éclectique, inclassable. Elle s’est formée au chant sacré et baroque, a tâté de l’opéra, du rap, de la pop, du jazz. Sur ses albums, on trouve aussi bien du Bach, du Caccini, que du Brel, du Peggy Lee ou du Gloria Gaynor. Elle ne s’interdit rien, s’empare de la musique qu’elle aime et modèle tout ce qu’elle glane avec une pâte très personnelle. On pense à Grace Jones, Catherine Ringer… mais c’est juste du Petra Magoni, tout un univers. 

Pour son passage à Marseille, elle s’est attaquée au répertoire du tango dans le concert intitulé Libertan’go, tiré du nom de la chanson composée par Astor Piazolla. Elle a trouvé dans la cité phocéenne des compagnons de jeux à sa mesure : l’accordéoniste Grégory Daltin et le mandoliniste Vincent Beer-Demander qui avait emmené avec lui les musiciens de l’Académie de mandolines et guitares de Marseille, une harpiste et une contrebassiste, des plus jeunes aux plus âgés comme Francine qui a fêté en live ses… 98 ans.  

La foule emportée 

Ce trio à l’énergie folle et virtuose, s’empare des célèbres musiques du tanguero, les mâtine de jazz, de rock et offre au public d’un Théâtre de l’Œuvre comble, un spectacle unique. Petra Magoni improvise, interprète, raconte des histoires, habitée par la musique des deux musiciens, qui, facétieux, révèlent tout ce qu’on peut faire avec un instrument : en jouer classiquement mais aussi le caresser, l’effleurer, le tapoter ou le claquer. Les morceaux sont jubilatoires, transmettent une ambiance de douce allégresse à la salle.

On peut entendre le très émouvant et nostalgique Por una Cabeza de Carlos Gardel qui évoque les zones d’ombres de la fragilité humaine, un Ave Maria de toute beauté, composé par Piazzola pour la chanteuse italienne Milva, une version de La Foule reprise en chœur par la salle et trois créations, Sensualità, Passione et Resistenza. Ce dernier morceau dans lequel les mandolines montent en puissance comme une marche de partisans toujours plus nombreux résonne d’un écho tout particulier en cette période de crise mondiale. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Concert donné le 9 mars au Théâtre de l’Œuvre, Marseille

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Quand Carmen passe le détroit 

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Carmen Al Andalus © Mateo Beauche

Une place avec des tapis, des chaises, des personnages en tenue orientale, femmes d’un côté, hommes de l’autre. En fond, une rangée de musiciens en djellaba et caftans et une image de Kasbah aux murs crème transportent le public sur une place qui pourrait être Jemaa el-Fnaa à Marrakech. C’est dans ce décor qu’Olivier Desbordes et la troupe de l’Opéra éclaté ont choisi d’installer Carmen, le personnage de Prosper Mérimée et de l’opéra de Georges Bizet, et de donner à la musique du compositeur une version arabo-andalouse. 

On retrouve dans le spectacle tous les grands airs de l’œuvre comme Tu ne m’aimes pas ou Toréador. La Habanera et Sous les remparts de Séville ont été réorchestrés sur des rythmes orientaux. La production a rajouté à l’œuvre des airs chantés en arabe comme celui de Garcia, mari de Carmen interprété avec brio par Yassine Benameur. L’idée se tient parfaitement puisque l’Espagne fut occupée pendant des siècles par les Arabes chassés au XVe siècle après la Reconquista. Les Bohémiens, communauté de Carmen, deviennent ici des bandits des montagnes de l’Atlas. Jean-François Marras,qui incarne unDon José brigadier amoureux transis rendu fou par cette femme libre et volage, est extrêmement convaincant vocalement. Tragique, il est ovationné par la salle dans le solo La fleur que tu m’avais jeté

Un Orient trop lointain ? 

La mezzo-soprano Ahlmia Mhamdi interprète le rôle-titre. On a d’abord du mal à ressentir de l’émotion et de l’empathie pour cette Carmen dont le jeu scénique est, durant le premier acte, très nerveux, agité. Lorsqu’elle se pose enfin et s’ancre dans plus d’immobilité, elle donne alors toute la puissance à sa voix au timbre rond et sensuel. On a aimé la belle énergie du quatuor Frasquita (Sonia Menen), Mercedes (Sonia Skouri-Robert), Dancaire (Edouard Ferenczi Gurban) et Remendado (Yanis Benabdellah).

