mercredi 2 juillet 2025
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Jeter l’encre

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Renaud guissani

Il n’a que 23 ans, mais déjà des vers pleins les poches et des engagements plein la voix : Renaud Guissani, jeune poète rovenain passé par Sciences Po Aix, Fribourg et l’Ejcam, signe avec Carnet d’un humaniste un premier recueil ambitieux et lyrique, dans la lignée de ceux qui, comme lui, rêvent d’écrire depuis l’enfance. Il a déjà, entre autres contribué à Zébuline, cofondé un collectif des Penseurs Insomniaques, et ne cache pas son désir d’inscrire la poésie dans le tumulte du monde contemporain.

La poésie s’écrit chez lui comme on extrait un fil d’or d’un rocher trop lourd. Renaud Guissani creuse – c’est son verbe –, « profondément, jusqu’à l’intérieur ». Et il creuse avec une obstination mélancolique, amoureuse, pour sortir quelque chose de beau de ce qui ne sait que faire mal. 

Art-triste et matière vive 

Il n’hésite pas à se frotter aux Grands : Ronsard, Rimbaud, Apollinaire … jamais en pastiche, ni même en mimétisme, mais plutôt en conversation, volontiers métatextuelle. Il leur emprunte le souffle, le lyrisme, la fièvre des romanesques. Et voyage entre les alexandrins et les décasyllabes qui ont fait la splendeur des plus belles pages surréalistes – à qui il aurait pu voler, peut-être, ces vers-ci : « Mes yeux, humides de leurs pleurs dormants / Regardent dehors sans rien voir vraiment ». Ou d’autres vers pleins, volontairement sonores, et souvent soupirants : « L’encre qui coule de tes doigts, c’est de l’art triste ». 

Renaud Guissani © X-DR

Cette art-tristesse devient matière vive : elle déborde chez ce mélancolique qui revendique l’héritage du vers classique. L’alexandrin, parfois débordant, sujet à d’élégants enjambements, devient ici une corde raide sur laquelle l’auteur avance sans filet, mais avec aplomb. C’est une langue éloquente, chantante, musicale, qui s’offre au lecteur – une langue qui respecte l’artisanat poétique et parvient à éviter l’écueil de la préciosité.

Il faut saluer la justesse de ses figures : ce « cerne de la joie », ces « rides d’un bonheur qui part » qui touchent par leur simplicité visuelle et leur pouvoir d’évocation. Le lecteur y reconnaîtra sans doute un « souvenir aigre-doux qui caramélise dans le bain de [son] cerveau ». Celui d’une jeunesse inquiète, ardente, lucide, et non dénuée d’humour. La grandiloquence, ici, n’est pas posture – elle est sincérité. Et c’est évidemment ce qui la rend attachante.

SUZANNE CANESSA

Carnet d’un humaniste, de Renaud Guissani
Éditions Les Bonnes Feuilles – 15,80 €

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Festival Propagations : les espaces sont sonores

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Musique-Fiction © Quentin Chevrier

Un dispositif impressionnant occupe pour un mois l’intérieur du Module du GMEM à la Friche. Un dôme ambisonique conçu par l’Ircam (Paris) accueille 35 spectateurs sous 49 haut-parleurs et des projecteurs pour douze Musiques-Fictions, lectures immersives conçues par auteur·ices, compositeur·ices et metteur·euses en scène. 

Elles proposent des voyages différents, qui instaurent un rapport peu commun entre les récits et les musiques, les fondant dans un même espace sonore, renouvelant le genre de la fiction radiophonique en la spatialisant. Ce qui l’éloigne de l’idée d’un voyage immobile, même si le corps reste au repos.

Ces lectures qui invitent d’ailleurs assez irrésistiblement au sommeil, comme si mettre son corps au repos mais lui faire produire des images mentales, ouvrait la porte des rêves. Lors de Naissance d’un pont, composé de longs passages du roman de Maylis de Kérangal, rares furent les auditeurs à ne pas chavirer, au cours des presque deux heures de la lecture immersive, dans des poches de sommeil plus ou moins prolongées. La musique de Daniele Ghisi répondait à la structure même du roman : de grandes arches, come des pylônes structurels plantés sur les rives, des élans électroniques qui se répondent, enflent et s’éteignent, puis renaissent et se rejoignent. 

Dans cette structure générale des sons précis, instruments, déformations concrètes, interviennent comme autant d’anecdotes particulières, attirant l’oreille vers telle source du son, source du récit.

Le roman de Maylis de Kérangal, qui raconte la construction d’un gigantesque pont au dessus d’une zone sauvage, dans une Californie de fiction est racontée par de grands acteurs (Laurent Poitrenaux, Nicolas Bouchaud, François Chattot, Julie Moulier, Marie-Sophie Ferdane…) qui incarnent les personnages du roman plutôt que de s’en tenir à la voix du conteur. 

Cette première Musique-Fiction de la collection de l’Ircam, créée en 2020, inaugurait un cycle qui a sans doute mieux trouvé son rythme en s’éloignant aussi de l’incarnation, pour garder l’idée d’une lecture monodique, ou d’un dialogue, qui tresse sa complexité avec la musique. 

Sous la tente

En 2005, l’auteur Erri De Luca se joint à l’alpiniste Nives Meroi, première femme à avoir gravi les dix plus hauts sommets du monde, dans l’ascension du Dhaulagiri, un mont de l’Himalaya culminant à 8167 mètres. De cette aventure commune il fait un roman, Pour adapter Sur la trace de Nives, Laëtitia Pitz a choisi une discussion nocturne sous une tente en haute montagne entre les deux protagonistes. Un univers très intime mais aussi ouvert, qui correspond parfaitement au dispositif. Sous le dôme ambisonique le public est comme avec Erri et Nives. 

