Le Canebière film festival met à l’honneur les technicien·nes du cinéma, avec cette année un focus sur les concepteurs de décors. L’occasion de rencontrer Anna Le Mouël, cheffe décoratrice invitée avec la cinéaste Louise Hémon pour le film L’Engloutie. Zebuline l’a rencontrée
Qu’est ce qui vous a donné envie de devenir Cheffe Déco ? Quelles études avez-vous suivies ?
C’est arrivé un peu par hasard. J’avais entamé des études d’archi et on m’a proposé de faire un TPE (Travaux de Fin d’Etudes) à la FEMIS. J’ai adoré car ça correspondait à ma personnalité. J’ai arrête les études d’archi et j’ai travaillé dans la déco. Au départ sur des courts, puis des longs en tant que cheffe déco. J’avais fait une école d’arts appliqués, je dessinais beaucoup, faisais des chantiers. Les décors c’est la rencontre de milieux artistiques avec des choses très manuelles. Il y a le regard artistique et aussi un gros aspect technique auquel je tiens beaucoup
Vous avez commencé par le court métrage Massacre de Maité Sonnet, nous semble t-il en 2019. Et depuis des longs dont Saint Omer et Le Ravissement. Comment abordez-vous une nouvelle proposition ? Par le scénario, les échanges avec les cinéastes ?
J’ai commencé avant par des courts moins connus, très jeune. D’abord, je tiens beaucoup au scénario. J’aime lire le scenario et voir ce que le réalisateur a fait avant. C‘est comme cela qu’on se projette dans une mise en scène, qu’on imagine les choses et il y a la confrontation avec le réel. C’est assez rare que ce qu’on imagine corresponde au désir du réal. Parfois ce sont nos deux idées qui vont se rencontrer, parfois je me laisse emporter par la vision du réal quand je la trouve incroyable. Parfois c’est l’inverse : il faut alors l’accompagner par des références, de films ou des dessins
Y a t-il eu des propositions que vous avez refusées (Sans citer des noms bien sûr) et dans ce cas pourquoi ?
Pas tant que ça ! Je suis jeune ! Ce sont souvent des questions politiques. Je suis plutôt de gauche et il y a des films que je ne pourrai pas faire car la représentation des personnes dans le film serait trop compliquée : ça me bloquerait pour me projeter. C’est dur quand on n’aime pas un scénario d’aller chercher du désir. Le cinéma demande tellement d’énergie, une implication totale. C’est tellement chronophage ! Sans ce désir-là c’est terrible ! Autant faire autre chose !
Pouvez-vous nous préciser comment vous travaillez : repérages de lieux, dessins, maquettes, tableaux… ?
Il faut parler de quelque chose de très important : le budget d’un film et celui de la déco qui est un très gros budget. Tout se passe dans les pré-repérages, les dessins et beaucoup de références. J’adore les chercher et je travaille beaucoup avec ça. Après on dessine une trame avec le chef opérateur.
Comment avez-vous travaillé avec Louise Hémon pour L’Engloutie ?
Il y a une petite exception pour L’Engloutie. Louise avait une iconographie délirante, vraiment beaucoup de livres sur l’époque. Elle m’avait conseillé la Cinémathèque des montagnes, une base de données incroyable. L’Engloutie est un film à base de nombreuses images documentaires, des images de films comme Les Portes du Paradis, Heureux comme Lazare. Le Cimino pour quelque chose du western. Des peintres du clair-obscur aussi avec ce choix de la lumière du feu. Avec le chef op, on fait beaucoup de réunions. On s’échange des références en dehors du réal. C’est important car on parle de pure image, de pure lumière. J’aime aborder aussi la question des couleurs.
Pour L’Engloutie, il a fallu fabriquer la cheminée, créer un conduit pour évacuer la fumée. Pas toujours efficace ! Il fallait beaucoup de grands feux pour avoir le maximum de lumière. On a repeint tous les murs, et dans les patines du bois, on mettait beaucoup de blanc, pour que la lumière rebondisse. Dans cet espace tout était noir. Des noirs qu’on a vernis pour qu’ils prennent le plus possible la lumière. Dans les lampes à pétrole, pour les extérieurs, on a caché des torches remplies de paraffine pour que dans les plans de loin, on ait assez de lumière.
Combien de temps a duré la construction du décor et combien de personnes y ont participé ?
La construction a pris beaucoup de temps. On a eu un mois sur place mais la neige est tombée très tôt, en novembre, et on s’est retrouvé avec des véhicules improbables pour transporter du bois à 2000 mètres d’altitude. On a mis presque 6 mois, ce qui est très long pour ce type de film. On était une vingtaine. Parfois pour certains films, l’équipe monte jusqu’à 200 personnes. C’est le premier assistant qui gère le budget pour les embauches. La période de négociations avec la production est très compliquée. Un budget où il y a les matériaux et les embauches « chargées » , c’est souvent 5 à 10% du budget d’un film.
Un entretien réalisé par Elise Padovani et Annie Gava le 8 octobre à l’occasion de l’avant-première du film de Louise Hémon, L’Engloutie
Anna Le Mouël © A.G.
Lire ICI la critique du film et ICI l’interview de Louise Hémon