En fond de scène, disposés en long, les instrumentistes de l’orchestre Mare nostrum excellent dans ce mélange de genres musicaux.  Le pari était risqué. Il est grandement réussi même si on aurait aimé que le parti pris « orientaliste » soit poussé jusqu’au bout en donnant plus d’authenticité à cette adaptation. Il y a parfois dans le jeu des acteurs un côté « farce » qui chagrine comme les costumes, très beaux certes, mais qui relèvent du déguisement. C’est dommage. Mention spéciale aux jeux d’éclairages magnifiques qui portent le spectacle de bout en bout et entraînent le spectateur dans l’ambiance tout en clair-obscur des soirées marocaines.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Carmen Al-Andalus a été donné le 6 et 7 mars à l’Odéon (Marseille)

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Martigues : Wim Vandekeybus touche au divin 

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Infamous Offspring © Wim Vandekeybus

Une saison aux Salins sait apporter son lot de moments exceptionnels, et Infamous Offspring,donné ce 4 mars, en fait partie. Le public ne s’est d’ailleurs pas trompé, venu nombreux pour saluer la dernière création du chorégraphe belge Wim Vandekeybus, qui explore les récits de la mythologie grecque.

Infamous offspring, que l’on pourrait traduire par « une descendance tristement célèbre », s’ouvre sur la figure d’Héphaïstos, le dieu forgeron infirme. Il est incarné par une contorsionniste écossaise à l’accent rocailleux, qui se tord sur le plateau tout en inventant un langage, à la fois physique, plastique et auditif. Autour d’elle, ses frères et sœurs divins, Artémis, Apollon, Hermès, Arès, Athéna, Dionysos et Aphrodite, objet de toutes les convoitises, se mettent en mouvement. 

Zeus, Héra, même combat

Ces divinités sont interprétées par des danseur·ses à l’énergie prodigieuse, créant une réécriture moderne et sensuelle des mythes antiques. La chorégraphie impressionne, avec des interprètes qui parviennent à se rattraper en plein vol, et des portés presque surnaturels. Toute cette descendance divine, cruelle, lubrique et criminelle s’agite sous le regard vertical de leurs illustres parents, Zeus et Héra. Le couple royal n’apparait que sur écran, tels des parents lointains et inaccessibles qui se désolent des avatars de leur progéniture. 

Zeus, agresseur sexuel notoire, n’a d’ailleurs rien à envier à ses rejetons. Héra se montre pareillement insensible aux malheurs des humains. Sur un deuxième écran, le danseur de flamenco Israël Galván incarne Tirésias, le devin aveugle qui guida en son temps Ulysse aux enfers, et communique ses prophéties uniquement par le langage corporel. Après une bonne heure de chorégraphies survoltées, les jeunes interprètes se posent à l’avant-scène tandis que Hébé, échanson des dieux, leur sert à boire avant de conclure avec Tirésias cette épopée flamboyante.

ISABELLE RAINALDI

Spectacle donné le 4 mars aux Salins, Scène nationale de Martigues. 

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Ecrire à Pétain

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Le Birgit Ensemble, Les Suppliques © Simon Gosselin
Le Birgit Ensemble, Les Suppliques © Simon Gosselin

ZébulineComment est né votre Birgit Ensemble ? 

Julie Bertin. En 2013 au Conservatoire de Paris. Jade et moi devions monter un spectacle avec notre promo, et nous avons eu immédiatement l’envie d’écrire avec l’équipe, de monter une grande fresque épique historique. Pour montrer que notre génération, qu’on dit dépolitisée, ne l’est pas. 

Jade Herbulot. On est tous et toutes né·e·s autour de 1989, on a posé les fondements esthétiques du Birgit Ensemble autour de la chute du Mur de Berlin, en mêlant l’histoire européenne contemporaine à notre histoire intime.

JB. Et rapidement le spectacle est sorti de l’atelier, on l’a joué au Centre dramatique de Saint-Denis… 

Effectivement le Birgit Ensemble a très rapidement été programmé dans des théâtres nationaux, au Festival d’Avignon… Comment l’avez-vous vécu ? 