Festival Propagations, Espèce d’espaces © Lionel Escama

Les voix des deux comédien·ne·s qui les interprètent jaillissent de côtés opposés de l’installation, comme si deux présences invisibles étaient assises l’une en face de l’autre. Entre eux plane la musique composée par le clarinettiste Xavier Charles. L’absence d’incarnation physique et l’obscurité percée par de doux jeux de lumières créent une atmosphère presque mystique, cohérente avec la teneur de leur discussion.  

Discussion qui est en fait plus souvent une juxtaposition de monologues qu’un échange. Elle décrit ses ascensions, leur coût physique, son amour des sommets et sa relation avec son mari et binôme en montagne Romano. Riche d’années d’expérience, elle est assez pragmatique, mais une forme de lyrisme sous-tend souvent son propos, ce qui est appuyé par la douceur de la voix d’Océane Caïrati. Lui, plus spirituel, disserte longuement sur la place des montagnes dans différentes religions, de l’Olympe au discours de Béatitudes, dressant des comparaisons dont s’amuse Nives. 

Mais si cette création de 2025 de 50 minutes est moins dilatée et théâtrale que celle de 2020, la musique complique la compréhension du texte, dense et complexe, et couvre parfois les mots de ses stridences. Elle confère au texte une dimension sombre qui n’est pas toujours à propos, le dialogue étant réflexif, mais joyeux.

Pérec est space

Espèces d’espaces de Philippe Hurel se fonde sur l’essai éponyme de Georges Perec, qui est plus qu’un livret. Le texte, suite de notes sur les lieux quotidiens du plus lyrique des oulipiens, donne son architecture au spectacle. Recréé à La Criée pour Propagations avant une tournée française, ce premier « opéra » (2011) du compositeur joue des codes du genre comme Perec se joue des genres littéraires : l’ensemble Court-Circuit dirigé par Jean Deroyer, s’implique avec un plaisir visible dans une partition chaleureuse, riche de polyphonies, mais explorant aussi l’espace du son dans sa dimension spectrale, et citant, ça et là, une comptine, un jingle télévisé, un accordéon populaire… 

Le texte est porté par la chanteuse Elise Chauvin (chant et voix parlée) et par le comédien Jean Chaize. Ils sont judicieusement amplifiés, conservant ainsi un phrasé naturel, qui leur permet  d’occuper et modifier l’espace scénique.  

La mise en scène d’Alexis Forestier joue tout aussi joliment du caractère inclassable du texte, fait d’énumérations, d’une progression clinique du plus petit au plus vaste espace, d’un quiz sur les pièces habitables d’une maison, de drôleries constantes, de tables et de corps qui s’empilent, de vêtements et de rôles datés, la soprano jouant les femmes d’intérieur avec juste ce qu’il faut de distance. Car « vivre, c’est passer d’un espace à l’autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner ». Méthodique et paradoxal comme tous les textes de Perec, le spectacle se conclut par une note de la Waffen-SS : une commande d’arbres et de plantes pour construire une haie séparative entre les deux chambres à gaz d’Auschwitz. Avec Perec, la déconstruction du verbe n’est jamais très loin de la Shoah.

Chloé Macaire et Agnès Freschel

Propagations se poursuit jusqu’au 11 mai à Marseille.

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Nous sommes sorti·e·s du silence

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À l’hôtel de Caumont, à Aix, l’exposition Bestiaire magique de Niki de Saint Phalle ne mentionne nulle part l’inceste qu’elle a subi lorsqu’elle avait 11 ans. Un viol qu’elle a révélé en 1994, dans Mon Secret, qu’elle a écrit à la main et illustré. L’artiste des Nanas joyeuses, des fontaines animées et des bestiaires fantastiques y explique que son œuvre est une tentative de réappropriation de son enfance, de son corps et de sa puissance. Écrit comme une lettre à sa fille, le livre a modifié profondément la perception que l’on avait de son œuvre. Comment peut-on aujourd’hui lui consacrer une exposition sans en faire, pour le moins, mention ? 

Car la pionnière du Nouveau Réalisme, est surtout précurseure d’un art féministe. « Le temps est venu d’une nouvelle société matriarcale » écrivait-elle dans les années 1970. Cinquante ans après, et après #Metoo, laisserons-nous l’histoire revenir désespérément en arrière ? 

Nous sommes visiblEs

Précurseure. Le mot, puisqu’il désigne celui qui ouvre le chemin, n’a pas de féminin en français académique, comme chef, professeur, médecin, recteur, colonel, metteur-en-scène, écrivain, maire. Si des femmes qui exercent ces fonctions les transforment en nom féminin avec quelques articles ou des jeux de suffixes (la maire, la prof, l’écrivaine, la rectrice), l’affaire se corse dès que la féminité  se fond dans un groupe mixte : les femmes, alors, disparaissent, même quand elles sont majoritaires, puisque « le masculin l’emporte sur le féminin ». Règle si profondément discriminatoire qu’on oublie qu’elle n’est pas immuable : jusqu’au XVIIIe siècle, en français, le plus grand nombre prévalait (Roxane, Hector et Hermione sont tombées des nues) et en cas d’égalité la règle de proximité s’appliquait (Valère et Elvire sont amoureuses). 

L’effacement graphique de la composante féminine d’un groupe mixte s’accompagne en français de l’absence caractéristique de certaines désignations qui permettent aux hommes une complexité sociale. Ainsi les garçons sont les fils de leurs parents, et les filles juste des filles. Et les hommes peuvent être des maris, alors que les femmes demeurent simplement des femmes. Elles sont ainsi naturellement réduites à leur fonction familiale, comme elles sont exclues des Droits de l’Homme et de la Fraternité.

Nous sommes inclus·e·s

L’écriture inclusive est un des moyens de rattraper aujourd’hui ces faiblesses de notre langue nationale et de laisser une trace écrite de la présence des femmes dans des métiers, des fonctions, des réalités qui les excluaient, et continuent souvent à les exclure. 

Mais il est devenu dangereux d’ajouter des points médians, de féminiser les noms, de revenir à d’autres règles orthographiques, ou de pratiquer le néologisme comme l’ont toujours fait toutes les langues vivantes et productives. Et plus impensable encore de naviguer entre les genres, de pratiquer le iel ou d’écrire « il est belle ».  

Que Trump interdise le féminisme et les études de genre n’est pas étonnant, il a été élu après une violente campagne masculiniste. Que Zemmour s’en gausse, qu’importe. Mais que la Région Sud prescrive l’écriture inclusive dans les demandes de subventions et coupe à ce titre sa subvention à Kourtrajmé est pour le moins inattendu… Comment peut-on dans la même charte défendre la liberté de création et interdire l’écriture inclusive ?

L’offensive réactionnaire contre les avancées de la langue a toute la violence des invisibilisations. Les femmes qu’on enferme, qu’on voile ou qu’on empêche de se voiler, celles qu’on sexualise à leur insu ou qui se garnissent, de leur plein gré, d’appendices ongulaires ou capillaires, peinent toujours à s’approprier leur image qui reste dessinée, décidée, écrite sans elles. Le masculin l’emporte : au-delà de l’écriture, la grammaire et la langue modèlent nos représentations.

Faisons parler les images

Gisèle Pélicot, en rendant public le procès de ses violeurs, a fait changer la honte de camp. 

La fille du premier ministre, en témoignant pour que les victimes de Bétharram soient entendu·e·s , permettra sans doute d’ouvrir les portes trop closes des pensionnats catholiques. 

Mare Nostum puis SOS Méditerranée sont nés après l’image choc du naufrage au large de Lampedusa en 2013. 

Filmé, diffusé. Puis oublié, faute de relais médiatique.

À Gaza, les journalistes et les images sont interdites. 

La visibilité est un combat. Jusque dans l’écriture.

AGNÈS FRESCHEL


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Se jeter à l’eau

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Le dernier roman d’Arnaud Cathrine se présente sous la forme d’un journal intime dans lequel Raphaël note ses interrogations, son malaise, suite à la rupture décidée par sa femme, Anne, qui déclare ne plus l’aimer. Dur à encaisser. Comment parvient-on au désamour ? Il sombre dans une dépression qu’il ne nomme pas. C’est son éditeur qui le fera hospitaliser puis lui conseillera de se remettre à l’écriture, en reprenant son journal, par exemple. 

Pour cela Raphaël se tourne vers les paysages maritimes, ces lieux qui l’ont toujours nourri et inspiré. Du 14 mai au 16 août 2022, quatre séjours dans des stations balnéaires le prépareront à un nouveau départ. Des rencontres lui permettront peu de se remettre debout. Avec Mona à La Grande-Motte, il retrouve le plaisir de la nage ; à Arcachon il va sur les traces de son grand-père et rencontre le jeune Loïs avec lequel il partage le goût du naturisme libérateur ; à Bénerville, une femme le séduit – comme une parenthèse bienfaitrice – alors que la Gironde est en feu. La quatrième plage, celle de Préfailles, est celle de l’enfance et de la maison familiale dans laquelle Raphaël retrouve sa fille et qu’il a décidé de vendre.

Raison de vivre

Il apparaît que Raphaël ressemble beaucoup à Arnaud qui s’est probablement projeté dans son personnage. Comme Arnaud, Raphaël est écrivain, aime la mer et la nage, et les écrivaines qui en ont parlé comme Chantal Thomas, Annie Leclerc. Il lit aussi Barthes, Sagan, Duras. On aime à imaginer qu’Arnaud a croqué son personnage avec gourmandise, jouant avec son propre vécu, mélangeant souvenirs et fictions, dans la langue limpide et juste qui le caractérise. 

On le suit avec curiosité gourmande. Est-ce Raphaël ou l’auteur qui déclare : « Raconter ma vie m’emmerde. Je préfère celle des autres » – on sait que Raphaël y excelle… Belle aventure que la création littéraire, belle expérience que le partage entre écrivain et lecteur. Raphaël n’écrira pas son histoire avec Anna mais il liquide proprement son passé.

CHRIS BOURGUE

Roman de plages d’Arnaud Cathrine
Flammarion - 21 €, avec des photos de l’auteur en N&B
L’auteur sera présent au Festival Oh les beaux jours pour plusieurs lectures à Marseille

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« L’effacement », entretien avec Karim Moussaoui

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Zébuline. L’Effacement est adapté d’un roman de Samir Toumi paru en 2016. Pourquoi avez-vous décidé de l’adapter ? Qu’est- ce qui vous a touché, étonné ou tout simplement mis en écriture de scenario ?