JB. C’était vertigineux, c’est arrivé vite, on voulait continuer à présenter de grandes formes, mais sans tout à fait avoir conscience des réalités de la production. 

JH. Les Suppliques sont un format plus réduit, avec quatre interprètes, un homme et une femme autour de la vingtaine, et deux autres plus chevronnés. Une autre génération d’acteurs.

Ces suppliques sont des lettres écrites au Maréchal Pétain, ou au commissariat général aux questions juives, pour réclamer des nouvelles des déportés. Comment en avez-vous fait un spectacle ?

JH.  Nous avons conservé six lettres, il en existe des milliers, retrouvées par Laurent Joly [historien ndlr] dans les archives nationales. Nous avons choisi une variété générationnelle donc, mais ausside classe sociale et de situation administrative. 

JB. Ces lettres sont le point de départ de notre enquête, puis de notre écriture. On voulait les faire entendre mais aussi faire voir le hors-champ. Qu’est-ce qui peut conduire des juifs à écrire au maréchal Pétain ? Avec Laurent Joly, avec la documentariste Aude Vassalo qui a complété les lettres avec d’autres archives administratives et généalogiques, nous avons reconstitué le puzzle de ces six histoires. Puis écrit et comblé les blancs.

N’est-il pas délicat, sur un tel sujet, d’ajouter de la fiction à l’histoire ?

JB. Si la fiction ne vient pas trahir le réel, si elle dit qu’elle est de la fiction et qu’elle cherche à éclairer les faits, je ne crois pas. 

Vous avez fait le choix de suppliques entre 1941 et novembre 42. Pourquoi ces dates ?

JH. On déploie les tableaux de façon chronologique, 42 est l’année de bascule du Vel’d’Hiv, mais on retrouve des lettres dès 1940 et tout au long de la déportation les juifs. C’est étrange d’écrire à son bourreau. Ils mettent en avant leur intégration, leur nationalité, leurs faits de guerre, ils cherchent à composer avec l’administration, avec le haut commissariat aux questions juives… 

Comment cela résonne-t-il aujourd’hui ? 

JB. Nous avons repris le spectacle en janvier à Paris, nous ne l’avions pas joué depuis un an. Depuis la montée des nationalismes et l’accès de Trump au pouvoir. Les spectateurs sont sonnés, l’un m’a dit « mais cela parle de notre futur, pas de notre passé … ». Nous nous méfions des analogies faciles, mais dans les archives de Vichy, dans les ordonnances qui sont lues tout au long du spectacle et qui retirent leurs droits aux Juifs, on retrouve des éléments de langage, une rhétorique qui est celle de Trump, de Meloni et de la droite radicale actuelle. 

JH. Aujourd’hui ce spectacle sonne comme un avertissement, une injonction à la vigilance : oui, le pouvoir peut se mettre à persécuter légalement les minorités. 

JB. Et cela va très vite. En deux ans Vichy a fait ce que l’Allemagne nazie avait mis 10 ans à faire.

ENTRETIEN REALISE PAR AGNÈS FRESCHEL

Les Suppliques
12 et 13 mars
Le Zef, Scène nationale de Marseille

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Babel Minots grandit en musique 

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Babel Minots 2024 © naïri
Babel Minots 2024 © naïri

De la musique pour les plus jeunes. C’est la noble cause que tient avec succès le festival Babel Minots depuis 10 ans maintenant. Un événement à vocation nationale, « une sorte de Printemps de Bourges du jeune public » explique l’organisation, qui propose une foule de propositions artistiques à l’adresse à la toute petite enfance – voire même avant la naissance ! –, jusqu’aux bambins qui ont atteint l’âge de raison. Pour répondre à cette belle promesse, 75 artistes sont conviés, pour 62 représentations dans 28 lieux de Marseille et ses alentours. Des chiffres qui confirment la jolie dynamique de ce rendez-vous jeunesse, qui grandit tranquillement, sans crise de croissance. 