Karim Moussaoui. J’ai lu le livre en 2017, avant l’avant-première à Alger de mon premier long métrage, En attendant les hirondelles. Deux jours après, j’ai eu envie de l’adapter car c’est un livre qui parle de liens intergénérationnels. Dans le roman, c’est l’histoire d’un jeune homme de 40 ans qui se réveille un matin, après le décès de son père et qui ne se voit plus dans le miroir. On apprend à connaitre le père à travers le personnage principal. Dans le film, on incarne le père avant sa disparition. J’ai proposé à l’auteur une adaptation assez libre : j’ai fait quelques changements comme le service militaire qui n’est pas dans le livre, mais je m’aperçois que globalement, il est assez fidèle. En fait, j’avais envie d’être un peu moins réaliste que dans mes films précédents, représentatifs d’une certaine réalité algérienne. J’ai voulu flirter avec le genre ; la thématique est contemporaine, pas uniquement liée à l’Algérie mais avec des éléments qui le sont. Ce père-là d’une génération après l’indépendance, l’espace géographique dans lequel évolue le fils. Mais on peut s’identifier même en n’étant pas algérien.

Le point de vue est celui de Reda majoritairement. Comment avez-vous construit ce personnage ? Est-il fou ? Le roman faisait, semble-t-il, intervenir un psychiatre.

J’ai gommé le psychiatre parce que dans le livre la situation est un peu trop expliquée. J’ai voulu donner des éléments pour comprendre l’environnement dans lequel le personnage évolue, comment on vit dans ce milieu où  il est aliéné ; il ne prend pas en charge sa vie. J’avais tourné des séquences avec une  psychiatre, une femme, qui n’ont pas été montées : je les trouvais inutiles.

Quels ont été vos partis pris pour le filmer et filmer son regard ?
On voitle monde, sa personne, à travers lui. Beaucoup de gros plans pour faire ressentir, ses angoisses, ses luttes. C’est un personnage très fragile. On ne le quitte pas un seul instant.

C’est Sammy Lechea qui l’incarne. Comment l’avez-vous trouvé et comment avez-vous travaillé avec lui ?
J’ai rencontré Sammy à travers des castings que nous avions organisés. C’était presque un coup de cœur. Il venait de jouer dans une série et je l’avais vu aussi dans un court métrage. On a fait des essais et je lui ai proposé de venir à Alger pour prendre la température. Il ne connaissait pas le milieu bourgeois algérois dans lequel Réda pourrait évoluer même si le personnage  ne fréquente pas les galeries, ne va pas au cinéma. Il est isolé du point de vue social et il se retrouve, par la volonté de son père, embarqué dans la plus grosse entreprise du pays.

Reda est souvent dans l’ombre : comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur  Kristy Baboul ?
Cela a été un choix de travailler sur un clair obscur. On est dans des endroits assez contrastés. C’est un film noir : il y a du noir dans l’image. Le seul moment où on a un peu de lumière c’est cette parenthèse qui aurait pu être enchantée : la rencontre avec Malika.

Son rapport au père est complexe : obéissance, peur, admiration. Y a-t-il une part autobiographique ?
Pas du tout.Mon père n’est pas autoritaire, presque l’inverse ! [rires]. Mais j’ai rencontré dans mon entourage beaucoup de gens qui peuvent se reconnaitre. Samir Toumi est un ami et je pense qu’il y a dans son livre une part autobiographique. Cela représente une génération où une des valeurs était l’autoritarisme. Il fallait être un homme fort. Certains ont des difficultés avec leurs enfants, ont du mal à comprendre que ce n’est pas la même époque.

Il y a dans ce film un panel de figures de jeunes algériens. Est-ce une sorte de radioscopie de la jeunesse algérienne actuelle ? L’effacement de Reda est-il celui de toute une génération ?
Un film ne peut pas être représentatif d’une société. Ce serait réducteur de penser qu’on peut en embrasser tous les phénomènes. Est-ce que cette jeunesse algérienne est effacée ? Non, pas du tout. A deux reprises, je parle des manifestations en 2019 où les jeunes revendiquaient leurs droits à prendre part à la vie politique sociale économique du pays. Peut-être celle de ma génération s’est-elle effacée un temps, mais pas celle d’aujourd’hui. Ce qui s’efface, c’est l’ancienne génération et les désirs et espoirs révolutionnaires etaltermondialistes qu’elle a portés. Elle est remplacée à la tête des entreprises par d’autres pouvoirs. Pour la jeunesse qui veut s’ouvrir au monde, voyager, les aspirations ne sont plus les mêmes. Il y a une sorte d’entrechoc entre deux générations. Le drame de Reda c’est qu’il n’a jamais appris à se connaître, parce qu’il a toujours vécu dans et par le regard de son père qui représente un temps révolu mais ne veut pas lâcher prise. Reda a ignoré les luttes de 2019, trop refermé sur lui-même.

Parmi les jeunes, le seul personnage qui ne s’efface jamais, c’est Malika, la quadra divorcée qui a pris sa vie en main.
Oui, j’admire plus Malika que Reda [rires]. Elle se bat dans un milieu très masculin, très patriarcal. Elle se dispute avec Reda quand il veut la défendre avec ses poings. Lui ne connaît que le rapport de force et la  violence pour régler les problèmes. Elle, elle sait s’affirmer sans ça. En Algérie, les femmes réussissent mieux leurs études universitaires que les hommes mais des personnes comme Malika qui choisissent de vivre seules et libres, il n’y en a pas énormément. Pour moi, elle est un modèle non seulement pour les autres femmes mais aussi pour les hommes. La victime du patriarcat ici c’est Reda et pas elle.

A l’opposé, la fiancée désignée par le père pour Reda représente un autre type de femme ?
Oui ! J’ai voulu parler, sans généraliser bien sûr, d’une certaine classe bourgeoise au pouvoir qui critique le pays alors qu’elle aurait les moyens de partir si elle le désirait.

L’effacement est un motif fantastique classique mais votre film est aussi un film noir, social, sentimental, familial…
Ce que j’aime au cinéma c’est être perdu, de pouvoir reconstituer les choses par moi-même ; Et le mélange des genres y contribue. Dans mon précédent film, En attendant les hirondelles, j’avais introduit de la danse.

On entend par deux fois le même prélude de Chopin. Pourquoi ce choix ?
Par hasard. J’avais demandé à Djalila Kadi-Hanifi, qui interprète la mère de Reda et joue du piano, de choisir un morceau classique. Elle a joué ça. Et j’ai trouvé que ça exprimait parfaitement à la profonde tristesse de mon personnage au point d’avoir eu envie de le réécouter à la fin du film.

Comment avez-vous collaboré avec Florencia di Concilio pour la BO ?
On est d’abord partis dans tous les sens. Hésitant entre une BO « chargée » ou plus minimaliste. Florencia a travaillé en ayant vu un premier montage du film et elle a composé une mélodie pour violoncelle qui colle au parcours de Reda.

Vous avez tourné le film à Marseille et en Tunisie. Pourquoi pas en Algérie ?
Pour des raisons économiques, entre autres. Le film n’a pas eu le financement du ministère de la Culture algérien et j’ai trouvé dans le secteur de la Joliette, le quartier d’affaires que je cherchais. Pour la Tunisie, il était plus facile là-bas d’obtenir des autorisations pour le tournage des scènes militaires.

Le film est-il sorti en Algérie ?
Non. Il n’y a pas beaucoup de distributeurs en Algérie. Et on distribue surtout des films d’action américains mais j’ai espoir qu’il sera retenu aux Rencontres cinématographiques de Bejaia en septembre et pourra y être vu.

PROPOS RECUEILLIS PAR ELISE PADOVANI ET ANNIE GAVA

Lire ICI (« L’Effacement », jeux de miroirs)  la critique de L’Effacement

SOS Méditérranée : « Le fanatisme de l’indifférence »

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SOS méditéranée
Vue de l'exposition sur la place Bargemon © Nicolas Santucci

L’exposition commence par un homme de dos, les bras en croix, face à un ciel ouvert. Geste d’accueil, immense. À la fin du parcours un autre panneau, plus discret, rend hommage au pape François, « seul chef d’État à avoir pris une position univoque », comme dans son discours de Marseille en 2023 : « Cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où seule est ensevelie la dignité. Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et les fanatismes de l’indifférence. Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation. »

L’exposition accueillie sur le parvis de la mairie par la Ville de Marseille dans le cadre des Assises Méditerranéennes du Journalisme [voir ci-contre] n’a pourtant rien de religieux, si ce n’est un appel à l’empathie, à la solidarité et au partage. Mais vers quel ciel se tourner quand les politiques nationales, européennes et internationales bafouent le droit international et les droits humains ? 

Compter chaque vie

Sophie Beau (co-fondatrice et directrice générale de l’ONG) le rappelait lors de l’inauguration : « Notre mission repose sur le strict droit international mais nous sommes attaqués, diffamés et ceux qui nous viennent en aide s’exposent. Sauver des vies est devenu criminel. » 

Pourtant, sans SOS Méditerranée, 41 944 personnes de plus seraient mortes en mer Méditerranée.

« Aucune de ces vies n’est un chiffre, chaque vie compte », répète la fondatrice de l’association. 

« 41944 vies, dont 5 876 femmes, dont 126 femmes enceintes. 

41944 vies, dont 10 066 mineurs, dont 7 953 voyageant seuls. Et 641 enfants de moins de 5 ans. Plus 6 bébés nés à bord. »

Face à cette précision, un tableau des morts en mer, dont les fluctuations annuelles laissent mesurer l’inexactitude : n’y sont répertoriés que ceux dont les cadavres ont été retrouvés, ou les départs attestés. Une addition de 30 000 morts, dont « chacun compte », là aussi, mais dont les contours demeurent vagues, enfouis dans le silence de la mer. 

Dix ans d’histoire

L’exposition Save Our Souls se décline en plusieurs tableaux qui se répondent : des images très fortes de nombreux photographes embarqués à bord complètent des explications sur les missions et les obstacles : se former, scruter, secourir, accompagner sur le bateau puis jusqu’à un « port sûr ».  Un panneau émouvant, intitulé « l’enfer libyen », trouve son écho dans les panneaux explicatifs qui pointent les manquements de l’Europe. 

En effet l’Union européenne ne cesse de durcir ses lois. Après le drame de 2013 à Lampedusa, l’Italie avait, grâce à l’opération de sauvetage Mare Nostrum, sauvé 150 000 vies en Méditerranée centrale puis mis fin à l’opération faute de soutien européen : d’une part la procédure Dublin (appliquée depuis 2014) oblige les pays qui enregistrent l’arrivée des réfugiés à les garder sur leur territoire, d’autre part l’Europe n’a pas financé Mare Nostrum, laissant L’italie gérer seul les flots migratoires.

Ce financement, l’Europe préfère, depuis 2017, le réserver aux garde-côtes libyens (200 000 millions d’euros). Ceux-ci interceptent les embarcations en mer (21 000 personnes ramenées en Libye en 2024) et les enferment dans des camps où ils sont affamés, forcés au travail, violentés et les femmes systématiquement violées. Puis renvoyés en mer, de gré ou de force.