Au programme

Une trentaine de spectacles sont à l’affiche de cette nouvelle édition. Une édition qui commence fort, avec la nouvelle création de la Compagnie Rassegna, intitulée Ma vie, mon roman (Théâtre de l’Odéon, 9 h et 14 h). Mise en scène par Laurent Gachet, cette pièce musicale s’écrit autour du personnage de Carlito, avec à la composition musicale Bruno Allary, qui s’inspire, comme souvent, des airs traditionnels du pourtour méditerranéen. Le même jour, au Théâtre de l’Odéon, Caroline Tolla s’entoure du Maluca Beleza trio pour présenter le spectacle Des Rivages (à partir de 6 ans), qui plonge les petits en pleine mer, avec ceux qui l’explorent : pêcheurs, plongeurs et navigateurs. 

De mer, il est question aussi avec la compagnie Okkio et sa Voix de l’eau (17 mars, L’Astronef). Dans cette pièce musicale qui s’adresse aux 18 mois et plus, le public est invité à entrer dans une bulle circulaire et cotonneuse, où le souffle musical rejoint les premiers souffles de vie dans l’eau. 

Autre moment attendu, le spectacle Jazz & Rap de la Compagnie de l’Enelle. Un conte, à cheval entre urbanité et fantastique, qui prend pour décor le quartier de La Plaine à Marseille, que Lamine Diagne a co-écrit avec le jeune rappeur Ilan Couartou. À découvrir le 18 mars sur la Grand Plateau de la Friche la Belle de Mai. 

Citons aussi cette jolie nouveauté 2025. Le Watsu Song propose un atelier de chant prénatal, qui entend « explorer les nouvelles sensations de la grossesse, renforcer le lien avec bébé, lui murmurer des berceuses, chanter, vibrer, célébrer la vie qui grandit en soi. » (15 mars, à 1,2,3 Solène). Une discipline qui a même des vertus musculaires en amont de l’accouchement !

Babel Minots aussi fait des petits 

Preuve de l’intérêt que suscite Babel Minots, le rendez-vous continue de s’exporter en France. Depuis quelques années déjà, se tenait son pendant francilien avec Babel Mômes(Aubervilliers), il essaime désormais jusqu’à Saint-Nazaire, avec le tout nouveau Ty’ Babel, qui sera porté localement par le Centre national de création musicale de l’Athénor. 

NICOLAS SANTUCCI

Babel Minots
Du 12 au 22 mars
Divers lieux, Marseille et alentours 

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Les TG Stan au Bois de L’ Aune

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orphans, tg stan

Occupant la scène vide à la coule, déambulation, échanges, étirements tranquilles, pendant que le public s’installe dans la salle, les quatre interprètes du TG Stan ( Ibtissam Boulbahaiem, Jolente De Keersmaeker, Atta Nasser, Haider Al Timimi) passent d’une seconde à l’autre, au son d’une musique drum’n’ bass déchaînée, à l’installation sans un mot de l’espace de jeu, se saisissant des planches, tabourets, chaises, tréteaux, pour esquisser en deux temps trois mouvements un espace domestique minimal, où la table est mise pour un repas à deux, et le repas prêt à être servi. Pendant qu’un des interprètes se fait asperger d’un rouge sang dégoulinant, sur une bâche en plastique transparent, pour ne pas tâcher le sol. Cette dimension d’un théâtre qui se fabrique à vue va se prolonger pendant tout le spectacle, à travers la présence silencieuse d’une personne qui suit le déroulement du spectacle, en changeant régulièrement de point de vue, script de la pièce à la main, intervenant à de très rares, mais efficaces, occasions. 

Peur partout, société nulle part 

Ce que met en jeu Orphans, à travers cette effraction d’un réel violent dans le cocon domestique, et l’effet à la fois comique et glaçant de dialogues brefs progressant en trébuchant, c’est un crescendo de cas de conscience, apparaissant au fur et à mesure du dévoilement progressif d’une vérité effrayante. Celle qui amène au début du spectacle à l’arrivée de Liam, couvert de sang, interrompant le repas d’Helen, sa sœur et de Denis, son beau-frère. Est-il un criminel, une victime, les deux ? Doit-on le soutenir, le dénoncer ? Et s’il y a « nous » et les « autres », comment choisir entre les siens et les autres ? Et qu’est-ce que ça implique pour tous.tes ? Un crescendo dramatique et moral qui remet en jeu un dilemme ancien et récurrent (Sophocle, Camus, …) porté par des TG Stan en grande forme, dans une mise en scène sobre, vive et puissante.

MARC VOIRY

Orphans était présenté au Bois de L’Aune à Aix-en-Provence les 10 et 11 mars

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