Les rapports des ONG, mis aussi la condamnation par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies, précisent que la Libye n’est en aucun cas un port sûr, comme la Tunisie ne l’est plus pour les réfugiés subsahariens, qui empruntent des routes migratoires où ils sont exposés à des violences extrêmes, abandonnés sans eau dans le désert ou méthodiquement emprisonnés et rançonnés. Quel que soit le motif de leur départ, persécution, guerre, famine, discrimination « on ne choisit jamais l’exil par plaisir », rappelle Sophie Beau. Encore moins quand il expose à tant de danger et que la survie est l’exception. 

Depuis 2018 et la fermeture des ports italiens aux navires de sauvetage, la mortalité en Méditerranée centrale ne cesse d’augmenter, et le secours en mer d’être criminalisé. Les blocages en mer en attente de l’assignation à un port, mais aussi les trajets pour aller vers les ports, s’allongent, rendant les sauvetages de plus en plus coûteux depuis le décret Piantedosi (2023). Les navires de sauvetage sont de moins en moins fréquents en Méditerranée centrale, alors que les humains qui empruntent ces routes sont tout aussi nombreux : toutes les enquêtes démontrent que le nombre de départ est constant, qu’il y ait ou non des navires pour recueillir les bateaux en détresse.   

Un soutien affirmé de Marseille

C’est pourquoi le soutien des citoyens, mais aussi le soutien politique et médiatique, est précieux pour l’ONG. Lors de l’inauguration, Sophie Beau rappelait l’action de la Ville de Marseille, organisant grands concerts et expositions, attribuant des aides financières directes. 

Jérôme Bouvier, président de l’association Journalisme et Citoyenneté, rappelait que la presse libre et indépendante est confrontée à des difficultés similaires : victime d’entreprises de désinformation mais aussi de décisions politiques, « sur toutes les rives de la Méditerranée », qui remettent en cause « les droits humains et les démocraties. […] Les vents qui soufflent sur nous sont terrifiants. »

Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture, affirmait que les «engagements communs visent à faire prendre conscience de l’urgence humanitaire, de notre responsabilité collective envers toutes les victimes. »

Rappelant Gyptis et Protis, mais citant aussi longuement Umberto Eco, il concluait : « Marseille est et doit rester une terre d’accueil pour toutes les femmes et tous les hommes, et particulièrement pour celles et ceux qui sont confrontés aux guerres, aux exactions ». 

AGNÈS FRESCHEL

Save Our Souls
Jusqu’au 22 mai
Visites guidées les samedis 
Place Bargemon, Marseille
© Guillaume Madec
Dîner solidaire 

Les Grandes Tables de la Fiche organisent un dîner solidaire le 16 mai au profit de SOS Méditerranée. Le repas est à 39 euros, et la recette devrait permettre de financer 58 000 repas à bord : ceux des rescapés. Soit un an de nourriture. À chaque table, un membre de SOS Méditerranée parlera avec les convives de l’alimentation d’urgence. 

Site ici

AGNÈS FRESCHEL

Brisés comme du vers  

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niolu

Lucrèce Luciani, célèbre la terre paternelle, la Corse, la Corse de la Corse, le Niolu, sa matrice de montagnes, de forêts des grands pins laricio, d’un fleuve tutélaire, le Golo. Le Pays Sombre. Le récit poétique qu’elle tisse revient sur un épisode sanglant de l’histoire corse. En juin 1774, onze patriotes furent pendus par les nouveaux conquérants, les Français. Une plaque commémorative de ces exécutions, apposée au couvent, est toujours visible à Calacuccia. 

Les Corses n’ont rien oublié de cette fin tragique à la fois pour ces hommes mais aussi pour la république de Paoli ; l’indépendance espérée. Le groupe polyphonique Filetta la chanteaussi. Ces insulaires sont les frères en humanité des pendus de la Balade de François Villon.

Parmi ces onze morts, Lucrèce Luciani a choisi d’évoquer le plus jeune d’entre eux, Marcu Maria Albertini, sans doute parce que l’enfance tient une place centrale dans ses textes. Lui qui a été assassiné à 17 ans, le texte retrace sa vie ; de sa naissance dans une clairière jusqu’à sa mort. Il est « un poète des bois », un « enfant forestier ». 

Il grandit dans la montagne, loin des hommes, au cœur de cette nature minérale et végétaleque Lucrèce Luciani réinvente par son écriture faite de mots rares, précieux comme des pierres, d’images chatoyantes. La « poésie est la Création du monde, du cosmos ». Souvenirs des mythologies et des vers antiques.

© X-DR

Des pages historiques, tirées de plusieurs citations de Voltaire qui s’intéressa à la Corse dans un passage du Précis du siècle de Louis XV, ou de Diodore, de Rousseau, des notices sur la conquête violente, sanglante de l’île sont autant de contrepoints à la douceur panthéiste de l’enfance du héros sacrifié. Les arbres (le châtaignier, le laricio) magnifiés deviendront hélas lieu du supplice. 

MARIE DU CREST

La Ballade du pendu du Niolu, de Lucrèce Luciani
Azoé - 15 €

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Amazighe, une mémoire tatouée

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amazighes
© S. CH

Le Fort Saint Jean accueille une exposition qui propose une immersion sensorielle et anthropologique dans les cultures amazighes, à travers plus de 150 objets et œuvres allant du XIXe siècle à nos jours. Portée par l’architecte et anthropologue Salima Naji, commissaire de l’exposition, et scénographiée subtilement par Claudine Bertomeu, cette proposition articule esthétique et savoirs traditionnels en mettant en valeur un héritage immémorial, inscrit dans les cycles de la vie et du vivant.

Savoirs gravés

Organisée autour des cycles de l’existence – naissance, enfance, puberté, mariage, maternité – l’exposition déploie un parcours initiatique. Elle s’ouvre sur les figures archétypales des déesses mères, symboles matriciels de fécondité, de protection et de régénération, et propose une circulation inspirée des rythmes du corps et de la nature. Parures, objets rituels, poteries, tissages, tatouages : tous portent la trace d’un langage graphique ancien, transmis de génération en génération, comme une mémoire tatouée au creux des gestes.

Le choix des objets, loin d’une démonstration d’accumulation, est guidé par une exigence didactique et symbolique. Chaque pièce raconte une histoire : celle d’un savoir, d’une transmission, d’un rituel. L’exposition fait ainsi dialoguer la tradition avec la création contemporaine, notamment à travers l’œuvre monumentale de l’artiste Amina Agueznay, engagée dans la sauvegarde du patrimoine vernaculaire marocain. Le métier à tisser, central dans l’espace d’exposition, célèbre également le lien entre nature, spiritualité et artisanat. 

Une culture sans frontières

Le titre de l’exposition adopte le terme endogène Amazighes  – au pluriel et dans sa forme inclusive – désignant l’être libre  (par opposition à argaz, « l’homme »). Il affirme une identité fluide, transnationale, enracinée dans un vaste espace géographique allant de l’Atlantique au Nil, de la Méditerranée au Sahel. L’amazighité, comme le rappelle la carte introductive, n’est ni une nation ni un régionalisme. Elle se déploie hors des catégories territoriales étatiques et échappe aux assignations identitaires imposées.

Ce rappel est particulièrement pertinent dans le contexte français où les migrants d’Afrique du Nord sont souvent assignés au qualificatif d’« arabe », qui est l’une des composantes des habitants de l’Afrique du Nord dont nombre d’entre eux sont amazighophones – notamment kabyles, chaouis, rifains ou soussis. L’exposition invite ainsi à déconstruire les imaginaires simplificateurs.

Une universalité syncrétique

Le patrimoine amazighe, qu’il soit matériel ou immatériel, ne se limite pas à un territoire ni à une religion. Il traverse les appartenances – amazighes, arabes, juives, chrétiennes, musulmanes, animistes – et s’inscrit dans un fond symbolique partagé par de nombreuses civilisations agraires et autochtones. La « fiancée de la pluie », Tislit n Anẓar (ⵜⵉⵙⵍⵉⵜ ⵏ ⴰⵏⵥⴰⵕ), illustre cette universalité. Ce personnage mythologique, invoqué dans des rituels collectifs liés à la fertilité et à la pluie, manifeste l’interdépendance entre société et milieu naturel et l’exigence des peuples à vivre en symbiose avec leur environnement et ses ressources. 

Document de travail_dHenriette Camps sur les bijoux de Grande_ KabylieEncre sur calque vers 1970 Mucem, Marseille © Mucem – Yves Inchierman

Le système graphique du Tifinagh, alphabet millénaire attesté dès le néolithique, sert de trame symbolique dans l’exposition. Ses signes, visibles sur les poteries, tapis, bijoux ou tatouages, traduisent une vision du monde où le corps, la terre et le ciel dialoguent dans une grammaire sensible. Il ne s’agit pas de folklore, mais bien d’une cosmologie vivante, toujours en transformation.

Parmi les objets présentés, les jarres et mobiliers agraires Ikufan (agadir, guelaâ, ghorfa) utilisées pour stocker blé, figues, fèves ou dattes, témoignent des pratiques collectives de subsistance et des gestes de prévoyance face aux aléas climatiques. Fabriquées en terre crue, ils portent également les empreintes d’une iconographie liée aux corps, aux saisons, et aux forces invisibles et magiques invoquant la protection. 

Culture de l’oralité, elle est transmise dans les foyers, par les gestes, les chants, les contes et les tatouages. Ce savoir féminin, longtemps sous-estimé, constitue un patrimoine intime,  dans les plis de la parole domestique et des corps marqués.

Longtemps reléguée à une forme d’arriération ou de barbarie – sous la colonisation comme après les indépendances – l’amazighité a été réinvestie comme fierté, ressurgissant puissamment à l’occasion des Printemps berbères (1980, 2001) ou à travers les réappropriations multiples et expressions artistiques en diaspora (voir encadré).

Pour une reconnaissance politique

C’est pourquoi l’exposition du Mucem dépasse la seule célébration esthétique. Elle invite à repenser la visibilité des cultures dites minoritaires, en particulier dans une ville comme Marseille, dont l’identité ne peut être comprise sans les apports amazighes. La reconnaissance de ce matrimoine est un enjeu politique.

Fibule Tabzimt Grande Kabylie Algerie vers 1900-1950 Argent corail Mucem Marseille don Jacqueline Terrer © Mucem – Marianne Kuhn

Il ne s’agit pas seulement de préserver, mais de reconnaître, de nommer, de prendre place. L’amazighité, par sa richesse symbolique, par son ancrage dans le vivant, par sa portée universaliste, est un patrimoine commun. 

Marseille, ville amazighe

La sociologie des dynamiques migratoires et mémorielles à Marseille révèle la présence et l’ancrage de la culture amazighe. Dès le début du 20e siècle, des Kabyles s’y installent, recrutés comme ouvriers dans les usines, les docks, ou les chantiers navals. Leur nombre croît au fil des décennies, notamment pendant les guerres mondiales, la guerre d’indépendance algérienne, puis les années 1960-1970.

Cette implantation s’accompagne de formes d’organisation communautaire, de transmission linguistique, de pratiques rituelles et festives. Elle a façonné la ville de manière durable, au point qu’on peut aujourd’hui parler d’une Marseille amazighe, au même titre qu’on évoque une Marseille comorienne, arménienne ou italienne. Les présences amazighes y possèdent une densité historique et une capacité d’expression culturelle fortes.

La scène culturelle amazighe marseillaise est foisonnante : festival Tamazgha, porté par l’association Sud Culture, activités de l’Afk13 (association franco-kabyle), de l’ACA (Association Culturelle Amazighe) ou encore de l’Institut berbère. Elle a reçu des figures emblématiques comme Idir, Takfarinas, Matoub Lounès, Houria Aïchi, ou Syna Awel, qui s’y sont produits devant des publics fervents. Le tissu associatif assure des cours de tamazight, des ateliers de danse (ballets Gouraya), des initiatives militantes pour la reconnaissance de l’amazighité comme une culture à part entière. 
Amazighes
Jusqu’au 2 novembre
Mucem, Marseille

SAMIA CHABANI

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Dessin Provençal au Palais Longchamp

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Louis Chaÿs (ou Chaix) (Aubagne, 1744 – Paris, 1810) Ruines romaines, intérieur du Colisée, à Rome 1775 Pierre noire, sur traits de sanguine, sanguine et rehauts de blanc sur papier © Ville de Marseille, musée des Beaux-Arts/Claude Almodovar

La présentation de l’art en Provence du XVIIe au XIXe siècle est l’une des missions du musée des Beaux-Arts de Marseille. Sa nouvelle exposition, L’Esprit du trait, une collection privée en Provence, s’inscrit parfaitement dans cette période artistique, majoritairement néo-classique, qui, en dessin, a plutôt privilégié le trait et les contours nets, à la différence du style plutôt en touches, hachures et grisaille du dessin baroque et rococo. Une centaine de dessins sont présentés, œuvres d’artistes pour la plupart formés à l’Académie de peinture et de sculpture de Marseille, appartenant tous à un collectionneur souhaitant rester anonyme.

Dandré Bardon et Constantin d’Aix

Des dessins présentés de façon chronologique et thématiques à travers neuf petites sections, les plus nombreux étant ceux de Dandré Bardon (1700-1783) et de Constantin d’Aix (1756 – 1844). Le premier a été à l’origine de la fondation de l’Académie de peinture et de sculpture de Marseille (1752), qu’il dirigeait depuis Paris. 

Une vingtaine de ses dessins sont présentés, la plupart réalisés à la plume et encre noire, parmi lesquels des allégories religieuses et mythologiques vaporeuses, ainsi que deux sanguines, l’une, aux courbes alanguies, portrait d’une femme chagrinée, épaule découverte, visage à moitié caché derrière son avant-bras, et l’autre, une religieuse, aux traits plus raides, agonisante de la peste de Marseille, visage et main crispée tournés vers le ciel.

Jean-Antoine Constantin dit Constantin d’Aix, était connu pour emmener ses élèves, dont François Marius Granet et Louis Nicolas Auguste de Forbin (présents dans l’exposition) peindre sur le motif. La dizaine de ses dessins présentés, grands formats à la plume, à l’encre et au lavis, sont pour la plupart des paysages pittoresques, aux détails nombreux : une Vue de Fontaine-du-VaucluseLe château de la Torse à Aix-en-Provence, Le passage de la goule à Saint-Chamas. On y trouve aussi des scènes de genres : La fête villageoise, coexistence desaynètes animées du premier à l’arrière-plan, et L’Aumône devant l’église, surplombée d’une lumière céleste montrant la bonne direction.

Provence romaine

Les ruines romaines en Provence ont attiré ces artistes, sous influence antique : la Maison Carrée et le temple de Diane à Nîmes, le pont de Miramas, le mausolée de Glanum. À côté de David de Marseille, Henry d’Arles, Louis Chaÿs (décorateur du château Borely), Jean-Baptiste Coste (qui a réalisé le Palais de la Bourse), on trouve plusieurs noms peu connus, dont un Sigalon, mort jeune, présent avec un Caprice architectural rêveur.

Si, pendant cette période artistique, la mode était plutôt aux marines, on en trouve ici très peu: deux sont signées de l’illustre Pierre Puget (1620-1694), un combat naval tout en manœuvres savantes, voiles gonflées et dégonflées, canons en action, ainsi qu’une scène de port copiée d’une gravure de l’artiste italien Stefano della Bella.

MARC VOIRY

L’Esprit du trait, une collection privée en Provence
Jusqu’au 21 septembre
Musée des Beaux-Arts, Marseille

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L’Été des charognes 

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charognes
© Bellamy

Hubert Colas met en scène Thierry Raynaut, dans un monologue seul en scène, assis à table, forme dans laquelle ils excellent tous les deux. Surtout quand le texte est aussi fort que L’Eté des charognes de Simon Johannin. Poétique et violent, il fait le récit d’un adolescent plongé dans une ruralité brutale, qui prend plaisir à mettre à mort un chien de la voisine, et regarde fasciné la putréfaction, les mouches, les cadavres… 

Da sa haine de l’arabe à sa jouissance du sang, tout porte à détester cet ado qui n’a pas de nom, et n’est qu’une logorrhée. Pourtant quelque chose de touchant jaillit au fil du récit/poème, que Thierry Raynaut, comédien exceptionnel, porte comme une unique possibilité de rédemption. Jusqu’au choc final… 

AGNÈS FRESCHEL

13 mai
Zef, Scène nationale de Marseille